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Publié le 21 Octobre 2024

L'entretien du Crif - Christian Estrosi : « Ignorer l’objectif [iranien] de destruction d’Israël, c’est se tromper et tromper les Français »

Numéro deux du mouvement Horizons, le maire de Nice Christian Estrosi évoque pour nous la nature profonde du 7 Octobre et ses conséquences, en France comme au Proche-Orient. Particulièrement critique à l’égard de la toxicité de LFI et de Jean-Luc Mélenchon, « sortis du champ de la République » dit-il, il pense que face à un axe de droite républicaine et du centre, une gauche sociale-démocrate et républicaine peut se reconstituer. Il distingue « les quatre formes d’antisémitisme qui convergent dangereusement » en France et estime que les autorités devraient s’exprimer beaucoup plus « clairement » sur la situation au Proche-Orient, par exemple pour « qualifier le Hezbollah d’organisation terroriste comme le font le Canada et les États-Unis » et reconnaître la légitime défense d’Israël. En réponse aux questions de Jean-Philippe Moinet, le vice-président d’Horizons s’oppose ainsi nettement aux récentes déclarations d’Emmanuel Macron : « Derrière le Hezbollah, on le sait mais il faut le répéter, il y a l’Iran et la Mollah-cratie, obsédée par la destruction d’Israël et de son peuple. Ils l’ont toujours dit, leur objectif final est la disparition d’Israël. L’ignorer c’est se tromper et c’est tromper les Français. »

Le Crif : Plus d’un an après le 7 Octobre, quelles leçons tirez-vous ?

Christian Estrosi : Ce qui a été porté au regard du monde est l’un des pires exemples de barbarie. Une barbarie antisémite. Seuls des Juifs ont été visés et victimes de cet acte de barbarie. Le 7 Octobre est un pogrom sans précédent depuis la création de l’État d’Israël, comparable dans sa conception, sa nature et sa démarche, à ce qu’a représenté la Shoah. L’échelle de l’entreprise d’anéantissement, chez les nazis, était une échelle industrielle monstrueuse mais l’état d’esprit du terrorisme du Hamas a été le même, il a visé et vise encore la destruction d’Israël et du peuple juif. Ce qui a été terrifiant, dans cette ère de l’image et des réseaux sociaux, c’est que l’abominable a été montré, affiché, proclamé, des corps violés, mutilés, de femmes, d’enfants, ont été brandis comme des trophées par les terroristes. Les images du 7 Octobre, toutes certifiées et documentées, sont terrifiantes. Rien ne peut justifier de telles atrocités. Il faudra continuer d’être intransigeant sur ce point majeur.

On avait pourtant connu des attentats, des voitures piégées, des gens se faire exploser dans un autobus. On pensait avoir tout vu en matière d’actes terroristes, mais le 7 Octobre, au-delà d’un simple acte terroriste, est un pogrom. Il faut se représenter ce que cela représente durablement pour la conscience. C’est une épouvante qui devrait saisir le monde entier pour permettre de l’exclure définitivement.

 

« Mélenchon a définitivement franchi les limites qui séparent ceux qui sont dans le champ de la République et ceux qui n’y sont plus. »

 

Le Crif : On a pourtant l’impression, en France notamment, que certains ne veulent toujours pas voir la dimension et la nature du 7 Octobre, la volonté de détruire l’État d’Israël ouvertement portée par des organisations terroristes, soutenues par des États. Comment qualifiez-vous cette occultation-là ?

Christian Estrosi : Je suis frappé par une chose : le 7 Octobre, c’est la démonstration au vu et au su de tous que les antisémites sont toujours là et qu’ils sont armés. Cela a libéré la parole antisémite : dès le 7 octobre 2023, les antisémites n’ont plus eu peur de dire « à mort Israël », pour dire au fond « à mort les Juifs ». Au-delà d’activistes militants, certains leaders politiques ont attisé les braises, ont cherché à amplifier les haines et sont sortis délibérément du simple débat politique ou géopolitique sur la Palestine. Je remercie d’ailleurs les services de sécurité français, à Nice comme ailleurs en France, d’avoir permis d’arrêter ceux qui ont lancé des appels à la haine et à la violence antisémite dans ma ville et notre pays.

Que certains acteurs politiques, qui portent l’écharpe tricolore, instrumentalisent de manière cynique et scandaleuse le 7 Octobre, convaincus qu’ils en tireront un bénéfice politique ou permettront de porter, par exemple, Jean-Luc Mélenchon au second tour de la prochaine présidentielle, tout cela est proprement révoltant. Il y a quelques années, Jean-Luc Mélenchon se présentait encore comme un républicain. Il a définitivement franchi les limites qui sépare ceux qui sont dans le champ de la République de ceux qui ne le sont plus.

