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Publié le 28 Juin 2021

Commissions du Crif - Étude : L’impact du traumatisme de la Shoah chez les enfants de survivants

L'AMIF mène, en étroite collaboration avec la Commission du Souvenir du Crif, une nouvelle étude sur l’impact du traumatisme de la Shoah chez les enfants de rescapés de la Shoah : "Que nous apprennent les enfants de survivants sur la transmission transgénérationnelle du traumatisme ?" Découvrez cette étude à travers l'interview du Dr Patrick Bantman, Psychiatre Honoraire des Hôpitaux Thérapeute Familiale de Paris.

Propos recueillis par Bruno Halioua, président de la Commission du Souvenir du Crif et de l'AMIF.

L’impact du traumatisme de la Shoah chez les enfants dépend de nombreux facteurs étroitement intriqués : l’histoire familial, le pays de résidence, le milieu dans lequel a vécu le Survivant avant et après la Guerre, l'adaptation post-traumatique et la stratégie d’adaptation réparatrice adoptée par l’enfant de survivant consciemment ou inconsciemment pour compenser le vécu traumatique de ses parents.

Sous l’égide du professeur Yaël Danieli, un Groupe de Recherche de l'AMIF sur les Enfants des Survivants de la Shoah (GRAESS), coordonnée par Muriel Vaislic endocrinologue et par Patrick Bantman psychiatre en étroite collaboration avec Rachel Rimmer de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah et la commission du souvenir du Crif, a vu le jour, afin de mieux comprendre les conséquences du vécu traumatique de la Shoah chez les enfants de survivants de la Shoah en France.

Dans ce but, nous avons mis en place une grande étude et nous sollicitons un peu de temps à tous les enfants de Survivants pour répondre à ce questionnaire, strictement anonyme (Etude du Groupe De Recherche De l'AMIF sur les Enfants des Survivants de la Shoah [GRAESS] - AMIF - Association des Médecins Israélites de France). Les résultats de cette étude sont d’autant plus importants qu’ils nous permettront d’améliorer les connaissances sur la transmission transgénérationnelle du traumatisme de la Shoah chez tous les enfants de ces survivants qui ressentent "les cicatrices sans les blessures".

Vous êtes nés après 1945 ? Votre mère et/ou votre père ont subi des persécutions et/ou des restrictions de liberté liées aux législations antisémites durant la guerre 39-45 ? Ils vivaient en France, en Afrique du Nord, dans un pays occupé par les Nazis ou dans un pays dirigé par un régime ayant collaboré avec les Nazis ? Nous vous invitons à participer à cette étude strictement anonyme.

Pour répondre au Questionnaire, cliquez ici

 

 

"Que nous apprennent les enfants de survivants sur la transmission transgénérationnelle du traumatisme ?" Y-a- t-il une actualité particulière à cette question ?

Dr Patrick Bantman: Nous sommes tous issus d’une famille dont l’histoire se transmet d' "une génération à l’autre.

Dans notre pratique clinique psychiatrique et psychothérapeutique à la fois individuelle et familiale, à l’hôpital, dans la consultation de survivants  de la Shoah à l’OSE ou en cabinet, en France, et en Israël, nous rencontrons de plus en plus souvent des situations où se pose la question de la transmission familiale transgénérationnelle du traumatisme de la Shoah, chez des enfants de survivants. Nous sommes souvent surpris par ces traumatismes graves, que nous apprenons souvent au cours d’un entretien. Parler de transgénérationnel, c’est évoquer la destinée de ce qui d’une génération à l’autre se transmet, en termes de valeurs, de conflits conscient et inconscient, d’identifications,

Ces questions sont relativement récentes pour les chercheurs et dans la pratique clinique. Elles viennent à un moment où les témoins directs disparaissent. Cette génération de déportés est souvent confrontée à des enfants et des petits enfants qui interrogent la mémoire. Elie Buzyn et Ginette Kolinka racontent comment leurs petits enfants ont été particulièrement importants dans la transmission. Le succès récent du livre de Danièle Laufer (1) qui relate des témoignages d’enfants de déportés, sur la  mémoire de ce qui les a «à la fois détruits et construits», témoigne de cette actualité.

