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Publié le 27 Septembre 2024

Retour sur le colloque : « Les Juifs dans la République : révélateur des crises du pacte républicain ? »

Pour la seconde année consécutive, le Crif a célébré l’évènement fondateur qu’est le décret d’émancipation des Juifs de France, promulgué le 27 septembre 1791 par l’Assemblée Constituante, en organisant au Sénat un colloque sur le thème « Les Juifs dans la République : révélateurs des crises du pacte républicain ? », jeudi 26 septembre 2024.

Si l’émancipation ne s’est bien entendu pas faite en un jour, elle a finalement donné naissance à ce courant très spécifique et inspirant qu’est le franco-judaïsme. Une relation forte et longue lie les Juifs à la République, les Juifs et la République ne vont pas l’un sans l’autre.

 

Allocution du Président du Crif

Le Président du Crif, Yonathan Arfi a ouvert ce colloque en rappelant combien il était important d’installer cet événement dans le calendrier de nos institutions mais également dans le calendrier républicain. Cette date, qui jusqu’alors échappait à notre attention, est une date clé à célébrer chaque année.
Ce décret a notamment permis de mettre fin à l’éclatement des Français juifs et a donné naissance au franco-judaïsme dont nous sommes tous les héritiers.

Le Président du Crif a rappelé que le 27 septembre 1791 était « en quelque sorte notre date de naissance collective ».

Il a redit avec force que « la République et les Juifs ne vont pas l’un sans l’autre », d’où le choix de ce colloque : « Les Juifs dans la République : révélateur des crises du pacte républicain ? ».

« La vague d’antisémitisme qui frappe depuis le 7 Octobre n’échappe pas à cette règle. Elle est à la fois le révélateur et le catalyseur des crises françaises. » Après le 7 Octobre, les Français juifs ont eu le sentiment non pas d’une solitude juive mais d’une solitude républicaine.
Cet attachement à la République, à ses institutions et à son principe universaliste est fondateur pour le judaïsme français.

 

Vous pouvez retrouver le discours du Président du Crif en intégralité en cliquant ici

 

Message vidéo du Président du Sénat, Gérard Larcher

Le Président du Sénat, dans son allocution vidéo, a rappelé que le décret d’émancipation des Juifs de France est « l’aboutissement d’une longue histoire entre la France et les Juifs » en mettant notamment en lumière la figure de Rachi « symbole du judaïsme en diaspora », celle de Condorcet et celle de l’Abbé Grégoire « qui appela à faire rentrer les Juifs dans cette famille universelle qui doit établir la fraternité entre tous les peuples ».  La Troisième République en fondant la loi de 1905 sur la laïcité fut « la garante de l’émancipation des Juifs de France ». « N’oublions jamais » a-t-il ajouté « que dans chaque synagogue le samedi, on prie pour la République ». Menacée par les montées d’antisémitisme, comme ce fut le cas lors de l’Affaire Dreyfus, puis sous le régime de Vichy, l’émancipation peut encore être remise en cause.

 

Intervention du Grand Rabbin de France, Haïm Korsia

Ardent défenseur d’une meilleure connaissance de l’ancrage des Juifs en France, le Grand Rabbin de France, Haïm Korsia a salué l’organisation de ce colloque et rappelé combien il était important d’ « associer notre histoire contemporaine à un destin qu’on a oublié ».

« Toutes les valeurs que porte la France se retrouvent dans l’aspiration au meilleur du judaïsme ». Ainsi, « quand les deux sont fidèles dans la plus belle vision d’eux-mêmes, ils se rencontrent. »

Le Grand Rabbin de France a conclu son intervention en rappelant que les Français juifs ont « plaqué les combats du judaïsme aux combats de la France et c’est comme cela qu’on s’est construit ». Le judaïsme a la capacité de ne pas être une identité définie uniquement par telle ou telle chose ; c’est une identité universelle qui fait la richesse du judaïsme, et de la France.

 

Intervention de l’historien et sociologue Pierre Birnbaum sur le thème « De 1791 à nos jours : Français juifs, une passion républicaine »

L’historien Pierre Birnbaum a tenu un exposé très riche sur le thème « De 1791 à nos jours : Français juifs, une passion républicaine » en débutant son propos par le basculement de la Révolution française et l’introduction des Juifs à la Nation.

Dans la pratique, la République apprend à s’accommoder des différences pour peu qu’elles n’aillent pas à l’encontre de ses fondements. La logique est intégrationniste mais nullement assimilationniste. La République ne va imposer aux Juifs nul abandon à leurs croyances mais après la signature du décret par Louis XVI, les Juifs vont prêter serment, faisant ainsi une entrée exceptionnelle dans la modernité politique. Ils vont ainsi pouvoir incarner la gloire de la République, allant jusqu’à prier, comme l'a rappelé le Grand Rabbin de France, dans les synagogues pour la gloire et le bien-être de la République.

