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Publié le 15 février dans France 3
Le récit ne débute pas le jour-même de la tuerie mais au Shabbat précédent, un samedi où le trauma voire le mauvais pressentiment des assassinats de Montauban sont déjà dans toutes les têtes. Cauchemars et coïncidences rétrospectivement troublantes s’enchaînent. Comme cette scène de révision d’un devoir d’histoire dont le thème central est une exécution à la guillotine en public.
Pour l’aider à comprendre, une mère dit à sa fille, élève d’Ozar Hatorah :
- Réfléchis ! Imagine que tu es en train de te faire tuer et que tous tes copains sont présents pour y assister !
Il doit être cinq heures du matin quand je me réveille. J’ai fait un cauchemar terrible. Un homme armé faisait irruption dans l’internat et tirait sur tout le monde. Rudy G., 16 ans, élève de 1ère, interne, trois heures avant la fusillade
Viennent les souvenirs de la fusillade. Au début beaucoup croient à des pétards, la fête juive de Pourim venant de s’achever. Ensuite surgit l’incrédulité qui saisit, paralyse les gestes ou rend incapable d’émettre le moindre son ou de prononcer un mot. Une responsable de parents d’élèves évoque son fils resté muet plusieurs mois après le drame.
Le rire de Merah
Le premier témoignage sur la fusillade est celui de Beïla, 12 ans, élève de sixième. Sa parole est glaçante. Son incompréhension, la façon dont elle essaie de se cacher alors que Merah l’a vue, comment elle se fait chasser par une riveraine chez qui elle essaie de se réfugier, cette dernière la prenant pour « une personne malintentionnée ». Et puis surtout le rire du tueur et les corps d’enfants ensanglantés. L’horreur s’installe alors, à l’image de celle que voit défiler sous ses yeux Dova. L’élève de 15 ans crie à la petite Myriam Monsonégo, poursuivie par le tueur, de courir. La fillette de huit ans, machinalement, revient en arrière récupérer son cartable qui l’alourdit alors dans sa fuite. Merah la rattrape facilement et l’abat.
Confusion et culpabilité
Ce même Dova transporte le corps de la fillette comme auparavant celui d’un autre élève gravement blessé. Ce qui frappe dans tous ces témoignages, dont la plupart d’élèves d’alors, c’est le désordre qui règne dans l’école. Une pagaille autant dans la logistique et l’organisation des premiers secours que dans les têtes. Tout est confus. L’auteur ne dissimule rien des peurs, sidérations ou paniques de chacun. Mais qui aurait fait mieux ou autrement face à ce cataclysme ?
Ce livre raconte justement aussi la culpabilité : celle de ne pas avoir pu faire plus pour sauver des vies ou aider, celle d’avoir été absent ou en retard ce jour-là (comme pour les rescapés de Charlie Hebdo). Mais en filigrane de ce récit surtout plane la culpabilité d’être un survivant.
Une des armes de Merah se serait enrayée. Il ne restera que quelques instants dans la cour, ne rentre pas dans les salles ou dans la synagogue alors remplie. Samuel Sandler est convaincu que c’est l’intervention de son fils qui a sauvé l’école « car c’est en conséquence de son action que l’arme s’est enrayée » dit-il au moment du procès en appel.
En discutant entre élèves, nous réalisons que de nombreux miracles se sont quand même produits ce matin : certains élèves sont arrivés beaucoup plus tôt, d’autres beaucoup plus tard. Certains ont même connu des pannes de réveil. Presque personne n’est arrivé exactement en même temps que le tueur.Hannah H, 18 ans, élève de terminale
Clara, élève de 4ème, appelle son père quelques minutes après la fusillade et lui explique qu’il s’agit « du tueur de Montauban ». Combien l’ont su ou ont fait le rapprochement ? A quel moment ? Avoir un coupable ou un mobile peut-il aider à surmonter l’innommable ? De toute façon, qu’est-ce qui peut justifier de s’en prendre à des enfants, dans leur école ? Rien.
