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Le Crif : L’Assemblée nationale est, depuis juillet dernier, très fragmentée. Du Parti Socialiste (PS) à Les Républicains (LR), une position de non-censure du Gouvernement Bayrou a été adoptée en janvier, La France insoumise (LFI) se retrouvant isolée à gauche, position qui a ensuite varié côté PS. Pourquoi avez-vous soutenu la première position, devenue majoritaire au PS semble-t-il ; est-ce un rejet durable de la stratégie du « chaos » voulue par Monsieur Mélenchon ?
Karim Bouamrane : Depuis juillet dernier, je défends une ligne constante et cohérente qui découle de la situation politique sans majorité à l’Assemblée nationale. Je la résume en trois points : le besoin de compromis, le refus du chaos pour avancer et l’affirmation d’un PS souverain dans l’opposition avec une ligne politique claire. La stabilité est essentielle, car le blocage du pays avec l’absence d’un Budget de l’État serait un désastre pour les Français ; les compromis comptent, car ils permettent d’arracher des avancées concrètes pour le quotidien des Français ; et la place des socialistes dans l’opposition apporte la clarté nécessaire aux électrices et électeurs de gauche. Responsabilité et clarté : c’est la position que je défendais depuis plusieurs mois. Et l’on peut collectivement se féliciter que mes amis députés du groupe PS à l’Assemblée aient tranché dans le même sens en refusant en janvier de voter la censure contre le gouvernement de François Bayrou.
Le Crif : Les dirigeants LFI ont fait peser une menace sur les Maires socialistes, qui souhaiteront se représenter devant les électeurs l’année prochaine aux élections municipales. Ces menaces vous font-elles peur localement, comme nationalement pour les autres Maires et élus PS ?
Karim Bouamrane : La peur ne fait pas partie de mes coordonnées politiques… Si on a peur de la confrontation démocratique, il faut faire autre chose que de la politique… En démocratie, ce sont les citoyens qui décident à la fin, et il ne faut jamais craindre le jugement électoral de nos concitoyens. Pour le reste, je crois que chacun a compris la stratégie nationale de LFI et de Jean-Luc Mélenchon pour les municipales de 2026 : déstabiliser les Maires de gauche partout où ils peuvent les déstabiliser : c’est la stratégie de LFI. Les municipales sont un moyen d’affaiblir leurs partenaires de gauche pour essayer de mieux les cueillir en 2027.
Par ailleurs, le prochain sujet sera le positionnement d’Europe Écologie Les Verts (EELV) qui devra choisir entre être à la remorque de LFI ou s’affranchir et ainsi préparer un rassemblement autour d’un projet clair sans ambiguïté autour des valeurs républicaines. De mon côté, ma majorité est citoyenne, socialistes, écologiques, communistes, Générations, et nous n’avons jamais transigé sur les valeurs et principes de la République. Sans prétention, Saint-Ouen-Sur-Seine devient une référence : sur notre façon de gouverner et sur nos résultats. C’est ce qui nous différencie. Moi, je suis dans le réel et mon objectif est d’améliorer concrètement la vie des gens.
La « méthode Saint-Ouen » est prise en exemple par le Sénat dans la lutte contre le narcotrafic, nous allons sortir du désert médical en saisissant l'opportunité de la venue du nouvel hôpital de Saint-Ouen Grand Paris Nord qui sera doté d’un superbe campus universitaire, nous doublons nos espaces verts, nous sommes la première ville de France qui a instauré les congés menstruels pour ses agentes… Ce ne sont que quelques exemples des grands changements engagés depuis quatre ans par notre équipe. C’est le plus important pour moi et notre majorité municipale. Et c’est d’ailleurs là-dessus qu’un Maire est et doit être jugé. Ce qui intéresse les habitants de chez nous, c’est de constater qu’ils habitent une ville où leurs enfants et eux-mêmes peuvent s’épanouir et s’accomplir en redonnant un sentiment de fierté.
C’est ce que j’appelle le « progrès partagé » et cela résume tout notre projet politique municipal. Nous sommes en train de faire de notre ville un centre à part entière au sein de la Métropole. Les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 (JOP2024) sont passés par là, ils furent un excellent accélérateur du changement, mais les JOP2024 n’ont pas tout fait tout seul comme par magie… Il y avait une vision, un projet, une volonté d’accrocher la dynamique des Jeux pour accélérer la transformation de la ville. C’est ainsi que je travaille avec mon équipe : toujours ouvert et disponible pour saisir les opportunités qui se présentent devant nous. Pour le reste, nous verrons aux élections, tout cela est encore loin. D’ici là, on a encore beaucoup de boulot, et c’est ma priorité avec la majorité de gauche qui m’accompagne de poursuivre notre travail au service de la population.