Les Juifs ne sont plus considérés comme une Nation et la République s’ouvre au respect de l’autre. Si les Juifs vont maintenir des liens de sociabilité commun, ils seront citoyens aussi bien dans l’espace public que dans l’espace privé.

Mais le régime de Vichy va venir rompre le contrat républicain établi entre les Français juifs et la République. Le doute va s'installer durablement et la mémoire des années noires demeure toujours vive. C’est dans cette société française bouleversée dans ces valeurs, que des institutions comme le Crif vont naître et se proposer d’être l’interprète du judaïsme en France devant les pouvoirs publics avec une très grande prudence.

Pierre Birnbaum a conclu son propos en rappelant que le déclin de l’État fort à la française ainsi que celui d’une citoyenneté exigeante […] ouvrent un avenir incertain » et les nombreux attentats et attaques contre les Français juifs risquent de réduire la place des Juifs à une communauté.

 

Vous pouvez retrouver l'exposé de Pierre Birnbaum en intégralité en fichier joint de cet article. 

 

Table ronde « Comment les nouvelles formes d’antisémitisme fragilisent la République »

Tal Bruttmann, historien, Perrine Simon-Nahum, philosophe et Jacques Ehrenfreund, historien
Modération par Stéphane Bou, journaliste, rédaction en chef à Akadem et fondateur de La Revue K

 

 

Parce que la République si elle est forte dans sa structure politique et étatique peut aussi être attaquée par toutes sorte de crises, le premier débat s’est articulé autour du thème « Comment les nouvelles formes d’antisémitisme fragilisent la République ». Les historiens Tal Bruttmann et Jacques Ehrenfreund, ainsi que la philosophe Perrine Simon-Nahum étaient réunis pour un débat animé par le journaliste Stéphane Bou. 

Stéphane Bou a introduit cette table ronde en rappelant combien les thèmes que sont les Juifs, l’antisémitisme, Israël et le Proche-Orient sont venus saturer le débat politique pendant les dernières élections en France.

Pour la philosophe Perrine Simon-Nahum, il y a eu, dans la dernière année écoulée, à la fois une rupture profonde et une continuité. Pour reprendre la formulation du titre de cette table ronde, la philosophe considère qu’il n’y a pas de « nouvelles formes d’antisémitisme » mais de « nouvelles populations gagnées à l’antisémitisme » depuis les années 2000 et la seconde intifada. Ceci étant, elle rappelle qu’il y a une forme d’inversion de ce que l’on a connu dans l’Histoire. « La fragilisation de la République était toujours précédée de la remise en cause de la présence juive en France » or on assiste aujourd'hui à un renversement. C’est désormais parce que la République est fragilisée que les Juifs sont en danger. Les Juifs « servent de bouc-émissaire  et d’argument électoral » dans le discours notamment de La France insoumise (LFI) depuis la présidentielle de 2022.

« La présence des Juifs dans la démocratie est liée à la force des institutions. » Comme l’a rappelé le Grand Rabbin de France, il existe désormais des partis politiques ouvertement antidémocratiques qui remettent en cause les institutions et ce, de l’intérieur même de ces institutions. 

Pour l’historien Tal Bruttmann, il n’y a pas de nouvelles formes d’antisémitisme. « L’antisémitisme est tristement égal et identique génération après génération ». « Ce sont les mêmes thèmes qui reviennent. Et ce ne sont pas des nouvelles populations mais de nouvelles générations de Français ». Tal Bruttmann indique qu’il est essentiel de comprendre que nous avons affaire à un « antisémitisme traditionnel » ; les thèmes de l’antisionisme ne sont pas nouveaux. « L’antisémitisme s’adapte aux modes du moment mais est tristement répétitif. On est dans la pire période antisémite depuis 1945. »

« À chaque nouvel élément violent, on se retrouve en prise avec quelque chose dont a oublié ou dont on a voulu oublier l’existence. »

Pour l’historien Jacques Ehrenfreund, il est indéniable que nous sommes en train de vivre un « moment antisémite » mais ce qui est essentiel, c’est d’avoir conscience que ce n’est pas la seule innovation à laquelle nous sommes confrontés. Depuis la Seconde Guerre mondiale, « l’histoire contemporaine des Juifs joue un rôle particulier dans la narration que les Européens se font de ce qu’ils sont devenus ». « Les Juifs ne sont pas anodins dans l’Europe depuis que l’Europe a décidé que la Shoah est un moment fondateur d’une compréhension qu'elle souhaite avoir d’elle-même. » L’histoire des Juifs est la pierre angulaire de l’Europe et des États-nations qui la composent. Ainsi, le 7 Octobre est une rupture fondamentale car l’Europe n’est pas en mesure d’assurer aux Juifs leur sécurité.

