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Commémoration des rafles des 22 et 23 janvier 1943
Ce dimanche 23 janvier 2022, a eu lieu la cérémonie commémorative de la Rafle du 22 et du 23 janvier 1943 à Marseille, dans les quartiers du Vieux-Port et de l’Opéra.
Le Président du Crif Marseille-Provence a prononcé un discours que nous vous proposons de découvrir, un peu plus bas, dans l'article.
Discours de M. Bruno Benjamin, Président du Crif Marseille Provence
Parvis de l’Opéra, 23 janvier 2022
"Chers amis,
Nous voilà, cette année encore, réunis pour commémorer l’un des épisodes les plus tragiques de l’histoire de Marseille. Les rafles des 22 et 23 janvier 1943 sont à juste titre considérées comme la catastrophe la plus effroyable que la ville ait connue depuis la mise à sac des Aragonais en 1423 et la grande peste de 1720. Organisées à la demande de l’Occupant nazi, complaisamment exécutées par la police française qui avait pactisé avec le Mal, elles sont à jamais gravées dans la conscience collective, votre présence l’atteste.
Ces deux jours de violence extrême, prolongés le 24 janvier par d’autres arrestations, par d’autres exactions honteuses, blessent la mémoire de Marseille.
Au regard de l’Histoire, c’est un moment très difficile à évoquer parce que, comme le disait en 1995 le président Chirac parlant de la rafle du Vel’ d’Hiv, « l’on ne sait pas trouver les mots justes pour rappeler l’horreur, pour dire le chagrin de celles et ceux qui ont vécu la tragédie. » Par leurs émouvants témoignages, nous savons que des Marseillais, dont certains figurent encore parmi nous, ont été marqués à jamais dans leur âme et dans leur chair.
Nul ne saurait ignorer ces faits. 79 ans après, ce sont des plaies qui ne cicatrisent pas. Les milliers de victimes, traitées comme des bestiaux, sont pour nous un fil continu qui court à travers le temps.
Ce qui s’est passé sur l’autre rive du Vieux-Port et dans ce quartier de l’Opéra relèvent de la plus cruelle inhumanité. Par-delà les décennies, et sans qu’ils soient le pur produit de notre imagination, les échos de ces sinistres journées nous parviennent dans leur terrifiante réalité. Tendez l’oreille et vous percevrez les vociférations par haut-parleurs, les ordres aboyés à grands cris dans les maisons investies au petit matin, les insultes humiliantes, les moqueries dégradantes, et, quelques heures après l’évacuation de 20 000 personnes, le fracas sourd des bombes et l’onde de choc émanant à chaque explosion, se propageant dans tout le centre de Marseille.
Ces rafles, soigneusement planifiées, visaient comme cela a été fort bien rappelé, les pâtés de maisons derrière la mairie, puis s’étendirent dans ce quartier de l’Opéra et ses rues adjacentes, la Canebière, la rue Longue des Capucins, jusqu’à Longchamp et la Belle de Mai, où vivaient de nombreuses familles juives.
Marseille était effectivement un des hauts-lieux de la mémoire juive. Cela irritait l’Occupant botté et casqué. Châtier la ville, c’était s’attaquer aux Juifs. Il fallait qu’ils fussent, telles des proies pourchassées, débusquées et arrêtées dans le cadre de « l’opération Sultan », conçue et élaborée par le général Karl Oberg, représentant de Himmler en France, avec le concours servile de René Bousquet, secrétaire général de la police de Vichy, et ses sous-fifres galonnés.
Pourquoi des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants, enracinés de longue date dans cette ville, à tous égards exemplaires dans leur comportement civique et moral, et parfaitement intégrés à la Nation tout entière, ont été brutalement dissociés des autres habitants, parqués et isolés aux Baumettes, puis conduits à Compiègne avant d’être expédiés dans les camps de concentration ?
Ce n’est pas seulement le nombre de 1 642 personnes arrêtées qui est effarant, mais le mobile de la répression. Alors ne tournons pas autour du pot, désignons franchement les vrais responsables, n’en déplaise à ceux qui tentent de disculper, sinon d’absoudre l’Etat français installé en 1940 sur les bords de l’Allier.
C’est Pétain et Vichy qui ont retiré la nationalité française à des milliers de juifs.
C’est Pétain et Vichy qui ont instauré le statut des Juifs et imposé le port de l’étoile jaune.
C’est Pétain et Vichy qui, dans leur délire antisémite, ont amalgamé les Juifs aux repris de justice, aux étrangers en situation irrégulière, à toute personne indésirable ou marginale dépourvue de carte alimentaire.
C’est Pétain et Vichy qui ont envoyé la police française, dirigée par l’infâme Bousquet, arracher des enfants à leurs parents désemparés, des enfants nés sur le sol français, pour les expédier dans les camps de la mort. Ainsi 782 de nos frères et sœurs ont terminé leur parcours dans le camp d’extermination de Sobibor.
La Shoah, c’est ce mot hébreu qui définit la destruction radicale et irréversible qu’a subi le peuple juif.
C’est en souvenir de ces 6 millions de victimes que nous revendiquons haut et fort notre histoire trimillénaire et celle de l’identité juive.
L’antisémitisme n’est pas une notion du passé. Soyons lucides : ce fléau permanent, constant et avec obstination désigne toujours le juif en bouc émissaire. Si on la rencontre parfois dans la rue, elle est présente sur les réseaux sociaux, ce grand déversoir de haine où le Juif est caricaturé, insulté, menacé, Sali dans sa dignité, et Israël régulièrement condamné, nié jusque dans son existence,en toute impunité.
Chers amis, cette commémoration n’est pas une simple évocation du passé. Elle a du sens parce qu’elle en appelle à la vigilance.
Sur la base de cette impérieuse nécessité, je concluerai mon propos en vous demandant de continuer à vous ériger en garant de l’indignation, tous ensemble, contre les inhumanités, contre les injustices, contre le racisme et l’antisémitisme et comme Romain Gary : quand je cesserai de m’indigner, j’aurai commencé ma vieillesse.
Merci de votre précieux concours."
Bruno Benjamin