Jean-Pierre Allali
À la première personne, par Alain Finkielkraut (*)
Alain Finkielkraut à cœur ouvert. Membre de l’Académie Française depuis 2014, dans un petit ouvrage dédié à Milan Kundera, il a décidé de dire ses quatre vérités à ceux qui le traitent de réactionnaire. « Parce que, malgré mes efforts pour ralentir le galop du temps, j’avance irrémédiablement en âge et aussi, je l’avoue, parce que je souffre des épithètes inamicales parfois accolées à mon nom, le moment m’a semblé venu de faire le point et de retracer mon parcours sans faux-fuyant ni complaisance ».
L’auteur, remontant le temps, rappelle qu’il fut, lui aussi, happé et porté par la vague en mai 1968. Plus tard, surmontant ce qu’il appelle la peur de penser à contre-courant, il écrira, pour la revue Critique, « Bêtises de Rousseau » avant de se lancer, avec Pascal Bruckner, dans « Le nouveau désordre amoureux », critique d’Éros contre Éros. Après deux essais en tandem, Alain Finkielkraut décide de faire cavalier seul et d’aborder « l’interminable question juive » en publiant « Le Juif imaginaire ». Fils de déportés, il se veut lucide. « Entre le déporté et le fils de déporté, l’abîme est infranchissable. On ne porte pas le pyjama rayé ni l’étoile jaune de génération en génération ». Et face à ceux qui, dans le sillage de Robert Faurisson, ont le culot de nier la Shoah ou d’en minimiser la tragédie, il appelle à la rescousse Péguy qu’il oppose à Barrès et à Léon Daudet. Il faut dire qu’aux yeux de certains, notamment les idéologues de l’ultra-gauche, « la destruction des Juifs profite trop à l’État juif pour n’être pas suspecte ». Dès lors, « la Shoah est un mensonge planétaire » ! Et, malgré certains retournements occasionnels de situation, « le négationnisme n’est pas mort ». D’Internet où tout est permis aux propos du « successeur modéré de Yasser Arafat » et plus généralement en terre d’islam où il arrive que l’on compare de manière véritablement indécente le sort des Palestiniens aux victimes de l’Holocauste, c’est la curée. On peut écrire sans vergogne : « À Auschwitz, à Mauthausen, à Sabra, à Chatila et à Gaza, le nazisme et le sionisme se donnent la main ». Et, dans le monde chrétien, Marcion est de retour. Alain Finkielkraut, textes à l’appui, nous donne de très nombreux exemples de prises de position d’intellectuels français et étrangers, rongés par cette lèpre qu’est l’antisionisme, nouveau visage de l’antisémitisme. C’est, nous dit-il, « un scandale historique et philosophique ».
S’il est très préoccupé par l’avenir d’Israël, Alain Finkielkraut n’en partage pas moins les préoccupations diverses de ses contemporains. Il évoque ses rencontres avec Michel Foucault, Roland Barthes, Milan Kundera, Hélène Carrère d’Encausse, Pierre Nora et bien d’autres, « à la recherche du temps présent ». « Je dois aussi aux poètes et aux penseurs d’Europe centrale la prise de conscience de mon appartenance et de mon attachement à la civilisation européenne. Il évoque le 11 septembre 2001 et, plus près de nous, l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Philosophe, il évoque ce qu’il appelle « le choc Heidegger » et son défi, le « Gestell », Heidegger , sympathisant nazi, Heidegger qui disait « Le tourisme devrait être interdit »
L’académicien reconnaît qu’il s’est trompé sur l’avenir du monde par excès d’optimisme et de foi en la démocratie. « Le totalitarisme a été vaincu mais le sens reste accaparé par le sens de l’Histoire ».
Un petit livre éblouissant.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Gallimard. Août 2019. 128 pages. 14 €.