"On s'est dit au-revoir. C'était un au-revoir mais qu'y avait-il derrière cet au-revoir ?"
A l'occasion de la sortie du film en salles ce mercredi 4 juillet, le Crif vous propose de relire cette critique, rédigée en janvier 2018, à l'occasion de la diffusion du premier volet du film sur Arte.
Dans l'histoire de la mémoire et de la transmission de l'Holocauste, il y a eu un avant, et un après Shoah, le documentaire d'une dizaine d'heures, réalisé par Claude Lanzmann et sorti en 1985.
Plus de 30 ans après Shoah, Claude Lanzmann - infatigable - s'est replongé dans les témoignages qu'il avait recueilli pour le documentaire et qui n'avaient pas été utilisés. Tel un archélologue, il a fouillé, creusé, analysé pour découvrir quatre trésors, quatre témoignages bruts, quatre paroles de femmes, de survivantes, revenues des camps de concentration et d'extermination.
Sans ornement et sans effet de caméra, Claude Lanzmann parvient à saisir l'esquisse d'une ride qui se creuse quand le sourire s'affiche, la formation d'une larme au coin d'un oeil, la tristesse, la joie, le désespoir et la paix.
En quatre volets, Claude Lanzmann propose de découvrir les quatre récits de ces survivantes. Loin des films plus récents sur l'histoire de la Shoah, qui mettent à distance le spectateur de la réalité dure et froide qu'est celle de la Shoah, ces témoignages sont une main tendue, qui vient des tréfonds de l'enfer et qui vient chercher le coeur et les tripes de ceux qui écoutent.
Dans le premier volet, nous découvrons l'histoire de Ruth Elias, qui avait 17 ans lorsque les Allemands envahirent la Tchécoslovaquie, où elle vit. Réfugiée à la campagne sous une fausse identité, sa famille est dénoncée et déportée à Theresienstadt en avril 1942. Ruth y retrouve son petit ami et s’y marie, tandis que ses proches sont déportés vers Auschwitz. Pendant l’hiver 1943, elle est à son tour transportée à Auschwitz, dans le camp des familles tchèques. Au moment des sélections de 1944, alors que ses compatriotes sont menés à la chambre à gaz, la jeune femme, enceinte de huit mois, est miraculeusement sélectionnée pour partir à Hambourg déblayer les gravats d’une raffinerie bombardée. Sa grossesse découverte, les nazis la renvoient à Auschwitz, où elle tombe dans les griffes du docteur Mengele.
Avec patience et sincérité, notre héroïne raconte, dans l'ordre qui est le sien, les transports, les séparations, le froid, la faim, la nuit noire de l'hiver polonais, la misère et la peur. Elle parle aussi de la chance, des petites joies pendant ces années de déportation, de l'espoir. Surtout, Ruth nous parle de l'humain, de ce qu'un Homme a pu faire d'un autre Homme* et de ce que la vie a su reprendre à la mort.
Installée en Israël depuis plusieurs dizaines d'années, Ruth s'y sent chez elle, au milieu de son peuple, en sécurité et en harmonie avec celle qu'elle est. "Nous avons besoin d'une terre où nous pouvons vivre en tant que Juifs, sans que personne ne nous appelle 'saletés de Juifs'".
Parmi les bruits de fond qui composent aujourd'hui la quotidien de Ruth, elle semble presque être une femme comme les autres. Mais elle est loin de l'être. Ruth n'est pas une miraculée, c'est un miracle à elle toute seule.
Les Quatre Soeurs, à voir dès aujourd'hui dans les salles obscures
*Primo Lévi - Si c'est un homme