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Publié le 22 Septembre 2005

Nicole Bacharan, historienne et politologue : « On peut avoir des désaccords avec l’Amérique, mais penser que l’Amérique est un danger et un ennemi, cela c’est toujours une erreur. »

Question : En quatre années d’intervalle, les Etats-Unis ont doublement été frappés. Pourtant, il y a quatre ans, on avait l’impression que l’Amérique était particulièrement unie, et soudée derrière ses morts et son Président. Ces derniers jours, il semble que les habitants de la Nouvelle Orléans aient été abandonnés à leur triste sort. Et nombreux sont ceux qui critiquent les autorités fédérales et le Président. Le Président des Etats-Unis a-t-il failli ?



Réponse : Il y a quatre ans, il y avait un ennemi radical de toute l’Amérique qui avait frappé le sol américain. Dans ces attaques, à l’évidence, le Président George W. Bush ne portait aucune responsabilité. Il était donc normal et facile pour lui d’unir toute la nation dans une même lutte contre le terrorisme. A la Nouvelle Orléans, c’est très différent. Il s’agit d’une catastrophe annoncée, prévue, à laquelle ne manquait que la date. Et donc, dans l’abandon des populations les plus pauvres et la désorganisation des secours, toutes les autorités ont failli, les autorités de la ville, les autorités des Etats (plusieurs Etats) et les autorités fédérales. Dans la mesure où le gouvernement fédéral n’a pas bien joué son rôle, on peut dire que le Président Bush a failli.

Question : On a l’impression qu’en Louisiane notamment, les personnes les plus défavorisées ont été livrées à elles mêmes ou abandonnées. Des artistes américains ont accusé le Président des Etats-Unis d’être indifférent à leur sort, parce que ces gens sont noirs. Qu’en pensez vous ?

Réponse :
Les personnes les plus défavorisées, c'est-à-dire les pauvres, les malades, et les personnes âgées isolées ont été réellement abandonnés. L’évacuation a été ordonnée mais chacun devait partir par ses propres moyens. Il n’y avait pas d’aide ni pour le transport, ni pour l’hébergement. Il se trouve que l’héritage historique de l’esclavage puis de la ségrégation fait, que dans ces Etats du sud profond, les populations les plus pauvres sont en majorité noires. Cependant, le racisme est totalement étranger à George Bush. Il n’a jamais eu, ni dans sa vie privée, ni dans ses choix politiques, aucune attitude raciste. Donc s’il a marqué une forme d’indifférence dans un premier temps au sort de la Nouvelle Orléans, c’est parce qu’il a une vraie ignorance de la pauvreté et que ces Etats du Sud ne sont pas sa première préoccupation dans ses calculs politiques, puisqu’ils l’ont toujours élu confortablement. Mais même s’il n’y a pas de racisme, je pense qu’il y a une sorte de faute morale à ne pas prendre en compte cet héritage du passé racial de l’Amérique et à oublier les réalités de la pauvreté.

Question : On parle de plus en plus d’une société américaine à deux vitesses, totalement insensible envers les plus démunis. On décrit les Etats-Unis comme un pays arrogant, fort de sa puissance et désireux d’imposer son ordre dans le monde. Mais dans le même temps, les Etats-Unis attirent autant d’immigrés et le rêve américain continue d’attirer vers lui tant de gens. Comment percevez vous ces critiques ?

Réponse :
La pauvreté en Amérique, malheureusement n’a rien de nouveau, même dans les périodes de prospérité, la proportion des pauvres n’a jamais pu descendre en dessous de douze pour cent de la population. A la Nouvelle Orléans, c’est la réalité de cette misère qui a été éclairée. Car d’habitude on ne la voit pas. C’est la face cachée de nos sociétés riches et ce n’est pas unique à l’Amérique. La puissance américaine fait souvent peur dans le monde, elle est souvent perçue comme une sorte de rouleau compresseur mais en même temps, dans toutes les situations de crise, le monde appelle l’Amérique au secours. Et le rêve américain garde un pouvoir d’attraction extrêmement fort. Tous les ans, plus d’un million d’immigrants légaux entrent aux Etats-Unis et quelques millions d’immigrants illégaux qui croient au rêve américain. C’est la force de l’Amérique. Et sa force c’est aussi que, les Américains, face à la vision de l’injustice, exigent que leur pays soit à la hauteur de ses idéaux.

Question : Nombreux sont les commentateurs qui critiquent l’intervention américaine en Irak. Ils s’effraient de ce qui se passe dans ce pays et pensent que cette intervention provoque le terrorisme et nourrit Al Qaeda. Que pensez vous de ces critiques ?

Réponse :
L’Amérique n’a pas inventé le terrorisme c’est un ennemi qui existe et qui veut prendre le pouvoir par la terreur avant tout dans le monde musulman. Cependant, il n’est pas certain que la guerre d’Irak ait été le meilleur moyen de lutter contre le terrorisme et même si, chasser Saddam Hussein du pouvoir, restait une bonne cause, on ne peut pas nier que l’Irak soit devenue le centre majeur des activités terroristes.

Question : En France, vous semble-t-il que l’on est plus antiaméricain que nécessaire ?

Réponse :
Je pense que l’antiaméricanisme a des racines historiques. On peut y voir certainement la frustration d’un pays la France qui, ancienne grande puissance n’est plus qu’une puissance moyenne ; la concurrence qui existe entre deux pays : la France et les Etats-Unis, qui se posent chacun en modèle universel, mais je pense que les racines de l’antiaméricanisme sont encore plus psychologiques. Il y a l’envie, la jalousie, l’ingratitude ou plutôt la difficulté à être reconnaissant envers celui qui vous a sauvé. On peut avoir des désaccords avec l’Amérique, mais penser que l’Amérique est un danger et un ennemi, cela c’est toujours une erreur.

Question : Comment pensez vous que les relations bilatérales franco-américaines vont évoluer ?

Réponse :
Un éloignement continu entre les deux pays serait très préjudiciable pour l’un et pour l’autre. La France comme l’Amérique a besoin d’alliés mais je crois qu’au delà des différences de politique ou de personnes, les intérêts communs demeurent très forts, suffisamment pour qu’un véritable éloignement ne soit pas possible. Le terrorisme islamiste a déclaré la guerre aux démocraties et cela oblige ces démocraties à être solidaires.

Propos recueillis par Marc Knobel