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Le Crif : Vous portez La peste à l’écran de télévision : en quoi l’œuvre et la pensée d’Albert Camus sont, aujourd’hui encore, d’une grande modernité ?
Georges-Marc Benamou : Elles me semblent d’une grande modernité pour une principale raison. Ce grand intellectuel, ce grand écrivain, s’est tenu à l’écart de toutes les folies qui ont saisi notamment les intellectuels au 20ème siècle. Il s’est tenu à l’écart de la folie fasciste, qui a saisi bien des intellectuels esthétisants ou des intellectuels chrétiens, et il s’est tenu à l’écart évidemment de la passion stalinienne, même s’il a été communiste quelques mois. Son combat principal c’est cela : la lutte antitotalitaire qui fait de lui un intellectuel unique qui a vu, qui a anticipé, dont le regard nous accompagne.
Sur le plan littéraire, avoir écrit L’étranger, La chute, La peste, parmi les romans les plus universels, c’est aussi un gage de modernité, son œuvre est porteuse, aujourd’hui encore bien sûr, d’universalisme.
Le Crif : Dans les différents écrits du Prix Nobel de Littérature, lesquels vous ont le plus marqué, intéressé ? L’un de ses livres d’abord, ou ses articles dans « Combat » ? Vous êtes né en Algérie, à Saïda, cette terre commune de naissance a joué dans votre sensibilité camusienne ?
Georges-Marc Benamou : Difficile de trier, difficile de choisir bien sûr mais ce qui m’a semblé le plus pathétique, le plus douloureux, le plus fort, ce sont probablement ses textes écrits dans L’Express à partir de 1955, cet appel à la trêve civile qui donna lieu à un meeting début 1956, où il esquisse une utopie algérienne, loin de l’indépendance islamo-marxiste façon FLN et loin du colonialisme. Cette voie tracée là, cette voie unique n’a pas été suivie, hélas ; et il vivra douloureusement tout ce qui s’en suivra.
Le Crif : Comment est née l’idée, puis son cheminement, de transposer pour la télévision La Peste, œuvre magistrale de Camus qui se déroule à Oran, en la situant dans les années 2030 dans le sud de la France, qui voit surgir l’ombre d’un régime ultra-autoritaire, raciste et violent ?
Georges-Marc Benamou : La peste est un livre qu’on lit à l’adolescence, et dont le paysage et les héros vous accompagnent toute votre vie, comme chez Flaubert, comme chez Balzac. J’ai toujours été en quelque sorte ami de ces Résistants, du docteur Rieux, de Rambert, de Tarrou… ces personnages que je voyais évoluer dans un paysage abstrait.
On a dit que la peste, selon Camus, était une dénonciation de l’occupation allemande, de l’antisémitisme. En effet, il a vu monter cela, réfugié à Clermont-Ferrand puis, de retour à Oran, il a vu aussi la peste pétainiste s’abattre tandis qu’il décidait, lui, de donner des cours particuliers aux élèves juifs renvoyés des écoles à cause de la révocation du décret Crémieux (ndlr : décret de 1871 qui octroyait la citoyenneté française aux Juifs d’Algérie).
Donc La peste, oui évidemment, s’est imposé pour cette fiction, le grand Visconti s’étant préalablement attaqué à L’étranger.
Le Crif : Depuis le 7 octobre, nous avons assisté à la flambée des actes et menaces antisémites en France. Comment avez-vous vécu cette période, pensez-vous que cette peste de l’antisémitisme peut-elle être mortelle pour notre République, ses principes et l’équilibre démocratique, si les Français n’y prêtent pas garde ?
Georges-Marc Benamou : La peste en effet, oui l’antisémitisme est une peste. C’est un signal, cette peste qui monte. Il y a des appareils pour mesurer « l’empuantement » de l’air et en effet l’antisémitisme, et ce n’est pas nouveau, ce signal est avant-coureur des barbaries. Albert Camus aussi avait vu cela, ce danger mortel.
Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet
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