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Publié le 25 Avril 2024

L'entretien du Crif : « Nos engagements au Crif sont ceux de la République » : Nathalie Cohen-Beizermann, Serge Dahan, Benjamin Allouche

Nathalie Cohen-Beizermann, Serge Dahan, vice-Présidents du Crif, et Benjamin Allouche, Trésorier, participent auprès de Yonathan Arfi, le Président du Crif, aux actions quotidiennes et aux orientations générales du Conseil représentatif des institutions juives de France, pour lequel ils se sont engagés depuis de nombreuses années. Ils répondent ici à nos questions sur ce qui les a le plus marqué dans leur engagement au Crif, les préoccupations qui dominent le plus aujourd’hui en leur esprit et les actions à développer en direction des institutions ou de la société civile. Entretiens croisés.

Le Crif : Dans le cadre de vos responsabilités au Crif, quelle a été l’expérience ou le souvenir qui vous a le plus marqué ?

Serge Dahan : Quinze jours après le 7 octobre, le Crif prend l’initiative d’un voyage de solidarité en Israël. Nous sommes sur la base de Choura et découvrons les containers où s’empilent dans des sacs des corps de femmes, d’enfants, d’hommes encore non identifiés, massacrés le 7 octobre par le Hamas. Ensemble, unis dans la douleur et la peine, nous récitons un kaddish pour nos frères et sœurs assassinés.
Nous nous arrêtons ensuite dans le kibboutz martyr de Kfar Aza : le samedi 7 octobre à 7 heures du matin, des terroristes du Hamas sont entrés par les barrières de sécurité. Une maison brûlée, des traces de sang, l’odeur de la mort ; dans cette maison, on nous raconte le supplice d’une mère et de sa fille violée puis égorgées. Dans cette autre maison, celle d’un jeune couple, Netta et Irène, une grenade est lancée par un terroriste, Netta se jette sur la grenade pour protéger Irène. Irène est sauvée par un soldat.

Autre moment d’immense émotion, à Jérusalem, dans une salle de réunion du ministère israélien des affaires étrangères, la rencontre et le témoignage avec trois familles qui, en larmes, racontent l’enlèvement de leurs enfants dont ils n’ont plus de nouvelles depuis le 7 octobre. Ce jour-là nous avons fait la promesse de ne jamais les abandonner, tant que tous les otages ne seront pas rentrés à la maison. Depuis nous nous réunissons tous les vendredi place du Trocadéro pour appeler à la libération de tous les otages.

Ces moments passés sur place resteront gravés en nous, nous sommes depuis devenus les Témoins : portés par l’obligation de témoigner, de transmettre, de résister au mensonge et dire la vérité, d’honorer les morts du 7 octobre.

 

« J’ai rencontré des gens incroyables au Crif, ils tiennent le cap de la fidélité à nos valeurs »

 

Nathalie Cohen-Beizermann : Cela fait maintenant plus de vingt ans que je suis au Crif… J’ai effectivement pas mal de souvenirs… Mais plutôt que de parler de souvenirs, je voudrais surtout parler des gens incroyables que j’ai rencontrés et qui, pour certains, sont devenus des ami(e)s. Car nous avons la très grande chance au Crif de militer avec des personnes dont l’engagement est total et qui, quel que soit le contexte ou les critiques (d’où qu’elles viennent), tiennent le cap de la fidélité à nos valeurs et ont conscience du rôle indispensable que nous devons jouer vis-à-vis de nos gouvernants. Alors, au fur et à mesure de mes élections dans les différentes instances du Crif, j’ai beaucoup appris des Présidents successifs. Je suis admirative du temps qu’ils ont consacré à cette fonction pour servir l’intérêt des Juifs de France.

