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Une édition numérique de l'ouvrage sort en même temps que la version papier
Premier à intervenir lors du débat que j'ai animé, Jean Mouttapa devait d'emblée expliquer le "fil rouge" suivi pour cette encyclopédie : n'avoir choisi que des auteurs académiques et non des responsables politiques, pour éviter les "biais" idéologiques faisant réécrire l'Histoire à la lumière du présent. Il a insisté sur la nouveauté des articles, qui abordent en profondeur le relationnel passé et moderne entre populations juives et musulmanes, avec parfois des "zooms" sur des personnalités plus ou moins connues, des citations ou autour d'illustrations, ce qui permet plusieurs manières de lire, petit à petit, cet imposant ouvrage. Il a également rendu hommage aux institutions ayant permis la publication de l'encyclopédie : le Centre National du Livre, l'Institut Alain de Rothschild, en particulier, ainsi que l'Institut Français qui agit sur le plan culturel pour le Ministère des Affaires étrangères : une tournée de conférences autour du livre est d’ores et déjà prévue en Israël et dans plusieurs pays arabes, dont le Maroc.
Abdelwahab Meddeb devait expliquer sa motivation personnelle, celle d'un intellectuel né en Tunisie. La "question juive a fait partie de sa propre formation". Il a exprimé sa douleur du "saccage" de la présence juive en terre d'Islam, où "un Juif imaginaire a remplacé le Juif réel". Pour lui, il fallait retrouver une histoire millénaire, afin "que le passé puisse aider à l'avenir". Il a en particulier été le maître d'œuvre de la quatrième partie de l'encyclopédie, "Transversalités", où différents chapitres abordent à la fois les partages passés (la musique, la poésie, les arts de la table, la vie quotidienne) et les éléments de clivage (les différences entre Islam et Judaïsme, le statut de minorité, les stéréotypes négatifs du Juif qui ont aussi existé chez les Musulmans). Il a reconnu, enfin, la faiblesse relative des contributions musulmanes sur l'ensemble des auteurs, qu'il attribue à la fois à un déséquilibre dans le domaine académique et à une suspicion de certains, parfois, sur le projet.
Benjamin Stora devait répondre à une question sur les deux "récits antagonistes", le "rose" dominant côté musulman, et le "noir" ayant actuellement la faveur du public juif. Pour rappel, le mythe d'un "âge d'or" judéo-musulman à l'époque médiévale et singulièrement en Andalousie est né au 19ème siècle : ce sont des orientalistes d'Europe centrale, souvent juifs, qui ont écrit au 19ème siècle sur la tolérance supposée continue et sans nuages de l'Islam vis, de manière à en faire un exemple pour les pays chrétiens, où l'émancipation restait à conquérir. Comme l'écrit dans l'encyclopédie le professeur Mark R. Cohen, "plus tard cette utopie historique est devenue une arme idéologique pour les musulmans contre le Sionisme et Israël, accusés d'avoir détruit une coexistence exemplaire". Mais aujourd'hui, il y a une contre-idéologie côté juif s'appuyant sur le statut d'infériorité du "Dhimmi" pour raconter que la vie des minorités était toujours un enfer en terre d'Islam. Pour Benjamin Stora, les deux récits ont chacun leur part de vérité, mais il faut dépasser maintenant le moment que nous vivons "qui est un moment de séparation", et où "il existe une littérature de diabolisation de l'autre". "Chaque pays a construit un récit nationaliste", "il faut se réapproprier le passé, et évoquer les minorités disparues pour renvoyer à la pluralité".
À noter, enfin, que plusieurs présentations de l'encyclopédie sont prévues dans les prochaines semaines : j'interviewerai Jean Mouttapa sur Judaïques FM dans le cadre de mon émission dominicale, le 20 octobre 2013 ; une soirée est prévue au Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme le 17 octobre en présence de Benjamin Stora et Abdelwahab Meddeb. Par ailleurs, une édition numérique de l'ouvrage sort en même temps que la version papier.
Jean Corcos
Président délégué de la commission pour les relations avec les musulmans