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Publié le 17 Février 2025

L'entretien du Crif - Mathieu Lefèvre : le niveau d’antisémitisme « a atteint la cote d’alerte » en France

Récemment élu président du groupe d’amitié France-Israël de l’Assemblée nationale, Mathieu Lefèvre, vice-président du groupe « Ensemble pour la République » de l’Assemblée, nous présente ici les objectifs prioritaires de son action. Il souligne l’enjeu du rapprochement des deux sociétés civiles, française et israélienne. Répondant aux questions de Jean-Philippe Moinet, il évoque l’avenir du Proche-Orient, en particulier de Gaza : écartant toute option incluant l’organisation terroriste Hamas, critiquant aussi les récentes déclarations de Donald Trump, il appelle de ses vœux « une médiation constructive entre les deux parties, israéliennes et palestiniennes. Celle-ci devra garantir de manière absolue et certaine la sécurité de l’État d’Israël. » Sur l’antisémitisme, il alerte sur « la cote d’alerte » atteinte en France, et précise trois domaines d’actions à développer, notamment les réponses pénales à renforcer et l’instauration d’un nouveau texte législatif de « délit de négation d’un État. »

Le Crif : Vous venez d’être élu à la présidence du groupe d’amitié France-Israël de l’Assemblée nationale, quel est votre objectif principal, vos projets pour les prochaines semaines et prochains mois ?

Mathieu Lefèvre : Mon objectif est d’abord d’avoir un véritable groupe d’amitié entre la France et Israël. Je serai très vigilant de n’y compter que de véritables amis d’Israël. Car, dans le passé, nous avons eu des parlementaires qui étaient présents dans une logique hostile, qui passaient leur temps à critiquer l’État d’Israël, ou à propager un « antisionisme », forme à peine déguisée d’antisémitisme. Mon premier objectif sera donc d’être très vigilant à ce que ce groupe d’amitié soit véritablement un groupe d’amitié.
Deuxièmement, ce groupe a et aura pour vocation de soutenir la position diplomatique française, dont la sécurité de l’État et du peuple d’Israël est un impératif catégorique. Mais ce groupe d’amitié n’a et n’aura pas qu’une dimension sécuritaire et diplomatique, il doit aussi évoquer l’importance des échanges économiques, culturels et sociétaux entre nos deux démocraties. Je pense que la France a beaucoup à gagner à renforcer sa coopération avec Israël dans de nombreux domaines.

 

 
« L’amitié France-Israël dure au-delà des gouvernements, c’est une amitié d’État à État et de peuple à peuple »

 

 
Le Crif : Pour colporter des caricatures, certains cherchent à confondre, d’une part l’État d’Israël, la société et la démocratie israélienne, forte de sa diversité et de son pluralisme, et d’autre part le gouvernement israélien, qui sont deux choses distinctes bien sûr.

Mathieu Lefèvre : Absolument, ce point est important car s’il y a un groupe d’amitié parlementaire, c’est qu’il y a une démocratie parlementaire et je la sais extrêmement vivante en Israël, comme on l’avait vu à l’occasion des débats sur la réforme de la Justice. On ne dira jamais assez que l’amitié entre la France et Israël n’est pas une amitié de gouvernement à gouvernement mais une amitié qui dure au-delà des gouvernements, d’État à État et de peuple à peuple. Il est à ce titre important de dire et de souligner l’admiration que l’on peut avoir pour les réussites israéliennes, éclatantes dans de nombreux domaines – économiques, culturels ou écologiques. Ces réussites méritent d’être mieux connues en France.

 

 
« Le Hamas, rappelons-le, n’est pas un partenaire fiable mais ni plus ni moins qu’un mouvement terroriste. La paix ne se construit jamais avec des terroristes »

 

 
Le Crif : Sur le sujet complexe de la situation au Proche-Orient, les voix de la France et de l’Europe ne sont pas toujours entendues, c’est un euphémisme… Comment comptez-vous procéder, notamment concernant la future gouvernance de Gaza ?
 

Mathieu Lefèvre : Il faut d’abord souligner qu’il ne saurait y avoir de trêve possible sans la libération de tous les otages encore retenus par le Hamas à Gaza. J’espère que l’accord fragile pourra être respecté sans heurts. Cette libération totale des otages est le préalable à une négociation relative à une future paix, qu’il faut espérer durable. Il faut que le principe de sécurité réciproque, entre Israéliens et Palestiniens, soit à terme reconnu avec des assurances tangibles.

Mais je suis aujourd’hui encore frappé de voir les images du Hamas, qui fait montre de sa force comme de la pire cruauté à l’égard des otages, notamment en les obligeant quasiment à remercier l’organisation terroriste lors de leur libération… Les conditions de la paix ne seront pas réunies tant que le Hamas sera en position de force et d’hostilité et tant que cela sera affiché comme tel. Le Hamas, rappelons-le, n’est pas un partenaire égal et fiable mais ni plus ni moins qu’un mouvement terroriste. La paix ne se construit jamais avec des terroristes.