Parmi ces personnes qui affirment leurs convictions avec courage, et si je dois évoquer un souvenir, ce serait le discours de Roger Cukierman au dîner du Crif en 2003, lorsqu’il a dénoncé l’alliance « brun-rouge-vert ». A posteriori, on voit qu’il avait très bien anticipé ce que nous vivons aujourd’hui…
 

Benjamin Allouche : Je suis investi au Crif depuis seulement quelques années mais j’ai toujours été dans son environnement. C’est la raison pour laquelle mon souvenir le plus marquant reste antérieur à ma première élection puisqu’il s’agit aussi de la prise de position du Président Roger Cukierman lors du dîner du Crif en 2003, où il avait, très tôt mais très justement, dénoncé l’alliance « brun-rouge-vert ».

Il en est de même pour Yonathan Arfi qui, lors de la cérémonie du « Vél d’hiv » avait, en écho, vingt ans après, fustigé Jean-Luc Mélenchon pour ses prises de position honteuses.

De plus, et à quelques jours de sa disparition, je ne peux m’empêcher de citer tous les souvenirs des combats militants menés aux côtés de notre regretté Gil Taieb.

 

« Une véritable prise de conscience du combat existentiel d’Israël »

 

Le Crif : Dans le contexte actuel, quelle est la préoccupation qui domine le plus en votre esprit et qui devrait davantage mobiliser nos concitoyen(ne)s ?
 

Nathalie Cohen-Beizermann : Les évènements du 7 octobre ont marqué une nouvelle page de l’engagement de tous les Juifs de France envers Israël. Depuis cette date, on a vu partout se développer des collectifs, des associations se créer pour venir en aide à Israël, qui viennent s’ajouter à toutes celles qui existaient déjà ! Nos représentants du Crif dans les régions font un travail extraordinaire et sont suivis par de nouveaux militants. C’est le signe d’une véritable prise de conscience du combat existentiel d’Israël.

Mais en parallèle, et de façon tout à fait paradoxale, on a vu l’antisémitisme exploser en France. On attaque les Juifs en Israël et les Juifs de France sont agressés. Quel est le lien ?! Le 7 octobre a vu les positions des uns et des autres se radicaliser. L’islamisme, le wokisme et la montée des extrêmes sont des sujets très préoccupants pour notre société, et plus globalement, pour notre modèle occidental Nous devons rester vigilants face à ces phénomènes. Et AGIR ! À ce titre, j’invite les personnes préoccupées par ces sujets à se joindre aux travaux du Crif, au travers de nos commissions, et notamment celle des Études Politiques, pour réfléchir ensemble à ce problème préoccupant de la montée des extrêmes et, de facto, de l’antisémitisme. Le Crif traite de tous les sujets de société actuels et au-delà des personnes engagées dans les associations membres de l’assemblée générale, il est important que se joignent à nos travaux tous nos citoyens qui se sentent concernés par leur avenir dans une France où ils se sentiront libres de vivre leur judaïsme en adéquation avec les valeurs de la République.

Face aux échéances électorales à venir, les responsables communautaires que nous sommes doivent entendre les préoccupations de nos militants et canaliser parfois leurs colères légitimes pour les mettre au service du bien commun.

 

« Mobiliser nos concitoyens contre la résurgence de l’antisémitisme, témoin de la montée de la haine »

 

Serge Dahan : « Quand ils ont arrêté les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste. Quand ils ont arrêté les socialistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas socialiste. Quand ils ont arrêté les juifs, je n’ai rien dit, je n’étais pas juif. Quand ils ont arrêté les catholiques, je n’ai pas protesté, je n’étais pas catholique. Et quand ils sont venus m’arrêter, il n’y avait plus personne pour protester » Pasteur Martin Niemöller.
En 2023, le nombre d'actes antisémites recensés en France a été multiplié par quatre, atteignant 1 676, contre 436 en 2022. Jamais depuis la Seconde Guerre mondiale nous n'avions connu de tels chiffres. Depuis le pogrom du 7 octobre, nous faisons face à une vague inédite d'actes antisémites commis en milieu scolaire et universitaire : les Juifs de France ont peur, peur d’emmener les enfants à l’école, peur jusqu’à en effacer son nom. Nous devons donc mobiliser nos concitoyens contre la résurgence de cet antisémitisme, témoin de la montée des tensions, de la haine et des fractures sociales. Cette mobilisation doit apporter des réponses pour aboutir à une tolérance zéro envers les auteurs de violences contre les personnes et les biens, pour que les moyens techniques et judiciaires soient réunis pour combattre les manipulateurs sur les réseaux sociaux et pour dénoncer sans relâche les facilitateurs publics qui, par leurs opinions, légitiment les passages à l'acte.
 

