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Publié le 6 Janvier 2025

L'entretien du Crif – François Hollande : « l’autonomie » (vis-à-vis de LFI) « est condition de crédibilité des socialistes »

François Hollande, ancien Président de la République, expose sa stratégie pour le Parti socialiste. Il appelle à une « stabilité politique » par un dialogue exigeant avec le gouvernement Bayrou, et affirme la nécessité d’une « autonomie » vis-à-vis de LFI et Jean-Luc Mélenchon, en vue de 2027. Pour lui, une union victorieuse à gauche doit être responsable et respecter les fondements républicains comme la laïcité et la lutte contre les discriminations. Il souhaite un PS autonome et élargi, condition essentielle pour regagner la confiance des Français, et appelle à un congrès du parti en 2025 alliant « rassemblement et élargissement ». Évoquant la perspective de l’élection présidentielle, il considère que le PS est porteur du « vote utile » et dénonce aussi les ambiguïtés de LFI sur le terrorisme et l'antisémitisme, rappelant la fermeté historique des socialistes sur ces sujets. François Hollande conclut cet entretien par une analyse de la situation au Proche-Orient, exprimant à la fois un soulagement face à la chute d’Assad et des inquiétudes pour l’avenir de la région.

L’ancien Président de la République François Hollande expose avec précision, dans notre entretien, la stratégie qui, pour les socialistes, consistent d’une part à favoriser « une stabilité politique » en France, une discussion « responsable et exigeante » avec le gouvernement Bayrou, et conduit d’autre part à assurer une ligne d’« autonomie » assumée vis-à-vis de LFI et Jean-Luc Mélenchon, en vue de la prochaine présidentielle.

« La majorité de nos concitoyens ne veut pas que le chaos s’installe », observe François Hollande. D’où, selon lui, la nécessité « d’engager au plus tôt un dialogue avec une opposition vis-à-vis de laquelle le gouvernement doit consentir un certain nombre de concessions », qu’il évoque précisément. François Hollande trace par ailleurs les perspectives à venir de la gauche : « il ne peut y avoir d’union victorieuse (à gauche) que si elle se fait autour de la ligne d’une gauche de responsabilité, celle qui ne peut jamais mettre en cause les fondements de notre République, notamment la Laïcité, les règles de vie en commun, la lutte contre l’antisémitisme et toute forme de discrimination ».

Souhaitant que « l’élection présidentielle ait lieu à la date prévue en 2027 », il ajoute que « le Parti socialiste doit être pleinement autonome dans ses choix, c’est-à-dire capable de convaincre les Français de lui faire confiance et de lui-même s’élargir au-delà des frontières habituelles. L’autonomie, quel que soit le mode de scrutin, est la condition même de la crédibilité des socialistes pour accéder au pouvoir demain ».

Répondant aux questions de Jean-Philippe Moinet, François Hollande demande que la date du congrès du PS, prévu en 2025, soit « arrêtée le plus tôt possible » et évoque son rôle : « je ne ménagerai pas mes efforts pour la reconstruction d’une grande force socialiste. Depuis 2022, LFI s’est marginalisée et isolée par ses positions et ne peut plus incarner le "vote utile" à gauche. Le "vote utile" est désormais tourné vers la famille socialiste si elle s’élargit à l’électorat partiellement parti vers Emmanuel Macron en 2017 ». D’où son appel à un congrès qui « conjugue rassemblement et élargissement. »

L’ancien chef de l’État évoque aussi l’importance de la lutte contre l’antisémitisme, dans laquelle « la responsabilité des politiques est majeure » : « il est intolérable d’avoir vis-à-vis des Juifs qui vivent en France le moindre ressentiment. Importer le conflit ici c’est agir contre la République et l’unité de la Nation ». Il ajoute, visant LFI et Jean-Luc Mélenchon : « N’avoir pas dénoncé l’acte terroriste du Hamas le 7-Octobre demeurera pour longtemps une faute majeure […] De même avoir prétendu que l’antisémitisme "restait résiduel" en France ». Il insiste sur la « clarté » des socialistes : « nous avons toujours été d’une très grande fermeté dans la lutte contre l’antisémitisme car c’est pour nous un élément constitutif du pacte républicain depuis l’affaire Dreyfus ».