 

Le Crif : Cette dérive manifeste fait aussi que, selon les études d’opinion, Jean-Luc Mélenchon est devenu la personnalité politique la plus rejetée par les Français, il a même largement dépassé Marine Le Pen en ce domaine…

Christian Estrosi : C’est vrai mais malgré tout, et c’est ce qui est terrible, il bénéficie d’un socle qui peut le porter au second tour de l’élection présidentielle. La réalité du mode de scrutin, c’est qu’un score de 17, 18 voire 19 % des suffrages exprimés pourrait qualifier Jean-Luc Mélenchon au second tour de l’élection présidentielle. C’est le danger. Aujourd’hui, si les Français n’y prennent pas garde, on peut avoir un deuxième tour Mélenchon–Le Pen.
À gauche, les résultats des dernières législatives accréditent l’idée qu’aux prochaines élections municipales [de 2026 ndlr] et à la prochaine présidentielle, il existe une chance de s’unir et qu’au fond, il est possible de voir s’afficher, sous une même bannière : les fachos antisémites de Mélenchon, les centristes de Monsieur Hollande ou des écologistes prêts à faire feu de tout bois sans état d’âme. Tout cela peut conduire au pire.

 

 

« Je commence à croire qu’une gauche sociale-démocrate et républicaine se reconstitue. »

 

 

C’est pour cela que je souhaite qu’une gauche responsable puisse se reconstituer sur les fondamentaux républicains. Par exemple avec Bernard Cazeneuve, Raphaël Glucksmann, d’autres élus comme François Rebsamen, Jérôme Guedj et d’autres dans la famille politique issus de la gauche socialiste comme Manuel Valls.

 

Le Crif : Vous croyez à cette possibilité, pour la gauche républicaine, sociale-démocrate et européenne, de se reconstituer et redevenir dominante à gauche ?

Christian Estrosi : Oui, je commence à y croire. Voyez ce qui s’est passé lors des dernières élections européennes. Je pense qu’à l’avenir on pourrait avoir à la fois un axe républicain de droite, qui constitue avec le centre et le centre droit un axe fort, et de l’autre côté de l’échiquier un axe de centre gauche-gauche républicaine, qui se reconstitue avec des personnalités de qualité et de responsabilité pour que, progressivement, les extrêmes retrouvent leur lit traditionnel, duquel ils n’auraient jamais dû sortir.

 

 

Le Crif : Vous pensez que « le dépassement » [des clivages] d’Emmanuel Macron, qui a prévalu en 2017, est donc aujourd’hui dépassé ?

Christian Estrosi : Il n’est jamais mauvais que des personnes qui ne pensent pas toujours la même chose puissent converger mais je pense qu’il y a toujours, au fond, une France de droite et une France de gauche. Pour ma part, les notions de droite ou de gauche peuvent me paraître un peu réductrices. Je sais ce que je suis en tous les cas : tout à la fois un gaulliste, un humaniste, libéral, attaché à l’économie de marché, à l’innovation, défenseur de la souveraineté et de notre système de protection sociale conçu au niveau français, déployé à l’échelle européenne, pour nous protéger des déstabilisations venues d’Asie ou d’ailleurs. Je crois aussi en l’autorité régalienne, qu’il s’agisse de Sécurité publique, de Justice. Je pense essentiel de mener le combat pour la sauvegarde de l’Éducation nationale qui consolide le pacte républicain. Au fond, pour revenir au tragique événement du 7 Octobre et ses conséquences, je crois que notre pays a besoin d’opérer une clarification avec lui-même.

 

 

« Le 7 Octobre a déclenché quatre formes d’antisémitisme, qui convergent dangereusement en France »

 

Le Crif : C’est-à-dire ?

Christian Estrosi : Le 7 Octobre a déclenché quatre formes d’antisémitisme, qui convergent dangereusement. D’abord, un antisémitisme politique, dont nous avons parlé, avec sa part de calcul électoral, de cynisme et d’irresponsabilité. Un antisémitisme religieux, qui s’enracine dans ce que j’appelle l’Islam politique, agité violemment par l’islamisme pour s’en prendre à ce que nous incarnons, à notre héritage civilisationnel, à notre construction judéo-chrétienne, que l’on soit croyant ou non. Il y a aussi le vieil antisémitisme, venu des périodes les plus reculées de l’histoire, qui sommeillait chez certaines personnes avec ses préjugés épouvantables et qui continue de couver. Il y a enfin cet antisémitisme actuel, qui me fait peur, qui s’exprime chez certains jeunes et se propage parfois dans les universités, dans certains cercles « branchés », à Sciences Po, sous couvert de « décolonialisme » et d’« antisionisme ». Cet antisémitisme feint de s’ignorer, mais il ne trompe personne. Le tout forme un cocktail extrêmement explosif.

Avant d’engager un débat politique et civique digne de ce nom en France, il faut au préalable recréer un paysage où on puisse clairement nommer le mal et dénoncer toutes les dérives qui mettent en cause notre pacte républicain et les fondements de la cohésion sociale.

 

Le Crif : Cela passe par quoi en termes de mesures et d’actions ?

