- English
- Français
L’armée ukrainienne mène avec succès des contre-offensives à l’Est du pays. Cela a du donner un bon moral aux soldats ukrainiens mais auparavant, après plus de six mois de guerre les positions et 20% environ du territoire ukrainien étant occupé par l’armée russe, la situation ne risquait-elle pas de susciter du découragement ?
S.E Vadym Omelchenko : Non, le découragement n’est pas du tout dans l’état d’esprit des Ukrainiens, bien au contraire. Ce qui porte notre peuple et les soldats ukrainiens, c’est l’espoir, la confiance, la certitude d’une victoire pour la souveraineté et la liberté.
La première phase de la contre-offensive remonte aux mois d’avril-mai, à ce moment-là nous avons libérer une grande partie de l’Ukraine. Puis, l’armée russe s’est regroupée à l’Est du pays. Depuis deux ou trois mois, et cela est constaté aussi par la communauté des observateurs et experts internationaux, les troupes russes n’ont pu avancer que de 1 ou 15 kms au maximum. Récemment, il y a eu des avancées de l’armée ukrainienne et, ces derniers jours, l’Ukraine a pu récupérer 3000 kilomètres carrés de son territoire.
L’Ukraine refuse catégoriquement le concept de « conflit gelé » (que les Russes tentent d’accréditer), elle ne va jamais accepter l’occupation de ses territoires. Il s’agit clairement pour l’Ukraine de retrouver sa souveraineté pleine et entière, de retrouver ses frontières définies depuis 1991.
Vous voulez donc libérer l’Est et Sud du pays, Crimée compris ?
Oui. Nous avons les capacités pour cela.
Évoquons les capacités militaires. Certains médias occidentaux ont relevé les difficultés de l’armée russe, notamment pour renouveler ses armements et munitions, le régime russe se tournant vers la Corée du Nord ou l’Iran pour tenter de compenser ses difficultés. Avez-vous les mêmes informations et quelles sont vos estimations concernant le rapport de force aujourd’hui ?
Nous confirmons les informations concernant les problèmes actuels et importants de l’armée russe. Le monde entier a vu s’ébranler le mythe de la deuxième armée du monde. L’inefficacité militaire russe tient à la fois d’un manque de volonté de leurs soldats à occuper un pays voisin, à l’archaïsme de leur matériel et au système de corruption installé au sein même de la direction de l’armée russe : une bonne partie des fonds qui étaient prévue à la soi-disant réforme de l’armée russe ont été détournés.
Concrètement, l’armée russe est confrontée à des problèmes d’approvisionnement non seulement pour des munitions ou des armements mais pour des équipements, ils manquent de choses aussi simples que des uniformes, des ceintures, des chaussures… Nous avons aussi détruit un nombre considérable de matériels russes. Nos chiffres sont aisément vérifiables et vérifiés par tous nos partenaires. Je vous livre les tous dernières informations (à date du 13 septembre jour de l’entretien): nous avons détruits 2175 chars russes; 4662 véhicules militaires ; 1279 système d’artillerie ; 244 avions ; 213 hélicoptères ; 3 469 matériels automobiles.
L’ennemi n’a pas de grande capacité à réparer ces matériels, ni à les renouveler, il n’a pas la capacité à construire de nouveaux chars ou de nouveaux avions. Car les sanctions occidentales fonctionnent. Avec efficacité. Notamment concernant l’accès aux hautes technologies.
Et pourtant, venant notamment de l’extrême droite française, on entend se diffuser ce qui ressemble à une propagande dans le débat public français sur le thème « les sanctions contre la Russie ont été inefficaces, inutiles… ; il faut les lever ». Comment réagissez-vous à cela ?
