Jean Pierre Allali

Jean-Pierre Allali

Blog du Crif - Les Juifs du Kurdistan

19 January 2021 | 498 vue(s)
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Le 10 janvier 2023, Yonathan Arfi, Président du Crif, s'est rendu à la cérémonie en hommage aux victimes de la rafle de Libourne du 10 janvier 1944. Il a prononcé un discours dans la cour de l'école Myriam Errera, arrêtée à Libourne et déportée sans retour à Auschwitz-Birkeneau, en présence notamment de Josette Mélinon, rescapée et cousine de Myriam Errera.  
 

La 12ème Convention nationale du Crif a eu lieu hier, dimanche 4 décembre, à la Maison de la Chimie. Les nombreux ateliers, tables-rondes et conférences de la journée se sont articulés autour du thème "La France dans tous ses états". Aujourd'hui, découvrez un des temps forts de la plénière de clôture : le discours de Yonathan Arfi, Président du Crif.

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Le Crif, par le biais de la Commission des Relations avec les ONG , les Syndicats et le Monde associatif, que je préside, entretient des relations cordiales avec la représentation des Kurdes en France. C’est ainsi que nous avons reçu, en son temps, Monsieur Ali Dolamari, représentant en France du gouvernement régional du Kurdistan. Pleins feux sur le Kurdistan et sa communauté juive et retour sur une histoire millénaire.

 

Depuis quelques années, l'éclatement de l'Irak et de la Syrie avec l'apparition de l' « État Islamique » du « Calife » Abou Bakr al-Baghdadi , exécuté, on le sait, par les soldats américains, a mis sur le devant de la scène internationale, les Peshmergas, combattants kurdes, alliés d'Israël qui sont le rempart le plus déterminé contre la menace du Califat et qui se battent avec détermination pour la défense de certaines villes comme Kobané. Une importante communauté juive vivait depuis des siècles au Kurdistan. Malgré la constitution d’une structure bien agencée en Irak,  le Kurdistan n’est pas un État formellement constitué. Mais il existe des populations kurdes réparties dans cinq pays : 12 millions en Turquie, 6 millions en Iran, 4 millions en Irak, 800 000 en Syrie et 50 000 en Arménie. On en trouve également en Azerbaïdjan. Les Juifs Kurdes, de leur côté, se sont retrouvés, au cours des siècles, dans les mêmes lieux que les Kurdes majoritaires avec une plus forte présence en Irak. Aujourd'hui, ils ont quitté leur terreau ancestral essentiellement pour Israël où la quasi-totalité des 130 000 membres de la communauté juive kurde est désormais installée. 

Les historiens s'accordent en général à penser que les Juifs Kurdes que le Livre d'Isaïe décrit comme « ceux qui étaient perdus au pays d'Assur », descendent des fameuses  « tribus perdues » expulsées du royaume d'Israël après la conquête assyrienne au VIIIème siècle avant J.C. et plus particulièrement des tribus de Dan, de Naphtali et de Benjamin. En 586 avant J.C., date de la destruction du Premier Temple de Jérusalem par Nabuchodonosor, d'autres Juifs quittent la Terre d'Israël pour le Kurdistan.

Le monde occidental a commencé a entendre parler de ces Juifs du bout du monde quand de grands voyageurs juifs et des émissaires religieux ont pu aller à leur rencontre : Benjamin de Tudéla et Petahia de Ratisbonne au 12ème siècle, le rabbin et poète espagnol Yehuda  Aharizi, en 1230, et, au 17ème siècle, des  collecteurs de fonds  et même des messagers propagandistes du « Faux Messie » Sabbataï Tsvi . Au XVI ème siècle, c'est au tour du voyageur juif yéménite Zakhariah al-Dahiri, d'aller à la découverte des Juifs kurdes dont il donne une description très élogieuse. Plus tard, en 1848, un autre grand voyageur juif, Benjamin le Second, ira les visiter.

Tous décrivent avec étonnement ces milliers de Juifs parlant des langues proches de l'araméen avec des ajouts de persan, de turc, de kurde, d'arabe et d'hébreu ( le hulaula dans le Kurdistan iranien, le lichan didan en Azerbaïdjan iranien, le lishanid noshan dans le sud de l'Irak et le lishana deni dans le nord de l'Irak) et pratiquant des fêtes et cérémonies très spécifiques comme la « saharana », hommage à la nature et à la création, avec un répertoire musical particulièrement original.

Avant les premières vagues de départ pour Israël, on dénombrait 146 communautés juives kurdes en Irak, 24 en Turquie et 19 en Iran.

Dans ces communautés généralement dirigées par un « khakham » assisté d'un comité de sept sages, fonctionnaient notamment des synagogues et un système d'abattage rituel.

Entre le XIème siècle et le début du XIVème, sous l'autorité des Seldjoukides, les Juifs kurdes vivent dans une relative tranquillité.

Avec la conquête de Bagdad par Soliman le Magnifique en 1534, la situation des Juifs kurdes va commencer à se gâter. Par milliers, ils quittent leurs montagnes pour s'installer à Safed et à Jérusalem. Avant même la création de l'État d'Israël, des villages kurdes entiers font leur alyah. Ils sont 90 000 en Palestine mandataire en 1939 dont plus de 4000 à Jérusalem. En 1941, la révolte irakienne pro-nazie de Rachid Ali et les persécutions anti-juives qui s'ensuivent vont pousser d'autres Juifs kurdes à rejoindre la Terre d'Israël. Avec la création de l'État juif les choses empirent. Nombreux sont les Juifs kurdes qui sont emprisonnés sous l'accusation de sionisme. Au début des années cinquante, la fameuse opération « Ezra et Néhémie » permet le transfert en Israël de la quasi-totalité des Juifs irakiens en général et kurdes en particulier.

 

Sur les 130 000 Juifs kurdes qui vivent aujourd'hui en Israël, on en compte 60 000 à Jérusalem, 40 000 dans le Nord et 30 000 dans le Centre.

Nombreux sont les Juifs kurdes qui ont réussi comme l'ancien ministre de la défense Yitzhak Mordehaï. Sans oublier les rabbins Zaccaria Barachi et Shmouel Barouh.

Une curiosité : le nom de Mustafa Barzani, chef légendaire de la révolte kurde et de son fils qui a dirigé la lutte contre l'État Islamique, est aussi celui de l'une des lignées de rabbins qui s'est illustrée au Kurdistan depuis le XVIIème siècle, tels Nathanaël Barzani et son fils, Samuel.

On n'oubliera pas non plus les sites juifs importants qui se trouvent au Kurdistan : Le tombeau de Nahum à Alikush, celui de Jonas à Nabi Yunis (Ninive) et celui de Daniel à Kirkouk.

 

Par Jean-Pierre Allali

Illustration : Célébration de la fête de Saharana  par des Juifs kurdes