L’ancien Président analyse enfin pour nous la situation au Proche-Orient, l’isolement de l’Iran et l’avenir de la Syrie, expliquant pourquoi il est partagé entre « soulagement » (après la chute de la « dictature sanguinaire » de Bachar al-Assad) et « inquiétude ».

 

Le Crif : Avec une Assemblée nationale si éclatée et une culture du compromis si peu développée en France, comment trouver une stabilité politique ?

François Hollande : L’objectif que nous devons nous assigner est de retrouver une stabilité perdue, à cause d’une injustifiable dissolution. Elle a abouti à une représentation nationale éclatée en trois blocs. La majorité de nos concitoyens, mécontents du peu de cas réservé à leurs votes, ne veulent pas pour autant que le chaos s’installe. C’est donc la culture du compromis qui devrait nous inspirer.

Le gouvernement de François Bayrou est minoritaire en sièges à l’Assemblée, même s’il a pu associer tant bien que mal les pièces de ce qui a été appelé le « socle commun ». Il lui faut donc engager au plus tôt un dialogue avec une opposition vis-à-vis de laquelle il doit consentir un certain nombre de concessions.

 

« François Bayrou doit d’abord regarder les propositions qui viendront notamment du Parti socialiste »

 

Le Crif : Vous croyez plus au dialogue avec François Bayrou qu’avec Michel Barnier ?

François Hollande : Ce n’était pas la personne de Michel Barnier qui était en cause mais les conditions de sa nomination, puisqu’en septembre dernier le Président l’avait désigné avec l’assentiment du Rassemblement national (RN). Cet adoubement implicite l’avait conduit à discuter exclusivement avec le RN jusqu’à en être la victime. François Bayrou doit en tirer la leçon. Certes il lui revient de parler avec toutes les forces représentées au Parlement mais il doit d’abord regarder les propositions qui viendront notamment du Parti socialiste (PS) pour bâtir son nouveau budget.

 

 

Le Crif : Donc, selon vous, des points de convergence ne sont pas exclus entre le PS et le Premier ministre François Bayrou ?

François Hollande : Non, chacun connaît les points qui sont en jeu. Des gestes sont attendus sur les retraites, sur l’ampleur des ajustements fiscaux, sur le renforcement des services publics, notamment l’Éducation et la Santé. Et une plus grande clarté est exigée sur le respect de l’État de droit car c’est un principe intangible de la démocratie.

Sur ces bases-là, si chacun fait preuve de bonne volonté, une stabilité peut être trouvée pour les prochains mois. Elle ne conduit pas à une confusion des rôles et des responsabilités, ce n’est pas une cogestion politique, c’est un schéma dans lequel le gouvernement mène la politique de sa majorité relative mais s’oblige à des compromis avec l’opposition, et où la gauche montre qu’elle n’est pas figée dans une position de refus ou de recherche du chaos mais agit, par ses propositions, dans l’intérêt des Français.

 

Le Crif : On observe, depuis des mois, une gauche fragmentée entre des cultures et des options très divergentes – on pense à la lutte contre l’antisémitisme, à l’Europe, à la conception de l’économie, à la culture de responsabilité gouvernementale… Le maintien d’une union de façade avec LFI n’est-elle pas vouée à l’échec électoral, pour les socialistes et la gauche ?

François Hollande : Il y a toujours eu deux gauches dans l’histoire de notre pays. Une gauche qui aspirait à entreprendre des réformes dans un cadre républicain, dans le respect du droit et la compréhension des règles de l’économie. Et une gauche qui a pris plusieurs formes, plus contestataires, plus radicales, parfois plus révolutionnaires, qui trouve aujourd’hui son expression, même si elle parfois dévoyée, à LFI. Les électeurs de gauche aspirent naturellement, c’est légitime, à l’union. Mais il ne peut y avoir d’union victorieuse que si elle se fait autour de la ligne d’une gauche de responsabilité, celle qui ne peut jamais mettre en cause les fondements de notre République, notamment la Laïcité, les règles de vie en commun, la lutte contre l’antisémitisme et toute forme de discrimination.