Le Crif : Le CEVIPOF-Sciences Po, avec son baromètre annuel de la confiance, a mesuré un record de défiances en France à l’encontre des politiques (dans leur ensemble) et des institutions. Comment, selon vous, mieux faire face à cette vague de défiances généralisées et aux postures populistes qui cherchent à en profiter ? Quelles mesures vous semblent nécessaires pour restaurer la confiance envers les politiques, d’ici 2027 ?
Karim Bouamrane : Cette situation vient de loin, mais elle atteint aujourd’hui des sommets inquiétants. La défiance gagne du terrain et la dernière enquête du CEVIPOF est là pour alerter tout un chacun. Jamais la défiance à l’égard des représentants politiques n’a été aussi grande ces dernières années. Je pense que l’on peut même parler d’une fracture de confiance (observable au moins depuis la crise des Gilets Jaunes fin 2018) que la dissolution, décidée en juin dernier par le président Macron, a accélérée et aggravée.
Mais j’observe, et c’est un signe positif d’espoir, que les Maires bénéficient encore de la confiance de nos concitoyens. C’est dû sans doute au fait que les Maires sont dans la proximité et dans le « faire » : les gens peuvent donc voir concrètement ce qui est fait chez eux et juger en conséquence, comme ils ont aussi accès à leurs élus dans la proximité. Ce qui compte, c’est l’action et l’efficacité de l’action publique. Inspirons-nous des Maires, personnalités préférées des Français pour renouer à l’échelle nationale.
Le Crif : Depuis le 7-Octobre et l’attaque terroriste du Hamas, une flambée d’actes et menaces antisémites est apparue en France et en Europe. Quels actes, propos ou menaces avez-vous pu constater dans votre ville et quelles sont les mesures qui vous paraissent les plus efficaces, les plus importantes à prendre ou à renforcer pour endiguer cette résurgence d’antisémitisme, notamment dans les quartiers populaires où les pires dérives et amalgames sont parfois observés en conséquence des événements du Proche-Orient ?
Karim Bouamrane : Je suis un Français et un républicain. Nous devons être intransigeant avec le racisme et l’antisémitisme, avec toute forme de discrimination. Et quand la loi n’est pas respectée, les sanctions doivent fermement s’appliquer. J’ai toujours été ferme sur cette question. Aucune dérive en la matière ne peut être tolérée. Je crois et continue de croire que l’éducation et l’école sont les meilleurs vecteurs pour transmettre et inculquer nos valeurs fondamentales de respect, de tolérance et de refus des discriminations, dont le racisme et l’antisémitisme sont les pires expressions. La laïcité en ce sens est essentielle. C’est elle qui nous permet de vivre ensemble, on doit tout faire pour que chaque enfant de la République puisse la faire sienne.
Les pouvoirs publics doivent continuer de s’impliquer dans la lutte contre l’antisémitisme et contre toutes les formes de racisme. C’est dans l’action, la mobilisation et la sensibilisation que nous allons endiguer les actes et les discours antisémites. L’autorité de la loi et de la Justice est pour le reste là, elle doit s’appliquer, à chaque fois pour jamais ne rien laisser passer en matière d’antisémitisme. Je suis aussi contre toute forme d’importation du conflit au Proche-Orient qui répondrait à une instrumentalisation politicienne. Je l’ai exprimé à de nombreuses reprises. On doit pouvoir débattre en paix et en sérénité de ce conflit tragique sans nous déchirer chez nous.
J’ai pour ma part toujours défendu la paix avec une solution à deux États entre Israël et Palestine. J’ai dénoncé de toutes mes forces les attaques terroristes du Hamas du 7 octobre 2023. Et cela ne m'empêche pas de dénoncer avec vigueur la politique de Monsieur Netanyahou et je m’associe avec tous les militants israéliens qui se battent pour un projet alternatif caractérisé par la coexistence pacifique entre un État israélien et un État palestinien. Aussi, depuis le 7 octobre 2023, je demande et défends la libération de tous les otages israéliens. Je suis heureux pour les familles qui ont pu récemment retrouver les leurs après des mois terribles en captivité. Je mesure aussi et partage la douleur des familles qui ont vu les leur mourir alors qu’ils étaient otages. Jeudi 20 février, les corps de quatre otages israéliens détenus à Gaza ont été rendus à leurs familles par le Hamas, dont ceux de la famille Bibas. J’ai une pensée pour eux comme pour toutes les familles des victimes.
Enfin, je dirais une chose simple : si nous voulons, nous Français, être un facteur de paix entre Israël et la Palestine, alors nous devons montrer un visage de paix nous-mêmes ! Comment voulez-vous avoir le moindre poids en faveur de la paix, si on se déchire comme on se déchire en France sur cette question ? Comme je l’ai dit récemment sur Radio J, les communautés juives et musulmanes françaises doivent travailler ensemble mais surtout être ensemble.
Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet
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