Francis Kalifat

Ancien président

Marche pour Mireille Knoll - Ma tribune dans Le Figaro sur la position du Crif

10 Avril 2018 | 129 vue(s)
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Opinion

Comme chaque été, de nombreux juifs ont décidé de quitter la France pour s’installer en Israël. On parle de 8000 à 10 000 pour l’ensemble de l’année 2015. J’ai moi-même fait ce choix en 2013  et pourtant j’ai, plus que jamais, envie de parler de ceux qui restent. 

Dov Maimon rejoint les auteurs du Blog du Crif !

Ce dernier détaille ici les multiples racines de l’antisémitisme, qui a explosé en France à partir de l’année 2000 et la première « intifada ». Et qui s’est fortement aggravé tout au long de l’année dernière. Marc Knobel évoque notamment l’origine idéologique – soulignée et étudiée par le philosophe et chercheur Pierre-André Tagguief – d’un antisémitisme qui découle d’un antisionisme extrême, lui-même alimenté depuis longtemps par les tenants de l’islamisme radical. Extrême gauche et extrême droite française en passant par « Dieudonné and Co » sont aussi, historiquement et actuellement, parmi les premiers diffuseurs de la haine antisémite en France. Description et analyse en huit points.

Partout en France, des crayons, des stylos et des feutres ont été brandis, les seules armes du courage et de la liberté contre d'autres armes qui tuent, qui souillent, qui meurtrissent à tout jamais.

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Publié le 10 avril 2018 dans Le Figaro 

Le terrorisme islamiste et l'antisémitisme qui tue ont à nouveau frappé la France le 23 mars. Ce jour-là, parmi les victimes, deux visages de la France: celui d'un héros donnant sa vie pour sauver une otage, Arnaud Beltrame, et celui d'une vieille dame juive de 85 ans poignardée puis brûlée dans son appartement, Mireille Knoll. Dès l'annonce du meurtre de Mireille Knoll, le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) a appelé à une marche blanche le 28 mars, devenue à l'annonce par le parquet du caractère antisémite de cet assassinat, une marche contre l'antisémitisme. 

Certains ont, à cette occasion, reproché au Crif d'avoir «brisé l'unité nationale» en indiquant que les dirigeants du Front national et de La France insoumise «ne seraient pas les bienvenus» à cette manifestation. Dans ce tumulte, j'ai distingué les vociférations des ennemis habituels des Français juifs, de l'émotion sincère d'amis, gênés par notre démarche.

J'ai entendu les critiques de ces amis. Je souhaite ici les examiner et expliquer les raisons de nos positions.

Le souvenir d'une femme assassinée doit être digne et solennel. Je condamne d'abord donc, sans réserve et avec force, les huées qui ont accueilli Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Le Crif n'a rien à voir avec la minorité de manifestants qui a brisé le recueillement du reste du cortège et encore moins avec la prétendue Ligue de défense juive, qui au-delà de ces troubles attaque publiquement le Crif et ses dirigeants depuis près de vingt ans.

Je craignais précisément ces débordements ; c'est aussi une des raisons pour lesquelles j'ai indiqué que les dirigeants du Front national et de La France insoumise ne seraient pas les bienvenus. Ces incidents, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon les anticipaient eux aussi, mais cela ne les a pas dissuadés de venir. Au contraire, eux, les intolérants, ont ainsi pu prendre la pose en victimes de l'intolérance. La ficelle est grosse, mais en ces temps de confusion et d'emballement, les ficelles les plus grosses marchent, hélas, plutôt bien.

La lutte contre l'antisémitisme exige un travail de mobilisation républicaine et de clarification politique

Certains ont accusé le Crif de briser l'unité nationale que requiert le combat contre l'antisémitisme en privant le pays de la photo-souvenir d'un temps collectif d'indignation. À ceux-là, je veux dire ma méfiance face une unité qui n'aurait été que de façade. La lutte contre l'antisémitisme exige certes une capacité d'indignation collective face à l'ignominie. Mais elle exige surtout un travail de mobilisation républicaine et de clarification politique. C'est précisément au nom de cette nécessité de clarification que les participations de La France insoumise et du Front national, nous ont paru, pour des raisons différentes, illégitimes et contre-productives.

