Tribune
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Publié le 25 Juin 2013

Rose-Marie Antoine, être passeur de mémoire

La Directrice générale de l’ONACVG (Office National des Anciens Combattants et Victimes de Guerre) livre ici sa conception de la Citoyenneté, «avant tout définie par ce sentiment d’appartenance qui unit tous les citoyens »: « C’est l’acceptation d’une responsabilité partagée ajoutée à la volonté de s’investir pour une cause commune. C’est la prise de conscience du prix à payer pour défendre les libertés. Être citoyen, c’est se mobiliser et rassembler autour des valeurs républicaines.»

La transmission des valeurs civiques et des principes de la République relève principalement du monde de l’Éducation « mais ne saurait être assumée par l’Éducation nationale seule », ajoute-t-elle. L’Office qu’elle dirige est plus spécifiquement « un passeur de mémoire, qui doit assurer le lien intergénérationnel entre les témoins de l’Histoire et les jeunes générations ».


La REVUE CIVIQUE: La citoyenneté, pour certains, est devenue une notion vague. S’il fallait en retenir une définition essentielle, quelle serait-elle ?


Rose-Marie ANTOINE: La notion de citoyenneté est très riche et peut être appréhendée sous autant d’angles que d’aspects qui la définissent: politique, économique, géographique, juridique, identitaire, linguistique, historique, culturel, etc. Cette multiplicité de points de vue peut expliquer le sentiment de confusion autour de cette notion.


Pour ma part, la citoyenneté est avant tout définie par ce sentiment d’appartenance qui unit tous les citoyens entre eux. C’est l’acceptation d’une responsabilité partagée ajoutée à la volonté de s’investir pour une cause commune. C’est encore la prise de conscience du prix à payer, individuellement et collectivement, pour défendre les libertés. Être citoyen, c’est se mobiliser et rassembler autour des valeurs républicaines qui sont les nôtres.


Quel type de pédagogie devrait être développé, en France, autour de la citoyenneté et des principes de la République ? Le monde de l’Éducation n’est-il pas le premier, à priori, concerné, situé en quelque sorte en première ligne ?


Les valeurs de la République s’apprennent essentiellement à l’école dont l’une des missions premières est, selon l’article 2 de la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’École du 23 avril 2005, « de faire partager aux élèves les valeurs de la République(1) », lesquelles permettent d’exercer pleinement la citoyenneté. Mais l’éducation à la citoyenneté ne concerne pas seulement le monde de l’Éducation. Il concerne également l’ensemble des structures qui interviennent auprès des élèves et auxquels elles apportent un complément d’enseigne ment, à l’instar de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG).


Renouveler le lien armée-Nation


L’école de la République et l’ONACVG sont deux vecteurs distincts de transmission des valeurs de la République (liberté, égalité, fraternité, laïcité, refus de toutes les discriminations) qui n’ont pas les mêmes raisons d’être mais qui partagent des champs de compétence à la fois communs et complémentaires. L’Éducation nationale offre l’enseignement fondamental nécessaire aux élèves pour apprendre à vivre en société et à devenir des citoyens responsables, conscients des principes et des règles qui fondent notre démocratie. L’Office est plus spécifiquement un passeur de mémoire, qui doit assurer le lien intergénérationnel entre les témoins de l’Histoire et les jeunes générations. Il contribue également au renouvèlement du lien Armée-Nation en participant, notamment, à l’organisation annuelle de la Journée Défense et Citoyenneté (JDC) qui a pour objet d’informer les jeunes citoyens français sur leurs droits et devoirs afin de les aider à mieux comprendre le fonctionnement des institutions de leur pays mais aussi de renforcer leur sentiment d’appartenance à la communauté nationale.


