Tribune
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Publié le 21 Janvier 2014

Le Hezbollah en sauveur d'Assad

Reportage de Georges Malbrunot, journaliste, spécialiste du Moyen-Orient et du conflit israélo-palestinien, publiée dans le Figaro du 21 janvier 2014

 

Ses 5.000 commandos d'élite, avec leur équipement ultramoderne, ont formé l'armée syrienne au combat de rue et protégeraient Bachar el-Assad. Les relations entre frères d'armes sont parfois tendues. Mais Damas se sent renforcé, et peu enclin à des concessions à la conférence de Genève.

 

«Ya Hussein, Ya Ali» : une vingtaine de pèlerins libanais fredonnent des slogans à la gloire des héros du martyrologe chiite. Ils marchent en direction des mosquées aux dômes dorés de Sayeda Zeinab. Mais la ferveur n'est pas au rendez-vous. Les descendants d'Ali ne sont plus qu'une poignée à converger vers ce lieu saint, vénéré par les chiites du monde entier.

 

À dix kilomètres de Damas, sur la dangereuse route de l'aéroport, Sayeda Zeinab est entouré de villages sunnites, acquis aux rebelles anti-Bachar el-Assad. «Heureusement, depuis quelques mois, l'accès est à peu près sûr», se félicite le docteur Ali Fawaz, qui vient chaque jour de Damas jusqu'à sa clinique, bravant le danger d'une guerre aux ressorts sectaires de plus en plus inquiétants. Lorsqu'il franchit le barrage avant d'arriver à Sayeda Zeinab, le Dr Fawaz et ses passagers se sentent enfin en sécurité. Le check-point est tenu par la milice Abou al-Fadl al-Abbas, des chiites irakiens reconnaissables à leur accent rugueux. Des portraits des ayatollahs iraniens - Khomeyni et Khamenei, l'actuel numéro un du régime - jalonnent la route qui conduit aux superbes mosaïques turquoise de Sayeda Zeinab, mais très peu de fanions du cheikh Nasrallah, ni du Hezbollah qu'il dirige.

 

Ici, comme ailleurs en Syrie, la milice chiite libanaise protège discrètement, mais efficacement le régime de Bachar el-Assad. Certains estiment même que ses hommes ont sauvé une armée qui manque cruellement de soldats formés au combat de rue. «Son implication varie selon les batailles, affirme Walid Charara, un expert proche du Hezbollah à Beyrouth. Le parti coordonne des opérations, il fait aussi de la planification avec l'armée syrienne ; il peut encore s'engager avec les unités d'élite ou plus massivement avec la troupe, comme ce fut le cas dans la bataille de Qalamoun, à l'ouest de Damas, pour verrouiller la frontière avec le Liban.»

 

Selon des sources israéliennes, ses cadres auraient également entraîné 50.000 membres de milices, comme les comités de défense populaire, qui épaulent l'armée dans la répression de ses opposants. Difficile de chiffrer le nombre de ses hommes, car les rotations sont nombreuses, mais ils seraient aux environs de 5.000. Des réservistes, mais surtout des membres des unités d'élite formés par les gardiens de la révolution en Iran, et aguerris par des années de lutte contre Israël. Ils auraient été impliqués dans plus de 80 combats à travers la Syrie, selon des sources proches de l'opposition, de la province d'Alep au nord à celle de Homs, en passant par Damas et sa périphérie agricole de la Ghouta, la citadelle du régime que le Hezbollah défend en priorité.

 

«Lorsqu'ils sont arrivés vers la fin de l'année 2012, les combattants du Hezbollah ont découvert une armée syrienne sans expérience de la guérilla urbaine, rappelle un proche du parti. Ils l'ont payé cher en vies humaines. Aujourd'hui, le Hezbollah ne se bat pratiquement plus qu'avec les unités d'élite de la IVe division, des forces spéciales et de la garde républicaine.» Entre-temps, ses cadres ont formé l'armée syrienne à la lutte anti-insurrection, en coordination avec des officiers iraniens de la Force al-Qods. «Le Hezbollah et des Iraniens ont commencé par sélectionner un groupe d'officiers syriens extrêmement loyaux qui les ont aidés à diffuser leur instruction», souligne cet expert. Lorsque l'un de ces relais, formé et géré par le Hezbollah, tombe au combat, comme le général Mohammed Ali, de la 106e unité de la garde républicaine, l'été dernier à Adra près de Damas, la perte est lourde.

 

Les commandos du Hezbollah combattent sous uniforme de l'armée syrienne. Impossible ou presque de les reconnaître. Ils opèrent sous commandement syrien, jure un proche du régime. Pas si sûr, font valoir plusieurs sources liées au Hezbollah. Sous la mitraille, les relations entre les deux alliés ont connu des hauts et des bas. Un tankiste sunnite a même retourné son canon contre ses frères d'armes libanais. Les pieuses unités du Hezbollah auraient également quelques problèmes à côtoyer des alaouites, la minorité à laquelle appartient Assad, peu pratiquants et volontiers consommateurs d'alcool. Pour continuer de travailler avec l'armée, les cadres du Hezbollah ont exigé que les éléments mafieux, les voleurs ou ceux qui kidnappent soient définitivement mis à l'écart. Après avoir intégré des agents au sein d'unités déployées dans le sud du pays, le Hezbollah a présenté à Bachar el-Assad une liste de 80 militaires qui auraient renseigné les rebelles. Que sont-ils devenus? Nul ne sait… Lire la suite.