Né en 1923 à Salonique, il n’avait que 13 ans quand son père est décédé, laissant sa femme et cinq enfants dans des conditions matérielles difficiles. Bénéficiant de la nationalité italienne, la famille fut épargnée par les rafles menées par l’occupant allemand sur les Juifs grecs de Salonique. En juillet 1943 lui et sa famille sont évacués vers Athènes. La capitale est encore sous contrôle italien et les Juifs italiens y sont relativement protégés jusqu’à la capitulation de l’Italie le 8 septembre 1943, suivie de l’occupation allemande. Shlomo et son frère aîné Maurice rejoignent alors la résistance et parviennent à cacher leur mère et leurs trois sœurs auprès de paysans grecs. Ils sont arrêtés avec d’autres juifs en mars 1944 et envoyés à la prison de Haïdari avant de retrouver leur famille et d’être déportés ensemble vers Auschwitz Birkenau le 1er avril 1944. Le voyage en convoi à bestiaux pratiquement sans eau ni nourriture dure 11 jours. Arrivé sur la Judenrampe de Birkenau, Shlomo apercevra une dernière fois sa mère et ses deux petites sœurs avant qu’elles ne soient envoyées directement à la mort dans les chambres à gaz à l’issue de la Sélection. Shlomo, son frère et leurs cousins Dario et Yakob Gabbai sont envoyés dans le camp et intégrés aux Sonderkommando. Ces « unités spéciales » étaient forcées de sortir les cadavres de la chambre à gaz et de les brûler dans les fours crématoires ou dans les fosses communes quand les fours crématoires étaient en panne ou en surcapacité. Shlomo, qui s’était déclaré coiffeur quand les SS lui ont demandé sa profession, doit couper les cheveux des cadavres sortis de la chambre à gaz. Ces cheveux, comme tout ce que les nazis pouvaient récupérer de leurs victimes, étaient réutilisés à des fins industrielles.
Dans son témoignage, SONDERKOMMANDO, dans l’enfer des chambres à gaz, publié en 2007 aux éditions Albin Michel et traduit dans 19 langues, Shlomo Venezia raconte son quotidien dans cet enfer et offre un témoignage exceptionnel sur la machine d’assassinat nazie. Il a survécu à la révolte désespérée des Sonderkommandos du 7 octobre 1944. Au moment de l’évacuation du camp, le 17 janvier 1945 à l’approche des troupes soviétiques, Shlomo Venezia et quelques autres parviennent à s’insinuer parmi les prisonniers évacués vers d’autres camps nazis. Tout comme ils ont bombardé les restes des Crematoriums et brûlé les documents pour effacer les traces de l’extermination, les SS avaient tenté avant de s’enfuir d’éliminer les derniers Sonderkommandos, témoins directs de leurs crimes.
Après une marche forcée de plusieurs jours, Shlomo Venezia arriva au camp de Mauthausen, en Autriche, puis dans le sous-camp de Melk et au camp d’Ebensee avant d’être libéré par des troupes américaines le 9 mai 1945. Atteint de tuberculose, il passa sept ans dans divers hôpitaux en Italie après sa libération. Son frère Maurice et leurs deux cousins ayant également survécu, il les retrouve en 1952 et, en 1957, il revoit pour la première fois après leur déportation sa sœur aînée Rachel, elle aussi survivante de Birkenau.
Aidé par sa femme Marika et leurs trois fils, Shlomo n’a commencé à raconter son histoire que quand il a vu l’antisémitisme et le négationnisme surgir en Italie, dans les années 1990. Grâce à l’historien Marcello Pezzetti, son témoignage a été très largement diffusé. Il a accompagné à Auschwitz-Birkenau durant de nombreuses années des étudiants, des enseignants, des personnalités politiques, des journalistes, et bien d’autres, racontant ce qu’il avait vu et vécu avec une clarté, une précision et une honnêteté exceptionnelles. Le 26 janvier 2011, il a prononcé un discours bouleversant à l’UNESCO pour la journée commémorative de l’Holocauste. Son témoignage s’est achevé sur ces phrases : « Je n’ai plus jamais eu une vie normale. Je n’ai jamais pu prétendre que tout allait bien et aller, comme d’autres danser et m’amuser en toute insouciance… Tout me ramène au camp. Quoi que je fasse, quoi que je voie, mon esprit revient toujours au même endroit. C’est comme si le « travail » que j’avais dû faire là-bas n’était jamais sorti de ma tête… On ne sort jamais vraiment du Crématoire ». Qu’il repose enfin en paix.
Béatrice et Richard Prasquier