Jean Pierre Allali

Jean-Pierre Allali

Le billet de Jean-Pierre Allali – Les Juifs du Yémen

03 Janvier 2025 | 133 vue(s)
Catégorie(s) :
Antisémitisme

Vendredi 9 août 2024, s'est tenue la cérémonie en hommage aux victimes de l'attentat terroriste de la rue des Rosiers, organisée par le Crif en collaboration avec la Mairie de Paris. La cérémonie s'est tenue devant l'ancien restaurant Jo Goldenberg, au 7 rue des Rosiers. À cette occasion, le Président du Crif a prononcé un discours fort et engagé dans la lutte contre l'antisémitisme sous toutes ses formes, en dénonçant notamment celle qui se cache derrière la détestation de l'Etat d'Israël.

À l'occasion des 80 ans du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), les membres du Crif ont été reçus à l'Élysée par le Président de la République, Emmanuel Macron, et Madame Brigitte Macron, lundi 18 mars 2024. Le Président du Crif, Yonathan Arfi, a prononcé un discours à cette occasion. 

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Illustration : Juifs yéménites à leur arrivée en Israël par le biais de l’opération « Tapis Volant » (Collection JPA)

 

Depuis quelques mois, les Houthis du Yémen font la une de l’actualité. Les Houthis ou Ansar Allah, tirent leur appellation du nom de leurs dirigeants, Hussein Badreddine Al-Huti et ses frères. Cette organisation terroriste armée, politique et théologique chiite zaydite a, peu à peu, depuis 2014, pris le contrôle du pays et, dans le sillage du Hamas, du Hezbollah et de l’Iran, rejoint, après le tragique pogrom du 7-Octobre 2023, la horde des ennemis acharnés d’Israël. Autrefois désigné comme l’« Arabie heureuse », le Yémen est, désormais en proie à une situation chaotique. D’autant plus que le 26 décembre 2024, l’aviation israélienne a mené des raids massifs contre l’aéroport de la capitale, Sana’a et contre des centrales électriques.

Situé entre l'Arabie Saoudite et le sultanat d'Oman, l’actuel Yémen est né en 1990, de la fusion de la République démocratique et populaire du Yémen au Sud et de la République arabe du Yémen, au Nord. Dans ce véritable maelström qui secoue le pays et la région, qui se soucie de l'existence de la minuscule communauté juive autrefois dynamique et prospère ? Pourtant, bien qu'ils ne soient probablement plus quelques dizaines d'individus, leur histoire a été extraordinaire au fil des siècles. Autrefois florissante malgré les conditions drastiques qui lui étaient imposées dans une terre d’islam particulièrement hostile au cours des siècles, cette communauté qui compta jusqu’à 100 000 âmes, a longtemps survécu et prospéré.

Selon deux journalistes arabes chargés par l'agence Media Line d'enquêter en 2013 sur les derniers Juifs du Yémen [1], la plupart d'entre eux résidaient alors dans la ville de Raïda, à soixante kilomètres au nord de la capitale Sana'a sous l'autorité du rabbin Suleiman Yahia. Un groupe de moindre importance était, lui, rassemblé dans un quartier « protégé » de Sana'a où le gouvernement d'Abdallah Saleh les avait contraints de se regrouper. Retour sur une histoire ancestrale.

Aux dires des Yéménites eux-mêmes, la présence de Juifs dans leur pays remonterait au 6e siècle avant l’ère vulgaire. Si l’on se réfère au texte biblique, on peut même considérer que c’est au 10e siècle avant notre ère que le roi Salomon envoya des Juifs au Yémen pour accompagner la fameuse reine de Saba. Historiquement, des preuves archéologiques existent, en Israël comme au Yémen, qui attestent d’une présence effective dès les premiers siècles. Une nécropole datant du 3e siècle découverte en Israël contient la tombe d’un Himyarite, c’est-à-dire d’un Juif yéménite d’ascendance royale. Le premier recensement répertorié au Yémen date d’ailleurs de cette époque.

