Le billet de Pierre-Michel Kahn – L’attente

11 Septembre 2024 | 70 vue(s)
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Opinion

Découvrez mon discours prononcé lors de la plénière de clôture de la 11ème Convention nationale du Crif, le 14 novembre 2021, en présence du Premier ministre Jean Castex.

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C’est le 7 septembre 1944. Le petit Pierre est heureux : il a douze ans aujourd’hui, un très bel anniversaire, le plus beau depuis longtemps. Les Américains sont arrivés à Besançon : ils viennent d’installer un nid de mitrailleuses sur la colline qui surplombe le Préventorium où il se cache, Oncle Marcel, comme on appelle les moniteurs, va porter quelques fruits aux soldats et l’a autorisé à l’accompagner, puisque c’est son anniversaire.

Pierre n’a plus peur, peur de voir arriver des policiers allemands et français qui le recherchent, alors qu’il y a quelques mois, il leur a échappé, grâce à tante Lou* ; celle-ci a réussi à le faire sortir de la prison de Montbéliard où hélas, ses parents, Gaston et Alice, sont restés. On dit qu’on les a envoyés travailler en Allemagne. Mais maintenant, ils vont venir le chercher, c’est sûr ; le petit Pierre regarde le chemin conduisant au Préventorium, il regarde, il les attend. Puis il réfléchit : c’est encore trop tôt, la guerre n’est pas terminée, la France n’est pas encore totalement libérée, les Alliés ne sont pas encore entrés en Allemagne. Il faut encore un peu de patience.

Et la patience, il en faut, pendant l’année qu’il passe ensuite dans un village de Suisse chez sa grand-mère. Aidé de sa tante Suzy, il écrit des lettres, partout, à des services, des administrations. Un jour, il reçoit une lettre du Ministère. Il est fier : on l’appelle Monsieur ; elle est datée du 15 mars 1945 : on lui dit que les recherches des déportés sont difficiles et qu’il faut attendre. Des années plus tard, il apprendra que lorsque cette lettre a été écrite, ses parents avaient depuis douze mois perdu la vie dans les chambres à gaz d’Auschwitz.

Puis revenu en France, il lit les journaux, voit des photos des camps libérés par les Alliés, avec des bulldozers transportant par dizaines des cadavres, victimes de coups, de maladies, de manque de nourriture. Il voit l’horreur, mais il ne connaît pas encore l’existence des camps de la mort, situés en Pologne.

Un jour Claude, un cousin, vient visiter sa famille. Il est maigre, semble avoir de la fièvre. Il raconte avoir passé des mois dans un hôpital de Russie, après avoir par miracle été libéré d’un camp où les Juifs étaient systématiquement exterminés. Et qu’il nomme Auschwitz.  Mais il ne peut en dire plus, ses larmes coulent.

Malgré tout, le petit Pierre espère et attend. Mais, peu à peu, il prend conscience qu’il ne reverra plus ses parents, tout en se forçant à croire que si, et il se raconte des histoires qui l’aident à vivre. Bien des années plus tard, avec femme et enfant, il lui arrivera, sur la route des vacances, de traverser un village à l’écart des grandes routes. Les soirs d’été, il verra de vieilles personnes prenant le frais sur une chaise sortie de leur petite maison. Il lui plaira d’imaginer que Gaston et Alice ont échappé au pire et que, sans espoir de retrouver leur petit Pierre, ils sont venus habiter là. Ils se retrouvent…

 

*Il s’agit de Lou Blazer, Juste parmi le Nations

 

Pierre-Michel Kahn

 

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