Concernant tout d'abord le Front national, je dois dire mon inquiétude face aux critiques faisant fi, subitement, de plus de quarante ans de «cordon sanitaire» face à l'extrême droite. Depuis quand existerait-il en effet une tradition républicaine consistant à réunir, en tête de cortège et derrière une même banderole, des ministres et des élus de droite et de gauche en compagnie de Le Pen? A-t-on déjà vu pareille photo? Pourquoi est-ce à l'occasion d'une manifestation contre l'antisémitisme que l'on invoque précisément une nouvelle règle visant à inclure et donc à légitimer les dirigeants d'un parti fondé par des nostalgiques de Vichy? Les organisateurs de la manifestation historique du 11 janvier 2015 se sont épargné - à raison! - un tel «protocole» et une telle «unité», eux qui n'avaient pas invité Marine Le Pen. Mais peut-être certains souhaitaient-ils voir Le Pen acclamée et Mélenchon hué dans une manifestation organisée à l'initiative du Crif et contribuer ainsi à faire sauter le verrou moral pesant sur le Front national. Je demande face au Front national une chose simple: que les républicains de gauche comme de droite restent unis et continuent à résister à «l'offensive de dédiabolisation» de Marine Le Pen.

La lutte contre l'antisémitisme n'est pas un combat à la carte

Certains ont compris que Marine Le Pen n'ait pas sa place mais se sont offusqués que La France insoumise ne soit pas la bienvenue. À ceux-là, j'aurais beaucoup à dire sur les complaisances de l'extrême gauche avec l'antisémitisme mais aussi avec l'islamisme. Que dire en effet du soutien apporté, par exemple, par la députée Danièle Obono à Houria Bouteldja du Parti des Indigènes de la République, lorsqu'on lui présente les propos antisémites récurrents de cette dernière? Que signifient les propos de Jean-Luc Mélenchon, lorsqu'il reprend dans son récit de la marche du 28 mars le refrain bien connu de l'accusation de double allégeance? Jean-Luc Mélenchon est trop cultivé pour ignorer le poids symbolique de telles déclarations. Pourquoi La France insoumise a-t-elle tant de mal ne serait-ce qu'à énoncer le danger posé en France par le développement de l'islamisme? Enfin, comment expliquer - si ce n'est peut-être par clientélisme électoral? - l'aveuglement de La France insoumise face à la part inextricable d'antisémitisme présente dans les rhétoriques antisionistes? Soyons précis: la critique du gouvernement israélien peut être légitime, comme pour tout autre gouvernement, mais que signifie la haine absolue d'Israël lorsque cette haine ne vise que ce seul État dans le monde? Que dire enfin des propos de Jean-Luc Mélenchon en juillet 2014 félicitant les manifestants pro-palestiniens pour avoir su «se tenir dignes et incarner mieux que personne les valeurs fondatrices de la République française» alors que des groupes sortaient de ces cortèges à Paris ou Sarcelles pour attaquer des synagogues? Ce sont l'ensemble de ces ambiguïtés qu'une mobilisation sincère contre l'antisémitisme doit appeler à clarifier.

La lutte contre l'antisémitisme n'est pas un combat à la carte. Si les dirigeants de ces partis veulent vraiment participer à l'unité de la nation contre l'antisémitisme, alors qu'ils fassent le ménage chez eux et qu'ils lèvent toute ambiguïté sur leurs amitiés et leurs complaisances avec de véritables antisémites. Qu'ils dénoncent publiquement toutes les formes de l'antisémitisme, y compris l'antisionisme qualifié de «forme réinventée de l'antisémitisme» par le président de la République lui-même, mais aussi tout rejet de l'autre.

Voilà énoncées les conditions d'un rassemblement sincère et sans arrière-pensées, pour extirper ensemble ce cancer qui gangrène notre société et qui rend la vie des Français juifs de plus en plus difficile, il en va de la France, et de la République. Le Crif est prêt à relever le défi.