Benjamin Allouche : Ce qui me préoccupe le plus aujourd’hui est bien évidement la libération de la parole antisémite en France et l’augmentation des actes anti-Juifs depuis les horribles attentats du 7 octobre. Cet antisémitisme d’atmosphère, qui règne dans les facs et dans les campus, ne présage rien de bon. « L’antisionisme » est devenu la nouvelle excuse des anti-Juifs.

 

« Continuer à faire rayonner l’universalité du judaïsme français au sein de la République »

 

Le Crif : À l’avenir, quelles relations doivent être le plus développées selon vous entre la communauté juive d’une part, les institutions et les représentants des divers secteurs de la société française d’autre part ?

Nathalie Cohen-Beizermann : Il est primordial d’ouvrir le Crif aux acteurs de la société civile. C’est la conviction de notre Président, Yonathan Arfi : l’entre soi et le repli sur nous-mêmes ne sont clairement pas envisageables. De plus, j’ai toujours considéré que les Juifs doivent s’impliquer dans la vie politique du pays. Je recommande vivement à la communauté juive de France de se mobiliser politiquement et de se présenter aux différentes élections, afin de participer pleinement à la vie démocratique du pays et d’y représenter au mieux leurs intérêts et leurs perspectives.
Enfin, nous devons continuer à travailler de manière proche avec les institutions gouvernementales pour protéger les droits de la communauté juive et notamment participer à l’élaboration de politiques publiques visant la prévention des actes antisémites et la sécurité de la communauté juive. Plus que jamais, nous devons continuer à faire rayonner l’universalité du judaïsme français au sein de la République Française. Vive la République ! Vive la France ! Am Israël Haï !

Benjamin Allouche : Je pense que le Crif doit, de plus en plus, faire rayonner partout en France l’apport du judaïsme à la citoyenneté et à la République. Je pense que nous devons nous attacher à créer et à renforcer encore les liens entre la communauté juive et tous les acteurs de la société civile.

 

« Notre pluralité permet d’être entendu pour mener avec succès nos combats »

 

Serge Dahan : Le Crif est l’institution représentative qui, par nature, porte le message de tous les Juifs de France, cette parole repose sur l’écoute et la participation effective de chacun à l’occasion de nos nombreux rendez-vous. Les Juifs de France, qui portent une tradition citoyenne imprégnée des valeurs universelles et républicaines, sont déjà présents ou représentés dans le monde politique, culturel, les média, l’entreprise, l’école… Nous devons identifier de nouveaux espaces de dialogue pour affirmer notre voix juive et citoyenne dans un débat public, particulièrement altéré par le mensonge et la haine antisémite. Ces nouveaux espaces de dialogue devront se développer en s’appuyant sur une présence en région, importante et dynamique. Présence régionale au plus près du terrain, imprégné de la culture et des réseaux locaux politiques, associatifs, culturels.
C’est notre pluralité qui nous permet d’être entendu pour mener avec succès nos combats contre l’antisémitisme, pour le soutien à Israël et l’avenir de la présence juive en Europe. Ainsi que le décrivait Camus, « il ne suffisait pas de dénoncer l'injustice, il fallait donner sa vie pour la combattre ».

 

 

Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet

 

 

- Les opinions exprimées dans les entretiens n'engagent que leurs auteurs -