Les dirigeants d’extrême droite ont été les premiers à asséner ces contre-vérités. J’aimerais poser la question aux dirigeants du parti d’extrême droite en France : ont-ils remboursé le prêt qu’ils ont contracté avec une banque russe ? S’ils ont remboursé (ce n’est pas le cas), alors on peut considérer le message qu’ils diffusent ! Leur propos ressemble très nettement à la propagande diffusée par le Kremlin...
Nous, nous nous fondons sur les données disponibles et les informations fournies par nos partenaires. Que ce soit en matière économique ou technologique, les sanctions ont des effets très importants sur la Russie, qui essaie de masquer les indicateurs. Le but n’est d’ailleurs pas « la punition » de la Russie, le premier but est de rendre le régime de Poutine incapable de poursuivre cette guerre contre notre pays et notre peuple. Ensuite, il est clair pour tous que le régime de Poutine doit, à terme, s’en aller, que les complices du dictateur n’aient plus la possibilité de conforter l’armée russe, de réprimer les manifestations libres, d’emprisonner les opposants. Ce régime, comme toute dictature, ne repose que sur la répression d’une police politique et des services spéciaux.
La guerre peut néanmoins durer encore. Qu’attendez-vous comme soutiens complémentaires venant de l’Occident et de la France particulièrement, que faudrait-il de plus ?
À propos de la durée de la guerre, souvenons-nous des pronostics, russes notamment mais pas seulement, qui prétendaient que l’Ukraine et sa capitale Kyiv tomberaient en quelques jours. Ensuite, la date du 9 mai était aussi présentée comme étant celle de la défaite de l’Ukraine. La propagande poutinienne nous dit maintenant que la guerre sera longue et qu’il n’y aurait pas de gagnant ! Il y a quelques temps, quand on posait la question du temps nécessaire pour nous d’avancer de 70 kms dans la région de Kharkiv, on aurait répondu quelques mois. Or, en quelques jours, nous avons avancé de plus de 70 kms.
Notre but est bien de libérer toute l’Ukraine. Pour cela, notre Commandant en chef de nos armées estime que la guerre pourrait se poursuivre encore l’année prochaine. Mais nous espérons quand même, voyant actuellement les perspectives ouvertes par nos contre-offensives, que la plupart de nos territoires pourront être libérés avant le Nouvel An.
Que nous faut-il pour cela ? Nous le répétons, il nous faut un grand nombre de munitions, pour l’artillerie en particulier. Nous avons aussi besoin d’allonger la portée de ce type d’armement. Nous avons également besoin de renforcer encore nos systèmes de défense anti-aérienne pour protéger notre ciel. C’est pour le moment la seule voie par laquelle les Russes nous répondent, en bombardant les grandes villes, comme Kharkiv, Mykolaïv par exemple, provoquant une terreur dans la population civile et recherchant l’instabilité de ces régions. Nous avons besoin d’avions aussi avec les systèmes de défense aérienne.
Un pays en guerre, une population prête à se défendre, qui se mobilise de 18 à 60 ans, y a-t-il une comparaison possible avec d’autres pays, par exemple Israël (qui a une armée forte reposant sur un service militaire mixte et long, avec des réservistes toujours mobilisables) ?
L’Ukraine est souvent comparée à Israël. La situation est en effet comparable sur certains aspects mais pas sur tous.
Dieu a donné à l'Ukraine et à Israël un pays où coulent le lait et le miel. Et cela, malheureusement, signifie le risque de coexistence avec certains voisins qui n'abandonnent pas leurs intentions envahissantes.
Israël a tracé son chemin. Ce pays a mis des années à mettre en place son Etat, son économie de marché, l’organisation de la société et de son armée telle qu’elle est aujourd’hui. Malheureusement en Ukraine, depuis une trentaine d’années d’indépendance, nous avons connu différentes périodes et il y a eu des relations de dépendance et de corruption avec la Russie, il y a eu une période de destruction délibérée par les forces pro-russes de l’armée ukrainienne, de son potentiel militaire. Tout cela a commencé à pouvoir se reconstruire il y a seulement quelques années.
