Tribune
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Publié le 10 Septembre 2012

Iran : les scénarios d'une frappe d'Israël

Par Isabelle Lasserre pour le Figaro du 10 septembre 2012

 

La question d'utiliser la force pour freiner l'avancée de la bombe nucléaire iranienne n'a pas encore été tranchée par les dirigeants israéliens. Si le chef du gouvernement, Benjamin Netanyahu, et son ministre de la Défense, Ehud Barak, sont pour, de nombreuses voix - des généraux, d'anciens chefs du renseignement, des intellectuels, le président Shimon Pérès - ont mis en garde contre les conséquences d'une intervention. «Il est impossible d'envisager que les responsables puissent prendre une telle décision sans un consensus minimum au sein de la classe politique et dans le cabinet de sécurité», explique Bruno Tertrais, expert de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).

Chaque jour qui passe nous rapproche cependant de cette éventualité. Le processus diplomatique est quasiment arrivé à son terme: les négociations ont été «tuées» par la mauvaise volonté iranienne et les sanctions ont presque été poussées à leur maximum. Mélange de virus informatique et d'assassinats ciblés de scientifiques, l'action clandestine a ralenti le programme, mais pas suffisamment. Le dernier rapport de l'AIEA, l'Agence internationale de l'énergie atomique, paru fin août, a établi que l'Iran avait doublé le nombre de centrifugeuses à Fordow, un site enterré sous une montagne près de Qom, à l'abri, donc, d'éventuels raids aériens. «Les Iraniens n'ont fait aucun effort, aucune concession. Ils donnent des arguments à ceux qui veulent passer la vitesse supérieure», commente une source proche du dossier.

 

Bientôt, les Iraniens seront capables de transformer leur uranium à 20 % en uranium hautement enrichi à 90 % et de fabriquer plusieurs têtes nucléaires. La «zone d'immunité», au-delà de laquelle les installations et les activités décisives ne seront plus vulnérables aux frappes occidentales, notamment parce qu'elles auront été enterrées, se rapproche. «Si les Israéliens laissent cette limite être dépassée, ils dépendront entièrement des États-Unis pour leur sécurité. Ce qu'ils ne peuvent se permettre», explique un diplomate européen. D'où la tentation de frapper, afin d'endommager ce qui peut encore l'être et obtenir un sursis qui pourrait aller jusqu'à deux ans. Un répit suffisamment long pour chercher de nouvelles solutions, tout en espérant qu'entre-temps le régime iranien, qui considère l'État hébreu comme une «tumeur cancéreuse» à éradiquer, aura changé.

 

Le scénario le plus couramment étudié en Israël, où l'armée, Tsahal, s'entraîne depuis plusieurs années, est celui d'un raid unique, «invisible» et fulgurant pour limiter au maximum une réaction de la rue arabe. Comme celui qui avait détruit le réacteur nucléaire d'Osirak en Irak en 1981 ou le site d'al-Kibar, en Syrie, en 2007. Pour mener à bien cette mission, Israël dispose de bombes antibunkers à fragmentation, qui lui ont été livrées par les États-Unis. Tsahal serait aussi en train de négocier avec les responsables américains la fourniture d'avions ravitailleurs qui permettraient à ses chasseurs d'être autonomes.

 

L'opération risque cependant d'être plus hasardeuse qu'à Osirak ou à al-Kibar, où les bombardiers israéliens n'avaient qu'un réacteur à détruire. En Iran, les services de renseignements ont listé une vingtaine de sites, dont 5 ou 6 très importants. «Dans la perspective d'une intervention militaire, les Israéliens doivent au moins atteindre le site de Fordow avant qu'il ne soit opérationnel et compliquer les activités de celui de Natanz», explique Camille Grand, le directeur de la FRS.

 

Sur le fond, les Américains, principaux alliés d'Israël, se sont eux aussi engagés à tout faire pour empêcher l'avènement d'un Iran nucléaire. Mais les horloges n'indiquent pas la même heure sur les rives de la Méditerranée et sur les berges de l'Atlantique. S'ils agissent seuls, les Israéliens - qui ne peuvent pas se permettre, pour des raisons techniques et politiques, de maintenir trop longtemps leurs chasseurs dans le ciel du Moyen-Orient - doivent le faire très vite.

