Jean Pierre Allali

Jean-Pierre Allali

Lectures de Jean-Pierre Allali - La Main du Diable, de Jonathan Hayoun et Judith Cohen Solal

17 Avril 2019 | 289 vue(s)
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Opinion

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La Main du Diable, Comment l’Extrême Droite a voulu séduire les Juifs de France, Récit de Jonathan Hayoun et Judith Cohen Solal *

 

Depuis que Marine Le Pen a pris les rênes de la droite extrême, qu’elle s’est débarrassée de son père et qu’elle est même allée jusqu’à modifier le nom de son parti, transformant le Front National en Rassemblement National, on a parlé de « dédiabolisation ». Marine serait beaucoup plus fréquentable que Jean-Marie. Mieux, elle séduirait de plus en plus la communauté juive pourtant particulièrement hostile aux thèses de la droite. Les auteurs se sont lancés dans une véritable enquête de terrain, sillonnant la France et interrogeant les personnalités les plus diverses. Leur conclusion est sans appel : Marine Le Pen et le Front, fut-il devenu Rassemblement, n’ont pas changé. Pire ! On évoque même une « rediabolisation ».

Les occasions, pourtant, n’ont pas manqué, au fil des ans, de voir des Juifs français rejoindre le RN ou partager ses idées. Et cela, pour de multiples raisons. Jean-Marie Le Pen ira même jusqu’à lancer, en 1986, un Comité national des Français juifs animé par Robert Hemmerdinger, un homme qui, selon Guy Konopnicki  est « un givré qui disait n’importe quoi sur tout ». Peu après, Le Pen ira à New York, à la rencontre de dirigeants juifs.

Dans le sillage des tentatives de son père, Marine Le Pen, une fois au pouvoir, essaiera, à son tour, de se rapprocher des Juifs de France, en se faisant inviter, par exemple, par une radio juive, Radio J, qui fera marche arrière, en rencontrant, elle aussi, des dirigeants juifs new-yorkais qui se font, d’une certaine manière, piéger. Ou encore, en demandant à un avocat juif, David Dassa-Le Deist, de la défendre. Le 8 juillet 2015, Marine Le Pen rencontre, à Strasbourg, les dirigeants du « Parlement Juif Européen » fondé par Vadim Rabinovich. Président du CRIF, Roger Cukierman parlera de « fumisterie ».

Comme on le sait, le 30 mars 2014, onze municipalités tombent aux mains d’un candidat soutenu par le FN. C’est l’occasion, pour nos deux auteurs, d’un voyage en Lepénie. Les voilà à Hayange où la communauté juive, autrefois prospère, est aujourd’hui réduite à sa plus simple expression. André David, dirigeant communautaire, « le dernier des Juifs d’Hayange », remettra bientôt les clés de la synagogue au maire FN, Fabien Engelmann, qui a promis d’en faire un centre culturel et, par ailleurs, de protéger le cimetière juif. Il a même fait baptiser une rue de sa ville au nom de René Israël, un résistant juif. Après Hayange, Fréjus, dont le maire, David Rachline, porte le même patronyme que l’un des fondateurs de la LICA, Lazare Rachline. Mais aucune parenté cependant. Si le père, Serge, du maire, était juif, sa mère, elle ne l’est pas. Il fréquente d’ailleurs assidument la cathédrale de sa ville. Malgré les pressions, David Rachline a été accueilli, le 26 avril 2014, kippa sur la tête, à la synagogue, dans le cadre d’une Journée des Déportés. In fine, Gabriel Aymard, président de la communauté juive de Fréjus, appellera à voter contre le FN lors de l’élection présidentielle de 2017. Nous voici à présent  à Béziers, « la petite Jérusalem », chez Robert Ménard, originaire d’Oran, ancien de la LCR et du PS., ex-patron de « Reporters sans Frontières » qui installera, dans le hall de sa mairie, à côté d’une crèche, un chandelier à neuf branches à l’occasion de la fête de Hanouka et qui avoue être préoccupé par la sécurité des membres de la communauté juive, une communauté en déclin, trois cent vingt foyers autrefois, une centaine aujourd’hui.

Marseille, deuxième ville du pays et deuxième plus grande communauté juive de France : 80 000 personnes. Le 11 avril 2014, le 7ème secteur est passé aux main du FN. Jean-Jacques Zenou, président du Comité des Enfants de la Verdière est farouchement opposé au Front et le fait régulièrement savoir. Mais le consensus anti-FN ne semble plus faire l’unanimité. De son côté le « rabbin des cités », Haïm Bendao, assure qu’ il ne recevra jamais un élu du FN.

Cela n’empêche pas certains, comme Jacques Besnaïnou, d’être proches du maire frontiste, Stéphane Ravier.

En région Paca, voici à présent Toulon où l’extrême droite l’a emporté en 1995. Dans cette ville, Geneviève Lévy, qui y a recréé la Licra, résume bien la situation : « Il n’y a plus d’opposition franche, mais pas non plus de bienveillance ».

Nous voici à l’Isle-sur-la-Sorgue, qui fut, en son temps, un refuge pour les Juifs, mais où le judaïsme a disparu. Les étudiants de l’UEJF n’ont pas hésité à y manifester contre Marion Maréchal-Le Pen. À Carpentras, en 2012, le Front a gagné grâce au maintien d’une candidate d’origine juive !

Nice, enfin, la ville de Christian Estrosi, ville de prédilection des Juifs d’Afrique du Nord où Jacques Peyrat a quand même réussi à séduire une frange de l’électorat juif en se débarrassant de son étiquette FN, mais le CRIF refusera de l’inviter à son dîner annuel. Il finira par visiter des synagogues et à jumeler sa ville avec Netanya.

En fin d’ouvrage, on découvre que Louis Aliot, le compagnon de Marine et vice-président du FN, a un grand-père juif. Fils de Thérèse Sultan, il se considère néanmoins comme catholique.

Les positions d’Éric Zemmour, de Gilles-William Goldnadel et d’Alain Finkielkraut sont analysées avec objectivité.

Une belle étude donc. On peut, avec Francis Kalifat, président du CRIF conclure que « La totalité des institutions juives rejette tout contact avec le FN ».

À découvrir.

 

Jean-Pierre Allali

 

(*) Éditions Grasset. Janvier 2019. 198 pages. 17 euros.