Si on parle de l’esprit de Résistance, de l’aspiration à la Liberté, de défense du pays, là on peut faire en effet des parallèles entre les deux peuples. Les défis auxquels les deux pays doivent faire face sont comparables, il s’agit de défis imposés par nos ennemis. Et finalement nous n’avons pas le choix. Soit nous nous défendons et remportons la victoire, soit nous mourons ! C’est en cela que notre situation et très similaire avec celle du peuple israélien.
Vous avez évoqué la jeunesse de la démocratie ukrainienne. Des progrès peuvent être encore réalisés, dans votre pays comme dans d’autres, dans différents domaines comme la lutte contre la corruption que vous avez évoquée ou comme le devoir de Mémoire, historique et collective, lié notamment à la Deuxième Guerre mondiale et à l’époque soviétique.
Oui, je peux vous parler de mon expérience car j’ai vécu à l’époque soviétique. Ma vision du monde avait alors été fabriquée par la propagande soviétique, concernant la Seconde Guerre mondiale, le rôle de la Résistance ukrainienne dans cette période, cette vision est très différente de celle qui s’est imposée après l’indépendance de l’Ukraine.
L’Ukraine est clairement en démocratie désormais et sur le chemin visant à établir complètement la vérité historique. Toutes les démocraties concernées doivent tourner la page de la période de l’Union Soviétique et de ce que ce régime a voulu falsifier. Il y a eu par exemple une propagande honteuse qui s’était répandue visant à accuser les démocrates ukrainiens d’antisémitisme. Cela est faux. En outre, beaucoup de citoyens israéliens venant d’espace post-soviétique se souviennent très bien de l’antisémitisme d’Etat colporté par l’URSS et de la politique publique de persécutions qui étaient menés.
Aujourd’hui, il nous faut tourner les pages de l’histoire et aller de l’avant vers l’avenir. Sans concession sur aucune vérité historique. C’est la volonté et la démarche du Président Zelensky. Nous avons eu des problèmes avec les Polonais par exemple dans le passé, concernant les tragédies passées, avec des accusations mutuelles. Toutes les contradictions sur le terrain historique entre nos deux peuples se sont complètement estompées.
Je voudrais m’adresser à vos lecteurs, et vous remercier pour l’honneur que vous me faites en me donnant la possibilité de m’exprimer en cette nouvelle rubrique L’Entretien du Crif. La guerre peut paraître loin de la France et de l’Ouest de l’Europe, elle est loin des terrasses des cafés parisiens. Mais il y a des choses et des menaces qui sont vraiment présentes, y compris en France : c’est le fascisme. Il revient. Quand vous regardez les partis politiques qui soutiennent la Russie de Poutine, ceux qui cherchent à déstabiliser les gouvernements en Europe et à déséquilibrer les démocraties, ce sont les nouveaux fascistes. Ils se manifestent par deux éléments. Le premier, au moment d’une crise, est d’avancer des solutions simples, comme le diesel à 1 euro immédiatement. Le populisme est l’instrument du fascisme. Le deuxième élément est de faire croire à un peuple que son problème vient d’un autre peuple, des étrangers, des migrants, des réfugiés etc… La propagande du fascisme tue toute empathie.
Il faut faire en sorte d’ouvrir les yeux, pour une partie de l’’opinion publique dupée, sur ce danger très actuel. La Russie de Poutine utilise tous les relais possibles pour actionner ces deux éléments du fascisme. Churchill, dans les années 40, avait prévenu : attention, nous avait-il prévenu, les fascistes à l’avenir vont s’appeler les antifascistes.
Julius Fučík , écrivain et journaliste tchécoslovaque, qui fut emprisonné, torturé et tué dans un camp de concentration nazi, écrivait dans ses dernières notes : « Humains, restez vigilant !». Ce qui se passe en Ukraine concerne clairement l’ensemble du monde civilisé.
Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet