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La présence juive en Tunisie est cependant attestée par les fouilles archéologiques qui ont été effectuées depuis la fin du 19ème siècle et qui se poursuivent encore de nos jours. C’est ainsi qu’à Gammarth, station balnéaire des environs de la capitale, Tunis, a été mise à jour une nécropole juive du 2ème siècle de l’ère chrétienne. Un peu plus tardive, mais néanmoins très intéressante, la synagogue « Naro » découverte dans une autre station balnéaire, Hammam-Lif, toujours dans les environs de Tunis, date, elle du 5ème siècle.
Parallèlement à ces faits scientifiques avérés, la légende, dont on sait qu’elle comporte une petite part de vérité, vient ajouter son grain de sel : ne dit-on pas que le nom même de Carthage viendrait de l’hébreu, Karta Hadacha, ville nouvelle. Ou que Salammbô, ville chère à Gustave Flaubert doit se comprendre comme Chalom Po, ici règne la paix, dans la langue de Moïse. Légendaire aussi ce récit qui dit qu’au 10ème siècle, les Juifs, astreints à demeurer en dehors des murs de Tunis, sollicitèrent le juriste tunisien très influent, Sidi Mahrez, pour qu’il intercède auprès du souverain. « Combien êtes-vous ? » demanda l’homme de loi. Pour ne pas effrayer Sidi Mahrez les demandeurs affirmèrent : « Hara », entendez, en judéo-arabe, un quarteron. Sidi Mahrez lança alors, raconte-t-on, un bâton au loin en déclarant : « Où mon bâton tombera, votre « Hara » s’installera ». Ainsi, dit la légende, naquit le quartier juif de Tunis, la « Hara ».
Peu à peu, au cours des siècles, le judaïsme tunisien s’est constitué autour de trois rameaux essentiels : les Juifs venus de Terre Sainte après les destructions du Temple de Jérusalem ou dans le cadre de pérégrinations commerciales, les Berbères judaïsés comme ceux qui, autour de la fameuse reine juive, la Kahena, s’opposèrent, au 7ème siècle, à l’invasion arabe et les Granas, Juifs livournais, Italiens originaires d’Espagne.
Dès leur structuration en communautés, les Juifs s’organisent malgré l’hostilité quasi générale des conquérants successifs de la Tunisie. Avec l’islamisation du pays, ils seront astreints au statuts de la « dhimma ». En pays d’islam, les « Dhimmis », citoyens protégés de seconde zone sont astreints à des impôts spécifiques de capitation comme la « djezia » et soumis à des mesures vexatoires comme la « chtaka », une gifle donnée en public, chaque année, au chef de la communauté juive.
La « dhimma » qui s’applique en terre d’islam aux Juifs, aux Chrétiens et aux Zoroastriens interdit par exemple aux monothéistes non-musulmans de disposer de lieux de culte plus élevés que les mosquées environnantes. Le cheval, bête noble, est réservé au musulman. Le Juif, lui, n’a droit qu’à l’âne ou au mulet. Le « Dhimmi » doit céder le pas au musulman. Son témoignage ne vaut pas face à celui de son concitoyen musulman. Si la « dhimma » ne fut pas toujours appliquée avec rigueur, elle constitua incontestablement une mesure vexatoire et discriminatoire dure à supporter.
Au gré des possesseurs successifs du pays, les Juifs vécurent en Tunisie avec plus ou moins de bonheur. En 1057, lorsque l’invasion hilalienne s’abat sur l’Afrique du Nord et que Kairouan, centre de la vie juive tunisienne est détruite, les Juifs émigrent en masse et la communauté se disloque. Plus tard, de 1134 à 1150, sous les Almohades, les persécutions contre les Juifs se font très dures entraînant de nombreuses conversions forcées. Il faut attendre l’arrivée des Hafsides, entre le 13ème et le 16ème siècle, plus tolérants, pour voir la communauté juive renaître de ses cendres et s’épanouir.
L’entrée du pays dans l’ère moderne n’empêche pas certains souverains de perpétuer l’esprit rétrograde de la « dhimma ». Ainsi, en 1823, le bey Mahmoud ordonne-t-il à tous les Juifs de porter un bonnet noir. Les premiers signes d’une amélioration du statut des Juifs viennent avec l’avènement du bey Mohammed auprès duquel, le « caïd » des Juifs, Nessim Samama, obtient, en 1853, l’abolition de la corvée à laquelle ils étaient jusqu’ici astreints.
L’embellie est de courte durée. En 1856, le cocher juif du « caïd » Samama, Bathou Sfez, accusé d’avoir blasphémé la religion musulmane, est décapité. L’émotion est grande et, sous la pression des consuls de France et d’Angleterre, le bey Mohammed finit par édicter une charte, le « Pacte Fondamental », qui fait des Juifs tunisiens des citoyens à part entière et abolit dans les faits la pratique de la « dhimma ».
Avec l’établissement du protectorat français sur la Régence en 1881, c’est une ère nouvelle qui s’ouvre pour le judaïsme tunisien qui accueille avec chaleur et reconnaissance les principes démocratiques introduits par la France. Le judaïsme connaît un essor remarquable et le sionisme se développe sans crainte. La communauté organisée se constitue en 1921 avec la création d’un Conseil qui décide la construction d’une synagogue monumentale à Tunis, en centre ville. La Grande Synagogue de l’avenue de Paris voit le jour en 1931.
Mis à part les émeutes antijuives et les graves incidents qui se déroulent en 1934 à l’Ariana, dans la banlieue de Tunis, la communauté juive, forte de quatre-vingt mille âmes, connaît, pendant une quarantaine d’années, une paix sociale et un essor exceptionnels.
Hélas, les années sombres de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah vont la toucher de plein fouet. Les Allemands occupent la Tunisie entre novembre 1942 et mai 1943. Six mois sous la botte. Exactions, sévices, amendes collectives, assassinats, camps de travail obligatoire, déportations. La communauté juive de Tunisie n’est pas épargnée par l’hydre nazie.
Entre la Libération du pays et le temps de la décolonisation, la communauté juive va connaître une dizaine d’années de plénitude. Dans tous les domaines, des arts à la compétition sportive, de la politique à la littérature, de l’agriculture au commerce et à l’industrie, c’est le temps de la réussite exponentielle. Comme si, intuitivement, la communauté pressentait le maëlstrom en gestation.
L’autonomie interne de la Tunisie puis son indépendance, en 1956, sonnent le glas des espérances de la communauté. Le Conseil élu de la Communauté juive, dont le dernier président sera Maître Charles Haddad de Paz, est dissout. Tout comme le Tribunal rabbinique. Pour des motifs de salubrité publique, le quartier juif de la Hara où se situe l’ancienne Grande Synagogue est rasé… Lire la suite.
Séfarades - Palestiniens Les réfugiés échangés, un livre de Jean Pierre Allali, aux éditions Safed