Christian Estrosi : Il faut d’abord que la social-démocratie se reprenne. Je pense qu’elle commence un peu à le faire, depuis les élections européennes et législatives. À l’Assemblée nationale, on a vu aussi se constituer, ce qui était loin d’être évident – moi-même je n’y croyais pas beaucoup –, une majorité certes relative qui relie Renaissance, Horizons, le Modem et Les Républicains, c’est un schéma qui, malgré ses fragilités, me donne quand même de l’espoir.
Maintenant que nous sommes arrivés à cela, il faut se montrer intraitable, tout le temps et d’abord à l’école, en matière de respect de la Laïcité. C’est un principe à valeur constitutionnelle, il n’y a pas de discussion possible en ce domaine. L’universalisme de nos principes républicains est le meilleur rempart contre toutes les haines qui menacent. Le Crif en est d’ailleurs porteur.  En cela il a toujours été et reste à l’avant-garde de la défense de la République française.

 

 

« Face aux activistes de l’islamisme, je dis ‘‘N’ayez pas peur’’. Quand vous n’avez pas peur, vous gagnez la partie. »

 

Le Crif : Certains citoyens néanmoins faiblissent, par peur parfois…

Christian Estrosi : L’universalisme républicain se défend. Je ne cesse de le dire sur le terrain chez moi à Nice : « arrêtez d’avoir peur ». Les ennemis de la République et de la démocratie n’attendent que cela. On ne m’empêchera pas, par exemple, de mettre le drapeau et l’étoile de David sur le fronton de ma mairie tant que le dernier otage ne sera pas rendu à sa famille. Cela fait plus d’un an que ce calvaire dure pour les otages du Hamas à Gaza et pour leur famille. Des dizaines d’activistes enragés ont manifesté tous les jours devant mon bureau, j’ai reçu un flot d’injures et de menaces, mais ils ont fini par refluer, il n’y en a plus aujourd’hui, ils ont vu que jamais je ne renierai ma parole, jamais !

Je dis donc « n’ayez pas peur ». Si vous n’avez pas peur, vous gagnez la partie. J’ai mis un point d’honneur à inaugurer à Nice le 7 octobre dernier, en compagnie notamment de Joann Sfar, un monument en mémoire du 7 octobre 2023 pour qu’on puisse s’y recueillir. Je n’ai pas vu un tel monument être érigé, par exemple à Paris.

 

« J’attends que la France dise les choses plus clairement. Notamment concernant le Hezbollah et le droit d’Israël à la légitime défense. »

 

Le Crif : Le Président de la République Emmanuel Macron ne cesse d’appeler au cessez-le-feu dans la guerre au sud d’Israël à Gaza et celle engagée au nord d’Israël au Liban, il a même déclaré qu’il souhaitait un embargo sur des armes livrées à Israël. En Israël, on estime que cela constitue une atteinte au droit de légitime défense du pays contre les attaques subies. Qu’en pensez-vous ?

Christian Estrosi : Israël n’a pas voulu cette guerre. On la lui impose. Le Hamas et le Hezbollah ont attaqué, pas l’État d’Israël. Ce dernier est donc en situation de légitime défense. Israël ne veut pas cette guerre mais il veut la terminer.

Concernant le Liban, voyons la réalité. Je connais beaucoup d’amis libanais qui se disent « pourvu qu’Israël nous libère du Hezbollah ». Car qui gouverne au Liban ? Est-ce les représentants souverains du pays ou est-ce le Hezbollah, organisation téléguidée par l’Iran qui impose ses violences, y compris les violences contre les Libanais ? On parle du Hezbollah comme si c’était un parti comme les autres alors que c’est un mouvement terroriste qui a pris les atours d’un parti politique pour sévir.

La France devrait-elle oublier que le Hezbollah a assassiné 58 soldats français ? J’attends que la France dise les choses plus clairement et rappelle qu’il s’agit d’une organisation terroriste, comme le font le Canada et les États-Unis. Derrière le Hezbollah, on le sait mais il faut le répéter, il y a l’Iran et la « Mollah-cratie », obsédée par la destruction d’Israël et de son peuple. Ils l’ont toujours dit, leur objectif final est la disparition d’Israël, qu’ils voudraient rayer de la carte.

L’ignorer c’est se tromper et c’est tromper les Français. Il y a deux visions du monde qui s’affrontent au Moyen-Orient. Moi, j’ai choisi la mienne. Les islamistes qui ont tué 86 personnes sur la promenade des Anglais, à Nice en 2016, sont les amis du Hezbollah et du Hamas. Je dis donc : « qui veut la paix, combat les terroristes ». Je veux la paix.

Dire ou laisser croire que défendre Israël n’est pas nous défendre nous-mêmes est une erreur profonde. Il ne faut pas sombrer dans les faiblesses dans lesquelles certains politiques français sont déjà tombés par le passé, par exemple avant 1914 ou en 1938 avec les Accords de Munich. Pour ma part, face aux forces du terrorisme, je ne serai jamais un Munichois.

 

Inauguration à Nice le 7 octobre dernier, par le Maire Christian Estrosi accompagné notamment du dessinateur Joan Sfar, du monument érigé pour honorer durablement la mémoire des victimes du 7 Octobre 2023.

 

Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet

 

- Les opinions exprimées dans les entretiens n’engagent que leurs auteurs -