Richard Prasquier

Ancien Président du CRIF

Le Billet de Richard Prasquier - Sur les différents sens du mot Nakba

23 Mai 2023 | 182 vue(s)
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Chronique de Bruno Halioua, diffusée sur Radio J, lundi 12 février à 9h20.

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Israël

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L’indépendance d’Israël fut proclamée le 14 mai 1948, 4 du mois de Iyar. Le lendemain, le 15 mai, reste donc dans la mémoire collective le premier jour d’existence effective de l’État d’Israël, même si dans le calendrier hébraïque c’est au 26 avril que correspondait cette année le 75ème jour de l’Indépendance.

Mais désormais, le 15 mai risque d’être officiellement le jour de la Nakba. À la suite d’une résolution de l’Assemblée Générale des Nations Unies, une journée solennelle s’est tenue à New-York pour marquer le 75ème anniversaire de ce désastre. Car Nakba, un mot rare, signifie, nul ne l’ignore désormais, « désastre ». 

Que connote ce mot ?

Étymologiquement, la racine arabe partage avec l’hébreu le sens de perforation, perforation d’organe ou perforation féminine dans une description particulièrement machiste dont on retrouve des exemples dans la liturgie juive. Le premier à l’appliquer au conflit israélo-arabe fut un historien chrétien orthodoxe, Constantin Zureik, l’un des maîtres à penser du Baath. Dans son livre, la Signification du désastre, Ma’ana hanaqba, Nakba se réfère à la déroute militaire des pays arabes face aux sionistes. 

À l’occasion de ce conflit 700 à 750 000 Arabes palestiniens ont fui, d’après les évaluations des historiens. Plus de 900 000 en ont été expulsés, dit le narratif palestinien : c’est cela aujourd’hui la Nakba et cette définition existe depuis de nombreuses années, car le glissement de sens a permis aux pays arabes d’occulter en partie la honte de leur défaite.

L’Organisation des Nations Unies (ONU) a aussi joué un rôle dans cette évolution sémantique en créant pour les réfugiés palestiniens une organisation dédiée, l’UNRWA, et en leur attribuant un statut héréditaire de génération en génération, unique dans l’histoire. L’UNRWA n’a pas cherché à faciliter leur intégration dans des pays voisins dont ils partageaient la langue, la culture et la plupart du temps la religion. L’enkystement de la question des réfugiés palestiniens sous le terme de Nakba a servi d’alibi aux politiques, de slogan aux tribuns et fut finalement une malédiction pour les Palestiniens eux-mêmes.

Les réfugiés sont une figure malheureusement banale, que les Juifs ont eux-mêmes, entre Ashkénazes et Sépharades, beaucoup affichée au cours du XXème siècle. Il y a eu au moins autant de réfugiés juifs du monde musulman, chassés avec une simple valisette d’un pays où ils avaient parfois vécu depuis plus de 2 000 ans, que de réfugiés palestiniens au cours de la Nakba. La plupart de ces derniers ont fui non pas parce que les dirigeants arabes leur promettaient un retour rapide après la victoire, narratif commode qui a longtemps eu cours dans les milieux sionistes, mais réalité en fait marginale. Ils ont fui parce que les conflits entraînent des peurs et donc des exodes et plus encore un conflit comme celui-ci où la crainte des représailles était particulièrement forte et reposait sur des épisodes connus et souvent amplifiés. Mais il est vrai que beaucoup de Palestiniens ont été chassés par l’armée israélienne, notamment dans certaines localités et au cours de certaines phases de la guerre. David ben Gourion qui avait réfléchi sur le démantèlement de la Tchécoslovaquie avant la Seconde Guerre mondiale, ne voulait pas qu’une population arabe trop nombreuse, ne devienne ultérieurement auprès des pays arabes voisins, le point de départ d’un nouveau conflit, comme les Sudètes germanophones avaient été le prétexte à l’intervention de Hitler. Les historiens israéliens n’ont pas été les derniers à décrire les faits avec objectivité, aussi pénibles qu’ils fussent pour la bonne conscience nationale.