Au cours de leurs 2 000 ans d’histoire, les Juifs du Yémen, bien plus que d’autres, ont conservé des traditions qui datent de l’époque michnaïque. Dans les années 1990, on a découvert au centre de la capitale, Sana'a, un véritable trésor archéologique, des milliers de jarres en argile contenant des manuscrits hébraïques. De nombreux savants sont persuadés que le terrain où se trouvait le cimetière juif qui a été rasé pour y construire l’université de la capitale recèle des trésors culturels juifs inestimables.

Au cours des siècles, les Juifs du Yémen, appelés Yahoud Al Maghrib, à l’ouest et Yahoud Al Mashrag à l’est, ont été essentiellement des artisans : bijoutiers, orfèvres, tisserands, brodeurs, maçons, petits commerçants, marchands de bêtes...

La conquête islamique a été une véritable catastrophe pour les Juifs du Yémen avec l’application la plus rigoureuse et la plus rétrograde du statut de la dhimma en terre d’islam : interdiction de porter la moindre arme, interdiction de monter à cheval, interdiction d’émigrer… La pire des mesures fut l’obligation, pour un orphelin juif, de se convertir à l’islam. Régulièrement, des pogroms meurtriers ont décimé la communauté, comme en 1932 et en 1933.

Bien qu’interdits d’émigration par les pouvoirs musulmans successifs, les Juifs du Yémen ont profité d’opportunités pour quitter le pays, notamment en direction d’Eretz Israël. En 1882, en 1919 et, après la création de l’État juif, en 1948, avec l’opération « Tapis Magique » qui permit le transfert en Israël de quelques 45 000 Juifs. Dans les années 90, une affaire pénible a secoué Israël : des familles juives ont accusé les autorités d’avoir kidnappé des milliers d’enfants juifs yéménites pour les confier frauduleusement à d’autres familles dans lesquelles ils auraient été élevés. L’affaire, connue sous le nom de dossier « Uzi Meshoullam » n’a pas vraiment été élucidée.

En 2007, déjà, alors qu’on la croyait complètement éteinte, on apprenait que cette communauté venait d’élire un nouveau rabbin, le Rav Yahia Ben Yaïsh. Il succédait à son père, Yaïsh Ben Yahia, décédé à Londres. Mais cette nouvelle encourageante n’effaçait pas les nouvelles inquiétantes qui parvenaient de ce pays. Les rebelles chiites islamistes de la minorité des Zaïdites, dirigés par Abdel Malak Al-Houti persécutaient sans relâche les quelques Juifs encore présents dans la région de Saada au nord-ouest du Yémen. Réfugiés à Sana'a, dans un hôtel réquisitionné par le gouvernement, avec l’aide d’organisations juives internationales, les derniers Juifs du Yémen étaient déjà sur le départ [2].

En 2014, le rabbin Youssef Moussa, dont les trois fils et deux de ses filles vivent aux États-Unis, tentait encore de maintenir une forme de vie juive à Sana'a. Dans une petite école, il enseignait aux quelques enfants juifs scolarisés, la langue hébraïque, l'histoire juive et même les mathématiques. Deux synagogues continuaient de fonctionner, mais le rabbin Moussa était pessimiste, mettant l'accent sur l'agressivité dont les Juifs sont l'objet : « Dans les rues, les habitants nous traitent de « sionistes » et nous jettent parfois des pierres. Aucun recours n'est possible : au Yémen, l'État n'a plus d'autorité. Ce sont les tribus qui font la loi. Dès lors la vie est souvent intenable. Je cherche à vendre ma maison. Et alors, je partirai avec toute ma famille ».

Dès avant le 7-Octobre 2023, le départ inéluctable pour Israël et pour l’Occident des derniers Juifs du Yémen, avait sonné le glas de cette communauté originale. Restent encore sur place les « Marranes », Musulmans à l’extérieur mais pratiquant en secret leur judaïsme : ils seraient environ 10 000.

 

 

Jean-Pierre Allali, vice-Président mondial de la JJAC

 

 

[1] Hamodia du 6 mars 2013

[2] Actualité Juive du 3 mai 2007

 

 

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