Par Marc Knobel, Directeur des Etudes au Crif
A l'occasion de la commémoration de l'assassinat, le 16 novembre 1986, du PDG de Renault, Georges Besse, par des membres d'Action Directe, Marc Knobel revient sur l'antisionisme et l'antisémitisme de ce groupe terroriste.
En illustration : l'attentat du 13 avril 1985 contre la banque israélienne Leumi.
C'est le soir du 16 novembre 1986, et il est un peu plus de 20 heures. Plongé dans ses pensées, Georges Besse arrive, à son heure habituelle, devant son immeuble du boulevard Edgar-Quinet. Une jeune femme s'approche de lui et le dévisage brièvement. Sans un mot, elle ouvre le feu, se penche sur lui et s'empare de sa serviette. Pour plus de sécurité, elle tire encore une fois. Suivie de sa complice, qui la «couvrait» l'arme au poing, elle s'engouffre dans le métro Raspail. Au moment de monter dans la rame, elle jette une poignée de tracts: Action directe signe l' «exécution». L’exécution de qui ? Du PDG de la Régie Renault, il vient de mourir (1). C'est la dernière «opération de guérilla urbaine» du quatuor Rouillan, Ménigon, Aubron, Cipriani, qui sera mis hors d'état de nuire trois mois plus tard, à Vitry-aux-Loges.
Action Directe ? De quoi et de qui s’agit-il ?
Nous sommes en 1979. Un groupe est fondé, il aura pour nom… Action directe. Action directe est le résultat de la fusion compliquée de membres des Groupes d'action révolutionnaire internationalistes (GARI), des Noyaux armés pour l'autonomie populaire (NAAP) et des Brigades internationales (BI). Ces trois groupes appartiennent à une/la même famille idéologique et de pensée que la Gauche prolétarienne (GP), un mouvement maoïste dissous en 1974. En 1974, déjà, ce groupuscule prônait le recours à la violence comme arme politique. A la fin des années 70, apparaissent en Europe, d’autres mouvements comme la Fraction armée rouge en Allemagne ou les Brigades rouges en Italie (2).
En France, les deux fondateurs du mouvement Action directe sont Jean-Marc Rouillan et André Olivier. Le premier est tombé dans l'activisme dès sa jeunesse en se lançant dans la lutte antifranquiste. Le second est professeur de lettres. Il est également militant maoïste de la région lyonnaise. Derrière eux, se trouvent d’autres personnes : Nathalie Ménigon, qui sera impliquée dans des actions terroristes revendiquées par le groupe ; Joëlle Aubron, coupable du meurtre du général Audran et du PDG de Renault, Georges Besse ; Georges Cipriani, l'un des leaders historiques du groupe d'extrême gauche. Il sera condamné notamment pour les assassinats en 1986 du PDG de Renault Georges Besse et en 1985 de l'ingénieur général René Audran ; Max Frérot, l'artificier de la branche lyonnaise d'Action Directe ou encore Régis Schleicher, membre du groupe, condamné deux fois à la réclusion à perpétuité pour sa participation à la mort de deux policiers lors de la fusillade de l'avenue Trudaine à Paris le 31 mai 1983 et pour des holdups. Il a été marié à Joëlle Aubron.
Bien plus tard, en septembre 2016, on reparlera une fois encore du cofondateur d’Action directe. Jean-Marc Rouillan est condamné, mercredi 7 septembre, à huit mois de prison pour apologie de terrorisme. Celui-ci avait qualifié de « courageux » les auteurs des attentats djihadistes du 13 novembre 2015 dans un entretien au mensuel marseillais Le Ravi de mars. Mais devant ses juges, il avait expliqué qu’il aurait dû dire… « Déterminés ».
Action directe et l’antisémitisme/l’antisionisme ?
Lorsque l’on parle d’Action directe et des quelques 80 attentats qui ont été commis par ce groupe terroriste, on rappelle généralement qu’AD menée une lutte contre l’impérialisme capitaliste, des/les symboles de la puissance de l’État, le grand patronat et la défense du prolétariat. On devrait souligner aussi que l’antisémitisme imprégné fortement le groupe.
Retour sur le passé, donc.
Pendant l'hiver 81-82, après de nombreux débats internes, l'organisation se scinde en quatre groupes : deux décident d'arrêter la lutte armée. Mais, autour d'André Olivier se forme l'Affiche rouge (AR), qui commet plusieurs attentats antisémites (3), tout en continuant une lutte prétendument anti-impérialiste et enfin Action directe avec Jean-Marc Rouillan et Nathalie Menigon, qui s'allie à la Fraction armée rouge dans le cadre de la stratégie d'« unité des révolutionnaires en Europe de l'Ouest » à partir de 1985.
Le 29 mars 1982, l'antenne du ministère de la défense israélien, boulevard Malesherbes à Paris, est mitraillée. Cette action est revendiquée depuis Beyrouth par la Fraction armée révolutionnaire libanaise (Farl) et Action directe. Le 8 avril, Joëlle Aubron et Mohand Hamami sont arrêtés.
Le 1er août 1982, la voiture d’un fonctionnaire de l’Ambassade d’Israël à Paris est mitraillée. Le 10 août 1982, la Citrus Marketing Board of Israël rue de la Baume à Paris est attaquée. Dimanche 8 août 1982, attentat à la bombe à Paris contre un magasin d’outillage de la société Nemor (accusée de commercer avec Israël), revendiqué par Action Directe. Le 27 septembre 1982, un nouvel attentat est perpétré contre la voiture du responsable de la sécurité de l’Ambassade d’Israël, à Paris, à proximité du lycée Carnot. Il est revendiqué par l'Unité Combattante Marcel Rayman d’Action Directe et les Fractions armées révolutionnaires libanaises. Samedi 13 avril 1985 : attentats à Paris contre la banque israélienne Leumi (boulevard des Italiens) (4).