Pour vous répondre complètement, la France a une voix singulière dans le conflit. Le Président de la République est l’un des rares capables de parler à tous les dirigeants et acteurs de la région, allant de l’Égypte au Liban, en passant par le Qatar, la Jordanie ou encore l’Arabie Saoudite. Son implication dans la libération des otages a été déterminante. Mais force est de constater que l’Europe pêche par trop de cacophonie et d’impuissance, notamment par rapport aux récentes déclarations de Donald Trump.
 

 

« Je ne veux pas croire que Trump prétende résoudre le conflit comme on réalise une opération immobilière. On ne peut pas s’y prendre comme cela, dans les conditions qu’il a évoquées »
 

 

Le Crif : À ce propos justement, on a vu les vives polémiques provoquées – était-ce leur but ? – par les déclarations de Donald Trump sur l’avenir de Gaza. N’ont-elles pas finalement apporté bien plus de confusion que de solutions pour les relations israélo-palestiniennes futures ?

Mathieu Lefèvre : Je ne veux pas croire que Donald Trump prétende résoudre le conflit comme on réalise une opération immobilière. Ce serait une méconnaissance totale et profonde de ce conflit et de la manière, à l’avenir, de le dépasser. On peut lui reconnaître une volonté de faire bouger les lignes mais on ne peut pas s’y prendre comme cela, pas dans les conditions qu’il a évoquées.
Il va néanmoins falloir un leadership extérieur extrêmement fort pour parvenir, à terme, à une médiation constructive entre les deux parties, israéliennes et palestiniennes. Celle-ci devra garantir de manière absolue et certaine la sécurité de l’État d’Israël. Le Hamas ne pourra naturellement pas être un interlocuteur. En revanche, la population palestinienne et des représentants respectueux de cette sécurité, oui.

 

Le Crif : En ce qui concerne la flambée de l’antisémitisme en France depuis le 7-Octobre, les actes et menaces antisémites ne cessant malheureusement pas, quelles doivent être, dans la foulée des Assises de la lutte contre l’antisémitisme qui viennent de se réunir, les mesures prioritaires à prendre ou à renforcer ?

Mathieu Lefèvre : La Ministre Aurore Bergé porte, politiquement et médiatiquement, ce sujet au Gouvernement. Elle a souhaité relancer les Assises de lutte contre l’antisémitisme, ce que je salue et soutiens. Celles-ci vont se traduire par de nouvelles mesures, tant pénales qu’éducatives. Elle a d’autant plus raison de porter ce sujet que nous faisons face à une classe politique qui considère l’antisémitisme « résiduel » tandis que les actes ont plus que triplé depuis le 7-Octobre. C’est le symptôme d’un mal profond de la société française, qu’il faut traiter pour ce qu’il est : une indignité républicaine.

 

 

Face à l’antisémitisme, « il faut que la Nation se réveille, pour agir dans trois domaines clés »

 

Le Crif : Vous pensez notamment à Jean-Luc Mélenchon ?

Mathieu Lefèvre : Oui, bien sûr, je pense à ce qu’il a lui-même dit, et à ce que pensent ou disent un certain nombre de gens à l’extrême gauche. L’antisémitisme est aujourd’hui à un niveau qui a atteint la cote d’alerte. Trop de personnes, et parfois d’élus, ne veulent pas le voir. Il faut que la Nation se réveille, en particulier pour agir dans trois domaines.

D’abord dans le domaine éducatif : il est inconcevable et insupportable de savoir que la Shoah ne peut pas être enseignée dans certains établissements scolaires. Il faut un électrochoc !

Il est tout aussi incompréhensible, au plan pénal, de voir une certaine impunité se développer. J’entends trop souvent des parents d’élèves dire : « Mon fils ou ma fille a été victime d’une insulte antisémite. » mais ne pas oser témoigner. Il faut au contraire le dire haut et fort pour qu’une réponse implacable frappe le moindre acte antisémite.
 

 

« Instaurer un délit de négation d’un État, comme le prévoit la proposition de Caroline Yadan »

 

Le Crif : Vous constatez des manquements, ou des retards, dans la prise en compte des plaintes par les autorités, qu’elles soient policières ou judiciaires ?

Mathieu Lefèvre : Il y a encore trop de non-déclarations parce que les victimes n’osent pas, ou parce qu’elles peuvent parfois craindre que la plainte ne soit pas bien reçue, ou peu suivie d’effets. Toutes choses égales par ailleurs, nous devons dans ce domaine faire ce qui a été fait en matière de violences sexuelles et sexistes. Il faut que les policiers et les gendarmes soient mieux formés aux actes et menaces antisémites afin qu’ils puissent appréhender leurs auteurs.

Sur le plan juridique, il faut absolument que nous puissions élaborer et voter le texte qui criminalise la négation de l’existence d’un État, en l’occurrence l’État d’Israël ainsi que le propose ma courageuse collègue Caroline Yadan. On ne peut pas accepter qu’il y ait un antisémitisme démocratique sous couvert d’antisionisme. 

 

Le Crif : Quelle serait la disposition législative nouvelle ?

Mathieu Lefèvre : Il s’agit de créer un délit de négation d’un État, comme le prévoit Caroline Yadan.

 

Le Crif : Une majorité de parlementaires vous apparaît-elle disposée à adopter cette nouvelle disposition législative ?

Mathieu Lefèvre : Je l’espère.

 

 
Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet

 

- Les opinions exprimées dans les entretiens n’engagent que leurs auteurs -

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