Dans sa préface, Jonathan Chétrit écrit : « je ne souhaite pas faire de comparaison entre la Shoah et cet attentat, même s’il existe d’indéniables similitudes : en 1940, on fusillait des juifs ; en 2012 aussi. » Dylan qui était alors en 1ère évoque une « haine injuste ».
En jeune fille cartésienne et rationnelle, il m’est impossible d’entendre que, dans ce monde, dans ce pays, dans cette ville, dans cette rue calme, dans ce petit établissement, quelqu’un est venu, armé, avec une volonté ferme de tuer des juifs, et qu’il l’a fait. Sarah-Lucie M.-S, élève de 3ème
Samuel Sandler a perdu ce 19 mars 2012 son fils Jonathan et ses petits-enfants Arié et Gabriel. Quand Nicolas Sarkozy, alors Président de la République pour encore quelques jours, lui dit qu’il va « attraper le barbare qui a commis ces actes », il lui répond : « Mais un barbare, c’est un homme. Celui qui a fait ça ne peut pas être un homme ».
Abattu quelques jours plus tard par les forces de l’ordre Merah restera inhumain jusqu’au bout. Il ne passera pas par la justice des Hommes. « Il est mort. Cela ne provoque en moi aucun sentiment particulier. Ni haine, ni colère, ni satisfaction. Sa mort ne nous rendra pas nos disparus » assène l’auteur.
Affronter le regard du frère du tueur
De procès, il en sera toutefois question dans la deuxième partie du livre. Jonathan Chétrit et certains de ses camarades vont devoir affronter le regard du frère du tueur, Abdelkader Merah, « qui n’exprimait pas une once de pardon ni de regret ». Mais plus encore, il faudra entendre tous les récits de ce jour sanglant où tout a basculé. Cette souffrance est le prix à payer pour obtenir une forme de « thérapie » et surtout essayer de « comprendre l’idéologie qui animait le tueur ».
En entrant dans le box vitré, les accusés jouent à nous regarder avec insistance pour nous faire baisser les yeux. Mais nous tenons. Nous, parties civiles. Bien que cela soit infernal, nous tenons. C. Ch., professeur d’anglais
En première instance, la culpabilité pour « complicité » d’Abdelkader Merah n’est pas prononcée. Il y aura donc appel et pour certains une nouvelle souffrance à affronter. Sharon B n’y assistera pas cette fois-ci. Au contraire, Hannah H, elle, décide de s’y rendre tous les jours pour enfin « comprendre la décision rendue lors du premier procès ».
Je cherche toujours à connaître au cours de ces audiences, les derniers instants de mon fils, Jonathan et de ses enfants, Arié et Gabriel. Samuel Sandler
Au détour de cette nouvelle épreuve judiciaire, il y a cette scène surréaliste. Prévenu de l’imminence du verdict l’auteur et quelques-uns de ses camarades qui visitaient les étages du palais de justice en attendant, en descendent les escaliers en trombe, excités, en criant de peur ou de joie. Comme une réminiscence, l’espace de quelques secondes, des années d’insouciance à Ozar Hatorah, celles d’avant ce 19 mars 2012.
La dernière partie du livre s’intitule « 10 ans après ». Il y est écrit que « la vie a repris ses droits » mais aussi que « les séquelles ne disparaîtront jamais » même si certains témoins se sentent coupables d’amnésie « protectrice ». D’amnésie il en sera aussi question, avec plus d’amertume, dans les dernières pages.
Les prémices d’une menace grandissante pour l’ensemble du pays
L’auteur reproche aux médias comme aux politiques de ne pas avoir vu à travers « le loup solitaire », comme était surnommé Merah, « les prémices d’une menace grandissante pour l’ensemble du pays ». Vinrent effectivement ensuite les attentats de Paris mais aussi ceux de Nice, de Saint-Etienne du Rouvray ou encore de Trèbes. Ces mêmes attentats qui selon certains anciens d’Ozar Hatorah ont finalement occulté ceux de Toulouse et Montauban de « la mémoire nationale ». Raison de plus pour se plonger dans « Toulouse, 19 mars 2012 », pour ne pas oublier et pour se souvenir que l’horreur peut frapper n’importe où, n’importe quand.