En ce qui concerne l’avenir, dès lors que la prochaine échéance décisive est l’élection présidentielle, je souhaite qu’elle ait lieu à la date prévue en 2027, la question des alliances électorales ne se pose pas car il y aura un candidat de la gauche réformiste quoiqu’il arrive et un candidat – sûrement Jean-Luc Mélenchon ? – pour LFI. Cela ne passe par aucun accord électoral.

 

Du côté de la gauche radicale, « ce n’est pas seulement une personne (Jean-Luc Mélenchon) qui est en cause, c’est une ligne politique »

 

Le Crif : Mais on voit bien, dans les analyses d’opinion publique aussi, que l’alliance qui a été nouée aux dernières élections législatives est de nature à « plomber » la gauche dans son ensemble où, comme l’a dit par exemple François Ruffin (député de la Somme, ex-LFI), Jean-Luc Mélenchon est « un boulet ». Le temps n’est-il pas donc venu de s’en détacher ?

François Hollande : Certains font cette analyse, à gauche en effet, concernant Jean-Luc Mélenchon mais ce qui est en cause ce n’est pas seulement une personne, c’est une ligne politique. François Ruffin s’est arrêté sur le premier terme du problème mais reste accroché sur bien des aspects à la philosophie politique de LFI. Pour répondre plus globalement à la question stratégique que vous posez, le Parti socialiste doit être pleinement autonome dans ses choix, c’est-à-dire capable, par ses propres forces, par ses propositions, par son histoire et le bilan de ses gouvernements, de convaincre les Français de lui faire confiance et de lui-même s’élargir au-delà des frontières habituelles. L’autonomie, quel que soit le mode de scrutin (majoritaire ou proportionnel), est la condition même de la crédibilité des socialistes pour accéder au pouvoir demain.

Car les électeurs, que ce soit pour une présidentielle ou des législatives, ont des réflexes. C’est pourquoi chaque fois que la gauche a accédé au pouvoir, ce n’est pas tant parce qu’il y avait l’union (souvenons-nous des déchirures entre le PS et le PCF dans les années 70 et 80), mais parce que le pôle réformiste avait pris le dessus sur la radicalité du moment.

 

Le Crif : Mais en 2022 la candidate de votre formation a fait le plus mauvais score du PS depuis le début de la Ve République. Quelles sont les conditions, selon vous, pour que cela ne se reproduise pas en 2027 (ou avant) ?

François Hollande : Les conditions ont changé. Le Parti socialiste n’est plus dans l’état où il se trouvait en 2022, divisé, tétanisé, presque honteux d’avoir gouverné. Il a doublé sa représentation parlementaire en juillet dernier, après que Raphaël Glucksmann ait fait plus de 14 % aux européennes. Le PS est davantage conscient de sa responsabilité et je suis pour ma part revenu pour l’aider en me présentant aux élections législatives et je ne ménagerai pas mes efforts pour la reconstruction d’une grande force socialiste. Par ailleurs, depuis 2022, LFI s’est marginalisée et isolée par ses positions et ne peut plus incarner le « vote utile » à gauche.  Le « vote utile » se porte désormais tourné vers la famille socialiste si elle s’élargit à l’électorat partiellement parti vers Emmanuel Macron en 2017 et qui se sent orphelin. Cet électorat était largement le mien quand j’ai accédé à l’Élysée en 2012. Avec ce socle-là et sur cet axe-là, même si la gauche dans son ensemble n’est plus aussi haute que ce qu’elle représentait en 2012, il est possible pour un candidat social-démocrate d’accéder au second tour de la présidentielle.

 

Par un congrès « d’élargissement », le PS peut « reconstituer la grande force politique dont le pays a besoin pour son équilibre »

 

Le Crif : En 2025, doit se réunir un congrès du Parti socialiste, quel est son enjeu ?

François Hollande : Un Congrès est prévu mais il faut-il encore que sa date soit arrêtée. Le plus tôt sera le mieux. Je souhaite que le débat qui s’ouvrira soit le plus respectueux et le plus serein possible mais aussi le plus exigeant. Pour que ce congrès soit pleinement réussi, il doit conjuguer le rassemblement – que les socialistes se retrouvent largement autour des mêmes convictions social-démocrates – et l’élargissement, pour accueillir le mouvement « Place publique » de Raphaël Glucksmann, la Convention de Bernard Cazeneuve, les Radicaux de gauche, les macronistes « en rupture de banc », le tout pouvant reconstituer la grande force politique dont le pays a besoin pour son équilibre.

