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Le Crif : Après près de quatre-vingt ans d’existence, l’alliance atlantique (OTAN) est-elle morte, ou simplement fragilisée ? Les dispositifs européens de Défense doivent-ils s’organiser en son sein ou, désormais, en dehors de ce cadre ?
Jean-Michel Jacques : L’imprévisibilité du Président Trump et ses récentes déclarations marquent en effet un tournant et conduisent à une nouvelle donne stratégique pour la défense du continent européen. Pour autant, l’OTAN demeure une alliance militaire crédible à laquelle la France doit continuer de prendre toute sa part… tout en continuant à jouer un rôle moteur dans la construction d’un pilier européen au sein de l’alliance.
Pour les Européens, l’enjeu est aujourd’hui de renforcer l’Europe de la défense. Je le rappelle, si chaque État demeure et doit demeurer souverain en matière de défense, cela ne nous empêche pas de vouloir tendre vers encore davantage d’interopérabilité et de faire émerger une autonomie stratégique européenne, notamment en matière d’équipements militaires.
Le Crif : Quelles sont les conséquences concrètes pour nos Armées, sur le plan opérationnel, après le dernier Conseil européen exceptionnel de Défense, qui a adopté un plan prévisionnel de 800 milliards d’euros ?
Jean-Michel Jacques : Le rehaussement des moyens pour nos forces et plus largement pour notre outil de défense permettra d’accentuer la remontée en puissance de nos Armées opérée depuis 2017. L’ambition portée par la Loi de programmation militaire 2024-2030, dont je suis le rapporteur, demeure inchangée : conserver à la France son autonomie d’analyse, de décision et d’action ; garantir son statut de puissance d’équilibres et son rôle de Nation-cadre.
Au regard des bouleversements géostratégiques en cours et de l’évolution des menaces, nous aurons sans doute à prioriser ou à investir davantage dans certains domaines tels que le spatial, la guerre électronique, le nombre de frégates ou de Rafales, l’intelligence artificielle, etc. L’actualisation annoncée par le Président de la République de la Revue nationale stratégique de 2022, à laquelle contribue la Commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale que je préside, permettra de faire un état des lieux précis de l’évolution des menaces et d’opérer ensuite les meilleurs choix pour notre défense.
À l’échelle européenne, les récentes annonces de la Commission européenne devraient également être davantage précisées et étoffer nos réflexions collectives, avec la parution ce 18 mars du Livre Blanc européen sur la défense. Mais en tout état de cause, il est essentiel que l’Europe se délivre de ses dépendances et bénéficie pleinement d’un véritable retour sur ses efforts budgétaires de défense, notamment en matière d’acquisitions d’équipements où nous devons collectivement soutenir une préférence européenne. C’est d’ailleurs tout l’enjeu des négociations en cours autour d’EDIP (The European Defence Industry Programme).
Le Crif : Si une trêve ou cessez-le-feu est obtenu en Ukraine, quelles sont les garanties de sécurité qu’il faut à vos yeux prévoir ?
Jean-Michel Jacques : Les garanties de sécurité pour l’Ukraine, c’est d’abord l’armée ukrainienne elle-même et les capacités de celle-ci. En cela, il est impossible d’envisager un futur accord de paix qui prévoit une démilitarisation de l’Ukraine comme le propose le Président Poutine.
Et ces capacités de l’armée ukrainienne évoquées précédemment sont en partie liées à l’aide fournie à l’Ukraine par les Européens, qui font preuve d’une mobilisation continue depuis le déclenchement de l’agression russe. Je pense par exemple à l’aide fournie en matière d’équipements militaires ou de formation.
Le Crif : Est-ce que l’envoi de soldats, « gardiens de la paix », européens (pourquoi pas Français) semble une option à retenir ?
Jean-Michel Jacques : Chaque chose en son temps. Les priorités aujourd’hui sont, d’une part, d’arriver d’abord à un cessez-le-feu puis à un accord de paix et veiller à ce que l’Ukraine soit à la table des négociations et, d’autre part, de permettre à l’armée ukrainienne d’être une garantie de sécurité pour son pays.
Pour autant, en cas d’accord de paix, des garanties internationales de sécurité seront indispensables et nous devons commencer à y réfléchir. C’est en ce sens que le Président de la République a réuni cette semaine les Chefs d’état-major d’une trentaine de pays.
Le Crif : Concernant le Proche-Orient, quelles sont pour vous les hypothèses les plus réalistes, et souhaitables, pour « l’après » trêve (si elle est maintenue) à Gaza en matière de gouvernance de ce territoire ?
Jean-Michel Jacques : Il reste encore aujourd’hui un certain nombre de points sur lesquels s’accorder, notamment la question d’une solution à deux États que la France soutient pour sa part. Concernant le plan présenté le 4 mars dernier par les pays de la Ligue arabe, celui-ci constitue une première base de travail crédible et réaliste pour répondre aux besoins de reconstruction, de gouvernance et de sécurité à Gaza. Il s’agit d’un premier pas perfectible et qui doit encore recueillir l’accord de toutes les parties prenantes.
Le Crif : Quels sont les principes qui doivent guider le rôle de la France dans les perspectives d’avenir de ce territoire et, plus généralement, du Proche-Orient ?
Jean-Michel Jacques : Un cessez-le-feu au Liban et la poursuite de la trêve à Gaza sont une nécessité pour assurer la sécurité et la stabilité au Proche-Orient et éviter l’escalade vers un conflit généralisé. La France, puissance d’équilibres et fervent défenseur du droit international, doit continuer à mettre en œuvre les moyens diplomatiques, humanitaires et militaires présents dans la région qui participent à la stabilisation de celle-ci.
Le Crif : Et les liens à entretenir ou développer, notamment avec l’État d’Israël ?
Jean-Michel Jacques : La France et Israël entretiennent des relations bilatérales depuis plus de soixante-dix ans. Cette relation se caractérise notamment par des coopérations dans des domaines variés : culturel, scientifique, économique, touristique mais également en matière de défense, notamment via un partenariat technico-opérationnel avec la Marine nationale et l’Armée de l’air et de l’espace. Ces liens entre nos deux pays doivent perdurer et se renforcer, et la France entend maintenir un dialogue d’amitié avec l’État israélien, comme elle l’a toujours fait.
Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet
- Les opinions exprimées dans les entretiens n’engagent que leurs auteurs -