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Publié le 12 Octobre 2007

Une histoire de l’éducation juive moderne en France. L’école Lucien de Hirsch Par Raphaël Elmaleh (*)

C’est à un travail de recherche monumental que s’est attelé Raphaël Elmaleh. En effet, à travers l’histoire d’une école juive, Lucien de Hirsch, c’est toute l’aventure du réseau scolaire juif en France, à travers plus d’un siècle, qui nous est contée. Et si, aujourd’hui, l’existence d’écoles juives diverses, dynamiques et compétitive, apparaît à l’observateur comme allant de soi, il n’en a pas toujours été ainsi. Il fut un temps où l’école juive en France n’existait pas, un temps où des écoles laïques dépendant du ministère de l’Education nationale étaient amenées, parce que fréquentées presque exclusivement par des enfants juifs, notamment dans le quartier du Marais, le Pletzl, à Paris, à modifier leur style de fonctionnement tant au niveau du jour hebdomadaire de repos qu’à celui de la nourriture proposée dans les cantines.


Pour son étude magistrale, l’auteur a effectué de nombreuses recherches, consulté des archives de tous ordres, interrogé des anciens élèves dont certains, depuis, tels l’humoriste Pierre Dac, le fantaisiste Lionel Rocheman ou le géant de la publicité, Marcel Bleustein-Blanchet, ont connu de belles carrières, rencontré des enseignants, des directeurs et des administrateurs.
Rappelant les propos de Rabbi Yehochoua de Gamla (1er siècle) selon lequel « Des instituteurs doivent être nommés dans chaque communauté » et l’intention pédagogique du baron Maurice de Hirsch, grand mécène et philanthrope, résumée en ces termes : «L’Humanité recevra mon héritage », Raphaël Elmaleh considère qu’il n’y a pas « de vie juive sans éducation juive ; pas d’éducation juive sans écoles juives ; pas d’écoles juives sans élèves, maîtres et donateurs… »
Si l’on s’en tient à l’époque moderne, on peut considérer que c’est à Bordeaux qu’a été ouverte la première école juive, en 1817. Quatre-vingt enfants pauvres pris en charge par des dames patronnesses charitables. Un an plus tard, en 1818, c’est au tour de Metz d’avoir son établissement scolaire juif. Un an plus tard, ce sera enfin Paris.
Dix ans après, en 1829, il y a déjà 62 écoles juives en France.
A Paris, donc, c’est le 9 novembre 1819, rue des Billettes, chez un pasteur protestant, que voit le jour la première école consistoriale élémentaire d’enseignement mutuel. Elle se transporte rapidement dans le bâtiment de la synagogue portugaise de la rue Neuve-Saint-Laurent, aujourd’hui rue Notre-Dame-de-Nazareth avant de s’installer rue des Singes, non loin du Pletzl. Le 6 mai 1922, au 19 rue de la Croix, aujourd’hui rue Volta, c’est la première école juive de filles qui voit le jour.
Parallèlement à cette extension remarquable du réseau scolaire juif, la population juive parisienne connaît un accroissement important : 12000 âmes en 1842. 40 000, trente ans plus tard. Les besoins scolaires sont immenses.
Et Lucien de Hirsch ? On peut dire que c’est avec l’arrivée d’un couple, Benoît et Jeanne Lévy, chargés au tournant du siècle par le Comité des Ecoles du Consistoire Israélite de Paris de diriger l’une des trois écoles qui sont sous sa tutelle, que l’histoire de cet établissement prend corps. Nous sommes en 1901. Au 68-70, rue Secrétan, dans le 19ème arrondissement de Paris, se situe l’école Halphen du nom de son fondateur, créée en 1864 et devenue l’école Lucien de Hirsch, du nom du fils du baron Maurice, grand numismate prématurément disparu. Les Lévy vont se donner corps et âme à l’école qui leur est confiée.
Entre 1914 et 1935, Lucien de Hirsch est la principale école consistoriale. 1935 constitue un tournant avec la création par Marcus Cohn du premier établissement secondaire juif, Maïmonide. Puis viennent les années de guerre tragique, finement analysées par Raphaël Elmaleh. En 1948, un nouvel établissement, Yabné, voit le jour. En 1950, après Alice et Nathan Schentowski, Marianne et Bernard Picard vont à leur tour, imprimer leur marque à Lucien de Hirsch.
Chronologiquement, patiemment, agrémentant son études d’anecdotes et de portraits savoureux de tous ces dirigeants qui ont fait l’école juive, l’auteur évoque les « années de combat », 1950-1965, les « années Marianne » (Picard), 1965-1988 jusqu’à la période actuelle.
Un très beau cahier iconographique plein de nostalgie, nous permet de revoir les visages des enfants, certes, des bâtiments aussi, mais surtout de ces héros de l’ombres qu’ont été Les Lévy et les Picard, Bo Cohn et Ernest Jablonsky, Andrée Salomon, Gaby Cohen, Adam Loss, Louis Cohn, Paul Hazan, « le Tunisien », Benjamin Touati, Prosper Elkouby et Armand Stemmer.
Superbe et émouvant. A conserver dans toutes les bibliothèques.
Jean-Pierre Allali
(*) Editions Biblieurope. Novembre 2006. 624 pages. 29€