Stéphane Bou a ensuite questionné les intervenants sur la question de l’articulation entre antisémitisme et République.

Pour Tal Bruttmann, ce n’est pas tant la République qui est fragile que les instruments dont elle dispose pour combattre l’antisémitisme. La République n’est pas faible mais ceux qui la dirigent ont, pour certains, des faiblesses. Pour autant, il rappelle que des décisions fortes ont été prises ces dernières années par des piliers de la République à l’image de l’organisation de la Marche pour la République et contre l’antisémitisme, décidée par le Président du Sénat, Gérard Larcher et la Présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, le 12 novembre 2023.

Jacques Ehrenfreund considère quant à lui qu’il semble y avoir une méconnaissance de la nature de la menace à laquelle les Juifs sont confrontés. « Il semble à nos contemporains que le devenir juste du monde passe par la solution de la question israélienne ; qui veut remplacer la question juive. La paix dans le monde ne dépendrait que de la résolution d’un problème que les Israéliens n’acceptent pas de solutionner. » Cette idée a permis le retour d’un schème traditionnel.

Perrine Simon-Nahum a rappelé l’importance de continuer à se battre et de rappeler les similitudes entre le projet juif et le projet républicain et démocratique. « Cela passe par l’éducation et le fait de réapprendre aux citoyens ce qu’est la démocratie. »

Pour Tal Bruttmann, il y a, en France, une réelle difficulté à comprendre le fait juif, qui est souvent réduit à une question religieuse. Le sujet ressurgit en permanence et le fait juif pose problème aux antisémites, non à la République. « Il faut pouvoir penser le fait juif dans sa globalité, et non dans sa spécificité française. »

 

Table ronde : « Universalisme, laïcité, un modèle à défendre »

Roger Karoutchi, sénateur des Hauts-de-Seine et ancien ministre, Rachid Temal, Sénateur du Val-d’Oise et Constance Le Grip, députée des Hauts-de-Seine

Animé par Benjamin Petrover, correspondant i24News

 

 

Enfin, puisque l’ADN de la République française repose sur deux valeurs cardinales qui sont la laïcité et l’universalisme, la dernière séquence « Universalisme, laïcité, un modèle à défendre » a donné la parole à Roger Karoutchi, Sénateur des Hauts-de-Seine et ancien ministre, Rachid Temal, Sénateur du Val-d’Oise et Constance Le Grip, Députée des Hauts-de-Seine.

Le sénateur Roger Karoutchi a ouvert cette table ronde en indiquant que la laïcité était aujourd’hui menacée parce que la société française a changé d’où la nécessité selon lui, de redéfinir ce qu’est la laïcité et quel modèle de laïcité les Français acceptent encore.

Pour le sénateur Rachid Temal, la « laïcité et l’universalisme sont la France ». La laïcité est un combat de tous les jours, et ce, depuis 1905. « Il ne faut pas réviser l’Histoire. La laïcité n’a jamais été acceptée » et a toujours été un « long et dur combat ». 
Si la population a changé entre 1954 et 2024 comme l’a indiqué Roger Karoutchi, la France est toujours composée de « corps vivants ». « Ce ne sont pas les évolutions de frontières qui font que l’on perd nos valeurs et notre laïcité. »

Pour la députée Constance Le Grip, il est absolument essentiel, compte tenu de tous les défis et menaces qui pèsent sur la République française, de défendre et promouvoir les valeurs de la République et de l’universalisme qui est au cœur de son fondement. 

Les débats ont ensuite étaient largement centrés autour de la question des inégalités sociales, comme catalyseur d’un rejet de la République et de ses valeurs par une partie de la population. Le pacte républicain et ainsi les valeurs républicaines que sont la laïcité et l’universalisme sont ainsi remises en cause. 

 

Le Président du Crif, Yonathan Arfi a conclu ce colloque en rappelant l’importance de la communauté de destin qui unit les Juifs à la République. « La République a su relever des défis difficiles dans son Histoire mais cela nécessite de tout faire pour préserver les principes fondamentaux de la République en contenant les défis qui sont les nôtres aujourd’hui. » S’il y a beaucoup à faire, le Président du Crif a redit combien il croyait « en la République et au bon sens républicain des Français ».

 

Vous pouvez retrouver l’intégralité du colloque ci-dessous :

 

 

 

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