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Publié le 2 juin dans Sud-Ouest
Le 2 juin 1941 compte parmi les jours les plus sombres de l’histoire de la France. Après l’invasion du pays par les soldats de Hitler en mai 1940, la défaite française puis la signature de l’Armistice avec l’Allemagne nazie, le 22 juin, et les débuts de l’Occupation, une première définition de l’expression « de race juive », avait été édictée sous le gouvernement de collaboration active de Laval, le 3 octobre 1940, par la loi portant statut des Juifs.
Loi d’exception antisémite
Le 2 juin 1941, tout en ordonnant un recensement sur l’ensemble du territoire, l’État français promulgue un deuxième statut des Juifs, qui vient remplacer la loi du 3 octobre 1940, élargit les critères d’appartenance à la « race juive » et étend le champ des interdictions professionnelles. Parue au Journal officiel le 14 juin 1941 durant le gouvernement Darlan, cette loi d’exception, édictée par le régime de Vichy, précise, dans son article 1, la définition, à son sens “légale”, de l’expression « de race juive » et l’appartenance à la « race juive » à la religion des grands-parents :
« Nous, Maréchal de France, chef de l’État français, Le conseil des ministres entendu, décrétons :
Article 1 : Est regardé comme Juif 1. Celui ou celle, appartenant ou non à une confession quelconque, qui est issu d’au moins trois grands-parents de race juive, ou de deux seulement si son conjoint est lui-même issu de deux grands-parents de race juive. Est regardé comme étant de race juive le grand parent ayant appartenu à la religion juive ; 2. Celui ou celle qui appartient à la religion juive, ou y appartenait le 25 juin 1940, et qui est issu de deux grands-parents de race juive. La non appartenance à la religion juive est établie par la preuve de l’adhésion à l’une des autres confessions reconnues par l’État avant la loi du 9 décembre 1905. Le désaveu ou l’annulation de la reconnaissance d’un enfant considéré comme Juif sont sans effet au regard des dispositions qui précèdent. »
Les articles suivants listent les secteurs professionnels et les activités désormais interdites aux Juifs en France : politique, fonction publique, administration, armée, finance et banque, publicité, spectacle, radiodiffusion, édition… Simultanément, dans la ligne d’une idéologie assimilationniste inventée par Charles Maurras et promue dans l’entre-deux-guerres par l’Action française, le texte liste les exceptions pour ceux qui se sont rendus utiles à la nation et les interdictions pour les autres.
Base juridique à la Shoah
Politique de quotas et numerus clausus
Applicable dans l’ensemble de l’Empire français, de fait en France métropolitaine, en Zone nord comme en Zone sud, et en Algérie, cette loi concerne environ quelque 300 000 Juifs, environ 150 000 français et autant d’étrangers. Elle inaugure en France une politique de quotas en instaurant des numerus clausus qui seront fixés par décret. Sur une demande allemande, une loi française est adoptée par la suite, le 29 novembre 1941, créant l’Union générale des israélites de France (UGIF), chargée d’assurer la représentation des Juifs auprès des pouvoirs publics.
Ces deux statuts successifs des Juifs seront employés durant l’Occupation, principalement à partir d’avril 1942 et la dotation de moyens au Commissariat général aux questions juives, à la mise en œuvre, dans le cadre de la Révolution nationale, d’une politique corporatiste et « raciale » antisémite. Ils ont par la suite servi de base juridique à la « collaboration » de la police française à l’organisation de la déportation des Juifs d’Europe, du Maghreb et du Levant, à la spoliation de leurs biens et à la Shoah.
Les camps d’internement et les premières rafles
La loi du 4 octobre 1940 permet l’internement des « ressortissants étrangers de race juive » dans « des camps spéciaux », sur simple décision préfectorale. 40 000 Juifs étrangers sont ainsi internés dans des dizaines de camps, à Gurs (Pyrénées-Atlantiques) ou Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) notamment. Le camp des Milles (Bouches-du-Rhône) devient, à l’automne 1940, un camp de transit pour les internés en instance d’émigration.
La rafle du « Billet vert »
En mai 1941 à Paris, en liaison étroite avec l’administration française, les autorités allemandes procèdent aux premières arrestations. Le 14 mai, 3 710 hommes sont convoqués dans des commissariats où ils sont arrêtés pour être transférés dans les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande (Loiret). C’est la rafle dite du « Billet vert » du nom du document envoyé par les autorités aux personnes visées par les arrestations.
Ces lieux d’internement se multiplient sous Vichy qui les placent au cœur de sa politique d’exclusion. Il règne dans ces camps insalubres où les conditions de vie sont épouvantables, une mortalité conséquente. Environ 3 000 Juifs, en particulier des personnes âgées et des enfants en bas âge, y meurent entre 1939 et 1944. Pour venir en aide à la population internée, des œuvres caritatives non juives (la CIMADE, le YMCA, les Quakers, etc.) et juives (l’OSE, la HICEM…) créent des structures d’assistance sur le plan alimentaire, sanitaire, culturel et juridique.
Selon des chiffres établis par l’association des Fils et filles de déportés juifs de France présidée par Serge Klarsfeld et publiés en 1985, 75 721 des 330 000 Juifs présents en France ont été déportés de France entre mars 1942 et août 1944, dont 11 000 enfants et 55 000 étrangers. Seuls 2 566 d’entre eux sont revenus des camps de la mort, à leur libération, en 1945, soit environ 3 % des déportés.