 

Comment le traumatisme parental se transmet-il ? Et quelles sont les caractéristiques que les parents transmettent à leurs enfants ?

Dr Patrick Bantman: L’obligation de transmettre crée un lien, une chaîne dont le sens va au-delà de la simple filiation (2).

Dans mon travail avec ces familles en thérapie s’exerce le poids des traumatismes, de l’ombre portée des secrets familiaux, des mythes, sur les parents présents et sur les générations à venir. Nous mesurons le poids des silences, des «trous» dans la mémoire (3).

Ce que la première génération, celle des victimes d’un trauma massif donné n’a pas symbolisé (en rejetant, dissociant, clivant, déréalisant…), la génération suivante peut la répéter sous des formes variées de peur, de cauchemars, sans qu’il y ait d’autres accès au trauma initial que celui de ces échos énigmatiques…

Dans les situations que je rencontre, ce sont ces silences, l’absence de paroles, les omissions sur ces vécus parentaux, qui creusent une distance d’incompréhension entre générations… La place du non-dit, le blocage massif des affects et l’état dépressif des parents semblent des éléments essentiels dans le développement de symptômes chez les enfants. Les enfants qui ne savent pas ce qui est arrivé à leur famille et à qui on ne donne pas d’explication présentent plus de symptômes que les autres. D’après diverses études, les enfants qui sont aux prises avec un traumatisme de leurs parents non élaboré et non-dits, peuvent réagir de diverses manières. En devenant anxieux par exemple, car ils ont sentis un bain d’angoisse chez leurs parents ; ceci peut prendre diverses formes symptomatiques : troubles du sommeil, troubles obsessionnels compulsifs,…

Tout devient potentiellement anxiogène, quand on ne sait pas où se trouve le danger… Cette transmission intergénérationnelle des traumatismes a suscité de nombreux travaux qui ont été à l’origine du concept d’héritage épigénétique, ce domaine scientifique en plein développement.

 

Comment aider les enfants de survivants à surmonter les effets du traumatisme ?

Dr Patrick Bantman : De très nombreuses contributions montrent « les effets dévastateurs des traumatismes non traités », laissant des traces à la façon de “fantômes” continuant à rôder dans l’après-coup » (Feldman et Rottman) (4).

Il est important d’apporter un soutien et une aide aux générations d’après…

Il est primordial de les aider à retrouver une identité quand le problème se pose, non seulement individuelle mais aussi familiale ou sociale.

Il existe de nombreux dispositifs communautaires qui ont pour mission cette aide particulière qui peut-être clinique, ou sociale, individuelle, familiale.

La cellule de crise de l’OSE qui fonctionne en permanence depuis les attentats de 2015, ou la consultation Shoah en sont un exemple. La réparation doit aussi passer par le champ social, car lorsque le traumatisme vient du social et est de l’ordre de la terreur ou de la répression, il est très difficile que la réparation puisse venir seulement de la psychothérapie individuelle ou de la thérapie familiale. Des associations comme Passerelle, le Crif ou le Mémorial s’y emploient. Mieux connaître l’ensemble de ces difficultés pourrait permettre de mieux les aider.

Dans cette approche de la transmission, un double passage s’opère, à la fois dans la prise en compte de la problématique au niveau de la généalogie et de la filiation, en redonnant vie à ce qui était noué au niveau du mythe familial, et en replaçant la problématique dans le fonctionnement familial.

 

Pour répondre au Questionnaire, cliquez ici

 

Notes :

1. Venir après, Danièle Laufer, Editions du Faubourg, 2019

2. Anne-Hélène Hoog : « Le judaïsme d’une génération à l’autre »,les cahiers de médiologie 1/2001, No11,p.88-95.

3. Voire à ce sujet « Hadira », documentaire réalisé par Arnon Goldfinger en 2011, qui montre la complexité et les difficultés de la deuxième et troisième génération de la Shoah ainsi que les questions d’identités intergénérationnelles.

4. Intervention de Marion Feldman et Dr Hana Rottman : « Du vécu au perçu : à propos des enfants juifs cachés en France pendant la Deuxième Guerre mondiale et de leurs enfants », D’une génération, l’autre. Sous la direction de Patrick Bantman. Editions In Press, 2013.