En tant que garant de la mémoire de celles et ceux qui se sont battus pour la France – de cette mémoire créatrice de lien social – l’ONACVG vient en soutien au monde enseignant en lui proposant des outils pédagogiques(2) (telle que l’exposition La Citoyenneté, une mémoire en partage) qui apportent un complément d’enseignement en matière d’histoire, de mémoire, et d’éducation civique. Que l’on pense également au concours des Petits Artistes de la Mémoire (PAM) qui consiste à faire travailler ensemble les élèves d’une classe de primaire sur l’histoire d’un Poilu de leur commune ou région, et qui donne lieu à un album de dessins, fruit de recherches d’archives. Instauré en 2006, il a récemment fait l’objet d’un partenariat avec l’Éducation nationale et va être lancé dans l’ensemble des établissements scolaires sous contrat avec l’État en 2014.


Si la transmission des valeurs citoyennes et des principes de la République relève principalement du monde de l’Éducation, elle ne saurait être assumée par l’Éducation nationale seule. D’autres structures doivent proposer des compléments à l’enseignement pour former au mieux les jeunes citoyens en devenir. Informer, sensibiliser et transmettre l’héritage historique et mémoriel qui fonde les valeurs citoyennes et les principes de la République relève d’une des principales missions de l’ONACVG.


Une perpétuelle construction


L’exposition La Citoyenneté, une mémoire en partage – inaugurée fin février 2013 au Conseil économique, social et environnemental (CESE) par le Ministre délégué auprès du ministre de la Défense, chargé des anciens combattants, Kader Arif, en présence de Jean-Paul Delevoye, président du CESE – est itinérante. Elle est soutenue par le réseau des Maisons de l’Europe, présidé par l’ancien Ministre, Catherine Lalumière. Entre citoyenneté nationale-républicaine et citoyenneté européenne, n’y a-t-il pas un risque de troubler le message ?


Il n’y a pas de contradiction entre citoyenneté nationale-républicaine et citoyenneté européenne. Si l’on revient à l’esprit du texte fondateur, il n’a jamais été question de substituer la citoyenneté nationale-républicaine au profit d’une citoyenneté plus large. Dans le traité de Maastricht (1992), la citoyenneté européenne est dès l’origine conçue comme « une citoyenneté de complément ». Elle prolonge la citoyenneté nationale des États-membres mais ne la concurrence pas. Il ne s’agit pas pour autant d’une citoyenneté « incomplète » imposée au détriment des Nations. Les États-membres restent souverains. Ils ne transfèrent pas leur légitimité aux instances supranationales mais y participent collégialement, ce qui est conforme au projet initial formulé par Robert Schuman qui entendait dépasser la Nation « non pour la diminuer et l’absorber, mais pour lui conférer un champ d’action plus large et plus élevée ». La citoyenneté est une notion en perpétuelle construction. Non seulement parce qu’en tant qu’expression de la volonté de vivre ensemble, elle doit être sans cesse renouvelée mais aussi parce que l’élargissement de l’Europe pose la question de la communauté de valeurs partagées, socle nécessaire pour forger un sentiment d’appartenance européenne afin de ne pas faire de l’Union européenne une entité juridico-politique éloignée des citoyens nationaux. La mémoire étant créatrice de lien social, l’émergence d’une conscience européenne est un des enjeux majeurs pour l’Union européenne.


Une communauté de destin


En offrant un cadre plus large où peut s’exercer la citoyenneté, l’Union européenne ne brouille pas le message entre citoyenneté nationale-républicaine et citoyenneté européenne mais vient au contraire l’enrichir d’une identité singulière fondée sur des valeurs partagées, définies par le traité sur l’Union européenne, telles que « l’attachement aux principes de la liberté, de la démocratie et le respect des droits de l’homme, des libertés fondamentales et de l’État de droit ». En offrant aux citoyens européens la garantie d’un avenir commun, l’Union européenne préserve les États-membres d’un conflit armé entre eux, condition nécessaire pour créer une communauté de destin.


Propos recueillis par Jean-Philippe MOINET


(In La Revue Civique n°11, Printemps-Été 2013)


1/ Loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’École du 23 avril 2005 – article 2: « Outre la transmission des connaissances, la Nation fixe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République. Le droit à l’éducation est garanti à chacun afin de lui permettre […] d’exercer sa citoyenneté. »


2/ Disponibles en ligne ou sur simple demande auprès du service de proximité concerné.