 

Le Crif : Ce principe d’ouverture à d’autres, pour le prochain congrès socialiste, est-il largement apprécié au sein du PS ?

François Hollande : Oui, je le crois. Si le Parti socialiste est autonome, il sera nécessairement ouvert. C’est la caractéristique même de l’indépendance que d’attirer des hommes et des femmes hors de son périmètre actuel. Des énergies positives, qu’elles soient individuelles ou collectives, assureront le renouvellement des idées, des visages et des comportements. L’année 2025 doit consacrer cette étape. Il faudra sans doute changer quelques postures et vaincre quelques préjugés pour bâtir un projet attractif pour les Français.

La politique dans son ensemble – je parle des partis qui sont des éléments structurants en République – souffrent d’un défaut de travail, alors qu’il faut reformuler les propositions, leur redonner du sens et de la substance, ouvrir des perspectives aussi car partout en Europe et on le voit aussi aux États-Unis, nous traversons une période d’extrémisation de la politique, de brutalisation du débat public, avec tous les dangers que cette radicalité comporte, avec ces simplifications outrancières, ce populisme débridé, ces facilités de langage, ces appels aux instincts les plus primaires, cet appauvrissement intellectuel.

Face à ces dérives, qu’on soit citoyen ou élu, nul ne peut rester spectateur par dépit. Dans les circonstances actuelles, un réengagement est plus que jamais salutaire. Je veux croire que cette prise de conscience citoyenne se produira au bénéfice du Parti socialiste s’il sait lui-même se rendre disponible et attentif aux mouvements de la société. Nous avons besoin de lieux de réflexion sur l’essentiel, d’espaces d’échanges sincères, de formes nouvelles d’implication qui donnent une nouvelle vigueur à notre démocratie et un espoir concret aux citoyens.

 

 

 

« Il est intolérable d’avoir vis-à-vis des Juifs qui vivent en France le moindre ressentiment »

 

Le Crif : Depuis le 7-Octobre 2023, l’antisémitisme a flambé en France, en paroles, en actes et en menaces. Comment faire face, selon vous, à ce fléau ? 

François Hollande : L’antisémitisme n’a malheureusement jamais disparu. Il a pu prendre des formes plus discrètes ou masquées. Il est toujours là. Quand je regarde les trente ou quarante dernières années, comment ne pas être frappé par la résurgence des flambées d’antisémitisme, sous tous les gouvernements, selon les circonstances internationales ou des contextes intérieurs. Mais il explose particulièrement quand des événements tragiques touchent le Proche-Orient – ce qui s’est produit le 7-Octobre, avec le massacre perpétré lors de l’attaque terroriste du Hamas au sud d’Israël – et quand il y a des mouvements ou des personnalités qui, sans les justifier, les expliquent, leur donnent une légitimité historique. Alors, se font jour des comportements qui, de proche en proche, mettent en cause l’État d’Israël pour rapidement devenir « antisionistes » et, à la fin des fins, antisémites, ils peuvent être au départ anti-israéliens pour rapidement devenir antisémites provoquant des violences inacceptables contre les biens et les personnes.

Pour enrayer un tel cycle, la responsabilité des politiques est majeure. Elle doit établir clairement la causalité des évènements, elle ne doit avoir de complaisance à l’égard de la violence, de propos et actes antisémites. Il s’agit de faire comprendre que si chacun peut exprimer sa réprobation sur ce qui se produit au Proche-Orient, il est intolérable d’avoir vis-à-vis des Juifs qui vivent en France le moindre ressentiment. Importer le conflit ici c’est agir contre la République et l’unité de la Nation.

 

Le Crif : Cette attitude de responsabilité politique pour le moins élémentaire n’a pas du tout été portée par la gauche radicale, qui a tendu au contraire, sous couvert d’« antisionisme », à essentialiser les Juifs de France et à propager un antisémitisme d’atmosphère, forme explosive de racisme qui menace les fondements même de la République française… Vous reconnaissez cette gravité ?