Justement, en 1995, une cour d'assises spéciale poursuit le procès de la branche lyonnaise du mouvement. On juge les 33 derniers attentats parisiens du groupe et André Olivier, le chef du groupe des Lyonnais, est sur le banc des accusés.
C’est alors que, lors d’une audience, les accusés présentent leurs excuses à… Marie-France Vilela, qui avait perdu la vue lors de cet attentat, rapporte le journaliste Franck Johannes dans Libération, le 26 juin 1995.
«Madame Vilela, je sais que vous ne serez pas d'accord avec ce que je dis, explique doucement Emile Ballandras. On a fait des repérages sur une semaine ou dix jours, et on s'est profondément trompés. Jamais on n'aurait imaginé que vous passeriez par-là, on ne vous avait jamais vue sortir après onze heure et demie le soir.» Il lui parle avec précautions, elle est là, à deux pas, sans le voir, sans l'écouter non plus. Elle sait seulement qu'elle est sortie promener son chien rue de la Baume, à Paris, ce 11 août 1982, que la bombe a éclaté lorsqu'elle passait devant l'immeuble du Citrus Marketing Board of Israël et que depuis elle est aveugle. Emile Ballandras essaie encore. «On a été consternés le lendemain, en apprenant que vous étiez blessée. Aux jambes, disait le journal. Immédiatement, on s'est dit: C'était la dame qui promenait son chien. On a fait une connerie.» Il raconte d'autres attentats où il est revenu dix fois remonter le mécanisme de mise à feu parce que quelqu'un arrivait dans la rue. Il veut lui expliquer les bombes israéliennes sur le Liban en 1982, pourquoi ils ont fait ça.
Elle coupe court: «La politique, ça ne m'intéresse pas. Quand on pose des bombes, c'est toujours très lâche, c'est pour tuer des gens.» Ballandras renonce, à regret. Marie-France Vilela n'est déjà plus là, elle retourne au Portugal, atone, brisée, dans «sa prison sans barrière» (5). André Olivier, par contre, en remet une couche sur… le lobby juif.
Libération raconte encore. Lors d’une autre audience, Max Frérot, l’ancien artificier d'Action directe, disserte sur « les actes criminels de l'impérialisme juif qui occupe la France ». André Olivier demande à Me Francis Szpiner, « indépendamment de vos titres d'agent du Mossad, vous êtes qui? » et on apprend que si leur ancien avocat, Me Jacques Vergès, avait jadis « un pied sur le Coran l'autre sur la Torah », il a désormais les deux sur le Livre juif. Et les deux hommes de ricaner d'un air entendu lorsque Me Catherine Cohen se porte partie civile pour Radio-France (6)...
Scène insupportable que voilà. Des terroristes qui présentent des excuses à une passante, tout en justifiant in fine le mitraillage et les attentats antisémites. Me Attilio Baccioli, l'avocat italien du noyau dur d'AD n'y voit pas malice, raconte Libération. Il était second couteau dans le procès de Jean-Marc Rouillan et Nathalie Ménigon, s'est fait un nom dans la défense des Brigades rouges, et ne comprend pas du tout pourquoi on lui rabat les oreilles avec l'antisémitisme de ses clients. « Il y a une réalité économique juive, le capitalisme financier, explique notre bon maître, il faut lutter contre ce capitalisme juif. D'ailleurs les juifs restent liés entre eux, ils sont séparés du reste des Français » (7).
L’obsession paranoïaque et complotiste
C’est là finalement (et également) toute la construction idéologique du groupe. L’obsession antisémite d’Action directe est caractéristique, sous couvert d’antisionisme et d’attentats perpétrés contre les/des intérêts israéliens.
Une stratégie qui se développe et qui touche différents mouvements d’extrême gauche, en Europe ou au Japon, à cette époque-là. Ce qui caractérise aussi Action directe et les autres groupes terroristes, c’est cette sorte de configuration monstrueuse que nous qualifierons de paranoïaque et de complotiste et qui voudrait que le monde soit manipulé par le lobby Juif. Une obsession caractéristique de ces franges politiques, jusqu’à nos jours. Récemment, une étude publiée par l'Université libre de Berlin en juillet 2016 suggère que l’antisémitisme touche plus fortement l’extrême-gauche allemande que ce que l’opinion publique pouvait penser. 34% des sympathisants d’extrême gauche allemands penseraient que « les juifs ont trop d’influence » dans le pays. C’est ce qui ressort d’une étude menée par l'Université libre de Berlin qui s’est intéressée de plus près au phénomène de l’antisémitisme au sein de la gauche de la gauche, outre-Rhin (8).
L’antisémitisme au sein de l’extrême gauche, un vrai sujet…
Notes :
1. Xavier Raufer, «Pourquoi est mort Georges Besse », L’Express, 7 octobre 2010
2. Voir à ce sujet : Michaël Prazan, Une histoire du terrorisme, Flammarion, 2012, p. 330 et suivantes. Voir aussi la rubrique de Wikipedia consacrée à Action directe.
3. Voir à ce sujet : Jacques Leclercq, Dictionnaire de la mouvance droitiste et nationale de 1945 à nos jours, L'Harmattan, Paris, 2008. Voir aussi la rubrique de Wikipedia consacrée à Action directe.
4. Voir à ce sujet l’intéressante chronologie publiée sur :
5. Franck Johannes, « Les excuses et les menaces d’Action directe », Libération, 26 juin 1995.
6. Franck Johannes, « Action directe et la violence interne », Libération, 30 juin 1995.
7. Idem.