Les réfugiés de l’histoire ont habituellement refait leur vie dans des pays d’accueil. Il aurait facilement pu en être de même pour les réfugiés palestiniens, si des traités de paix avaient été signés. Mais la détresse réelle des réfugiés palestiniens a été soigneusement mitonnée de façon à en faire le prétexte à la lutte ultérieure qui rejetterait enfin les Juifs à la mer et les éradiquerait de cette terre où ils n’avaient apparemment rien à faire…

Dans son discours du 15 mai à New-York, Mahmoud Abbas a demandé aux Nations Unies d’expulser Israël des Nations Unies s’il refusait le retour des réfugiés : « Je suis un réfugié palestinien. Je veux retrouver ma terre natale, Safed… ». Il sait parfaitement que le retour des réfugiés, d’autant que leur nombre s’est multiplié au cours des années de façon étonnamment exponentielle, est inacceptable car suicidaire pour Israël, mais il continue de présenter ce retour comme une exigence fondamentale, tout en clamant en même temps une volonté de paix qui n’est que parole verbale.

Abbas, qui lors d’une conférence de presse avec le Chancelier Scholz, il y a moins d’un an, avait déclaré à la stupéfaction de son hôte qu’Israël commettait un Holocauste en Palestine, a accusé à New-York les Israéliens de mentir comme Goebbels et de prétendre indument qu’ils étaient une démocratie. Il a vanté l’extraordinaire réussite culturelle de la Palestine et le haut niveau du pays avant l’arrivée des sionistes, en niant toutes les améliorations que les sionistes se vantaient d’y avoir accompli. Last, but not least, il a terminé son long discours en rejetant par la moquerie la moindre connexion entre Jérusalem et un supposé temple juif. 

Les paroles de Mahmoud Abbas sont cohérentes avec son passé. Il a commencé sa carrière par une thèse négationniste sur la Shoah. Il la termine par des déclarations négationnistes sur Israël et par le rejet des évidences historiques qui font de Jérusalem le noyau de l’identité juive, et corollairement d’ailleurs, de l’identité chrétienne.

C’est le glissement sémantique actuel du mot Nakba. Il n’y a de commémoration pour aucun des drames qui depuis 1945 ont obligé plus de 100 millions de personnes dans le monde à quitter leur domicile (chiffres du Haut-Commissariat des réfugiés de l’ONU), et l’ONU n’est toujours pas capable de reconnaître le génocide arménien en raison de l’obstruction de la Turquie. Les 200 000 Soudanais qui viennent de fuir leur pays après quelques jours seulement de guerre civile et ajoutent leur nombre aux dizaines de millions d’autres n’auront évidemment pas non plus de commémoration internationale. Seule la Nakba a ce privilège…

La mise en exergue de la Nakba exprime une volonté politique précise de la part de ses promoteurs. Il ne s’agit pas d’aider à la solution d’un drame humain qui, aussi douloureux qu’il soit, ne fut pas unique dans l’histoire et pour lequel les responsabilités sont pour le moins partagées, d’autant que ce ne sont pas les sionistes qui ont rejeté le plan de partage et qui ont entamé le combat. Il s’agit de poser la Nakba comme l’archétype des crimes, d’en faire la « véritable » Shoah et de nier le moindre ancrage géographique aux Juifs sur une terre à laquelle ils se rattachent pourtant par toute leur histoire et toutes leurs traditions.

Cette résolution a été votée le 30 novembre 2022, 75 ans après le scrutin historique du 29 novembre 1947 en faveur d’un État juif, mais aussi 45 ans après que l’Assemblée Générale eut décidé que ce jour serait celui de la solidarité avec les Palestiniens. Le remplacement du calendrier israélien par un calendrier victimaire palestinien est l’indice d’une irrépressible pulsion d’effacement d’Israël.

Une trentaine de pays l’ont compris, qui ont voté contre cette résolution. Il y a parmi eux la plupart des démocraties et notamment la majorité des pays européens.

La France, elle, s’est abstenue. 

Je m’abstiendrai de commenter son abstention…

 

Richard Prasquier, Président d'honneur du Crif

 

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