François Hollande : Oui. N’avoir pas dénoncé l’acte terroriste du Hamas le 7-Octobre demeurera pour longtemps une faute majeure. Et quand bien même elle a été rectifiée plus tard, cela restera toujours trop tard. De même avoir prétendu que l’antisémitisme « restait résiduel » en France quand les faits contre les Juifs ont augmenté de 300 % depuis le 7-Octobre est une autre faute. Enfin, utiliser des expressions ou des formules qui aboutiraient à nier l’existence d’Israël est une dérive inacceptable.

 

« La position du Parti socialiste a toujours été claire » face à l’antisémitisme

 

En revanche, la position du parti socialiste a toujours été claire. Avec les gouvernements que j’ai eu à conduire, nous avons toujours été d’une très grande fermeté dans la lutte contre l’antisémitisme car c’est pour nous un élément constitutif du pacte républicain depuis l’Affaire Dreyfus. François Mitterrand comme Lionel Jospin ont été exemplaires lors de tous les évènements qui ont pu concerner douloureusement les Juifs de France, comme sur la gestion du conflit israélo-palestinien. Président au moment des attentats qui ont visé Charlie Hebdo, puis l’Hyper Cacher, avec là aussi une montée de l’antisémitisme, je n’ai jamais rien cédé, j’ai lutté avec grande fermeté contre l’islamisme, contre la radicalisation, contre les groupes terroristes, ici comme en Syrie, avec une énergie qui n’a jamais été mise en cause, avec une netteté qui s’est à chaque fois affirmée.

Le PS a toujours refusé d’utiliser la sensible et douloureuse question palestinienne à des fins partisanes. Nous pouvons avoir, sur le règlement du conflit au Proche-Orient, des positions divergentes dans la société mais elles ne peuvent constituer un argument électoral, comme cela a été le cas au moment des dernières élections européennes. Comme si les musulmans de France ou ceux de nos compatriotes qui vivent dans les quartiers ne se déterminaient, pour exercer leur devoir civique, que sur la question palestinienne. Non pas qu’ils y soient indifférents mais leur première exigence, leur préoccupation quotidienne est d’avoir un emploi, du pouvoir d’achat, un meilleur logement et des conditions de vie meilleures. C’est une irresponsabilité, ou pire, un cynisme, que de chercher à communautariser les votes car la République, si elle est diverse, est d’abord une et indivisible. 

 

Le Crif : Comment analysez-vous la situation actuelle au Proche-Orient où on a vu, après l’affaiblissement du Hezbollah pro-iranien, le soudain effondrement du régime syrien de Bachar al-Assad. Êtes-vous plutôt optimisme ou plutôt inquiet quant à l’avenir de la Syrie ?

François Hollande : Ce qui s’est produit depuis des mois, c’est un affaiblissement considérable de l’Iran dans la région. Ses « proxys », que ce soit le Hamas, le Hezbollah ou les Houthis, ont vu leurs forces militaires sérieusement entamées, pour ne pas dire, pour certains d’entre eux, éradiquées. L’Iran, on l’a vu en Syrie, a subi une défaite et est partout en recul par rapport à ce qu’était sa position d’il y a dix ans.

 

Le Crif : Au point d’avoir le même sort que la dictature de Bachar al-Assad ?

François Hollande : C’est trop tôt pour pouvoir le dire mais le régime iranien est conscient qu’il est dans une situation délicate avec des difficultés majeures sur le plan politique et économique qui l’obligera tôt ou tard à rechercher un dialogue plutôt qu’un affrontement avec un rapport de forces militaires qui lui serait défavorable. Nous l’avons observé en Syrie comme au Liban : l’Iran n’a pas déployé de moyens matériels et humains pour défendre le régime syrien de Bachar al-Assad, ni pour conforter le Hezbollah.

 

Face à l’Iran, affaibli, « je pense que la présidence de Donald Trump épousera la logique de normalisation »

 

Dans ce contexte, deux attitudes sont possibles. Soit de continuer à affaiblir l’Iran et à la priver de ressources avec l’hypothèse d’un effondrement mais avec le risque d’une montée des tensions aux extrêmes. Soit de saisir cette opportunité pour hâter la fin de conflit, à Gaza, au Liban c’est fait, dans une optique de normalisation des relations dans la région du Proche-Orient.

 

Le Crif : Avec l’Iran ?

François Hollande : Y compris avec l’Iran en proposant un nouvel accord pour l’empêcher de se doter de l’arme nucléaire, alors que cette hypothèse reste une menace très sérieuse. Bref, est-ce que la période provoquée par le 7-Octobre va ouvrir une voie à la diplomatie permettant une négociation pour en terminer avec les issues belliqueuses ? Où va-t-elle être la poursuite des affrontements débouchant sur un conflit général ? Contrairement à ce qui est imaginé, je pense que la présidence américaine de Donald Trump épousera la logique de normalisation.

 

Le Crif : Pourquoi ? Parce qu’il tiendrait prioritairement à réactiver les Accords d’Abraham ? 

François Hollande : Pour deux raisons. D’abord pour prolonger ce qu’il avait engagé avec les Accords d’Abraham et les élargir à l’Arabie Saoudite, laquelle Arabie Saoudite a repris ses relations avec l’Iran. Ensuite, parce que Trump n’est pas un néo-conservateur ordinaire, il ne veut pas faire la guerre, il veut arrêter les guerres, il le dit pour l’Ukraine hélas (car les conditions sont indéfinies et peuvent mettre en cause la souveraineté et la défense de l’Ukraine agressée) et c’est ce qu’il peut entrevoir au Proche-Orient. Mais arrêter une guerre ce n’est pas régler le fond d’un conflit. Geler une situation ce n’est pas résoudre un problème, c’est le perpétuer. Quelle sera en ce cas l’attitude du gouvernement israélien dans ce scénario ? Voudra-t-il s’engager dans cette discussion ? En aura-t-il le choix ? Il y a naturellement un certain nombre d’inconnues dans l’équation du futur proche-oriental.

 

Entre « soulagement et inquiétude »
à propos de la Syrie

 

Le Crif : Et concernant l’avenir de la Syrie ?

François Hollande : J’ai d’abord un regret. Le régime de Bachar al-Assad aurait pu disparaître il y a plus de dix ans si le Président américain de l’époque, Barack Obama, le Premier ministre britannique, David Cameron, nous avaient suivis pour intervenir après l’utilisation des armes chimiques en Syrie. Le fait qu’il n’y ait pas eu de réponse militaire à ce moment-là a permis à la Russie de s’installer davantage encore en Syrie pour défendre cette dictature et massacrer, par des bombardements, des dizaines de milliers de personnes.

La Russie étant récemment trop occupée militairement en Ukraine, et l’Iran étant empêché, le régime syrien s’est donc effondré, sachant que la Turquie en a profité pour devenir la puissance dominante en Syrie. La question est de savoir maintenant si Erdogan acceptera que s’installe durablement en Syrie un régime qui respecte le pluralisme politique et les minorités religieuses. La question est aussi de savoir si la Turquie acceptera que les Kurdes de Syrie continuent à administrer le territoire qu’ils ont libéré de Daech et donc à nous protéger, car les Kurdes sont nos gardiens de prisons dès lors qui retiennent les djihadistes de l’État islamique. Enfin, est-ce que nous, Européens, allons être clairs et fermes avec le nouveau régime pour éviter qu’il entretienne en Syrie des forces terroristes régionales et pour être sûrs qu’il nous restituera nos concitoyens partis faire le djihad ces dernières années car parmi les combattants d’Al Nosra, ces forces qui ont renversé le régime de Bachar al-Assad, il y a des Français potentiellement dangereux. Est-ce que ces individus-là vont revenir en Europe, est-ce qu’ils peuvent être précisément identifiés ? Tout cela doit être discuté avec le nouveau régime.

La situation est donc à la fois un soulagement car la Syrie était en fait une base arrière (ou avancée) de l’Iran et de la Russie, dirigée par un régime sanguinaire. Mais l’inquiétude ne peut être entièrement levée compte tenu du rôle de la Turquie et de la présence de terroristes qui ne sont pas encore neutralisés. La vigilance doit donc s’imposer.

 

Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet

 

- Les opinions exprimées dans les entretiens n’engagent que leurs auteurs -