 

«Une seule bombe»  contre l'État hébreu…

 

À Washington, le sentiment d'urgence n'est pas le même. En pleine campagne électorale, affaibli par la crise économique, happé par les questions de politique intérieure, Barack Obama veut éviter d'avoir à gérer une nouvelle crise internationale avant l'élection du 6 novembre. Il sait aussi que si c'est l'armée américaine qui se charge du problème iranien, elle peut gagner du temps, peut-être six mois, sur le calendrier israélien - grâce à ses bombes hyperpuissantes et à sa capacité de mener une vraie campagne aérienne.

 

Mais Benyamin Nétanyahou fait-il confiance à Barack Obama? Les deux hommes ne s'aiment guère. «Et les Israéliens se souviennent que les Américains avaient aussi affirmé qu'ils ne laisseraient pas le Pakistan et la Corée du Nord avoir l'arme atomique. On sait ce qu'il en est aujourd'hui…», commente un proche du dossier. Or, la question du nucléaire iranien est considérée comme une menace existentielle pour Israël, «pays à une seule bombe», disent parfois les Iraniens, c'est-à-dire incapable, selon eux de survivre, malgré son statut nucléaire, à une bombe iranienne, en raison de sa petite taille et de son manque de profondeur stratégique.

 

Depuis plusieurs semaines, des hauts gradés américains défilent à Tel-Aviv, sans doute, écrit la presse locale, pour appeler les responsables locaux à la retenue vis-à-vis de l'Iran. Les États-Unis ont brusquement décidé de réduire les effectifs qu'ils avaient affectés à des manœuvres communes en Israël, en raison des désaccords sur la manière de réagir à la menace nucléaire iranienne. Certains experts pensent désormais que le débat sur l'intervention américaine pourrait faire l'objet d'un compromis entre Washington et Tel-Aviv: un «feu orange» des Américains. Mitt Romney est un partisan de la fermeté vis-à-vis de l'Iran. Quant à Barack Obama, peut-il se permettre de perdre le soutien du lobby juif américain?

 

Les trois inconnues du «jour d'après»

 

À quoi ressemblera «le jour d'après» une opération militaire contre l'Iran? Experts et militaires s'affrontent depuis le début de l'été sur la question, notamment dans les journaux israéliens.

 

1 - Et s'il ne se passait rien?

 

C'est le premier scénario: à l'instar du bombardement en Syrie, qui n'avait pas été condamné par la Ligue arabe, les raids éclair des chasseurs israéliens ne font que des vaguelettes dans la région, où les États arabes du Golfe approuvent la fermeté contre leur voisin chiite et ses ambitions régionales. En guerre contre son opposition, le régime syrien n'est pas en état de déstabiliser la frontière israélienne. Le Hezbollah, allié de Damas et de Téhéran, a déjà beaucoup à faire, dans un contexte régional instable, pour préserver sa place politique au Liban. Enfin, l'Iran estime que son intérêt est de ne pas répondre à la frappe israélienne pour éviter d'autres attaques, de faire le gros dos en attendant de reconstruire son programme.

 

2 - Une riposte modérée

 

Second scénario, les raids militaires provoquent une réaction modérée des alliés de l'Iran, le Hezbollah libanais et le Hamas palestinien. À Téhéran, la rhétorique anti-israélienne est vive. Le détroit d'Ormuz est miné. Quelques milliers de roquettes et quelques missiles tirés contre Israël font plusieurs dizaines de morts.

 

3 - Une déflagration régionale

 

Dernière possibilité, une onde de choc dans toute la région, avec une forte réaction des pays arabes. Des représailles menées par les supplétifs de l'Iran dans la région, qui ont promis «une pluie de missiles» contre Israël en cas d'intervention. Les Iraniens s'en prennent alors aux intérêts israéliens à l'étranger et aux Américains qui patrouillent dans le Golfe, dans l'espoir d'affaiblir la relation spéciale qui existe entre Tel-Aviv et Washington. Ils ferment aussi le détroit d'Ormuz.

 

Camille Grand, le directeur de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), ne croit guère qu'ils puissent le faire longtemps: «La réouverture d'Ormuz est sans doute l'exercice militaire qui a été le plus répété par les Américains ces dernières années.»

 

Des forces considérables ont été massées dans le Golfe, par où transite un tiers du pétrole brut mondial. «Aux États-Unis, il existe un lien certain entre le prix de l'essence et l'élection présidentielle. Les Iraniens savent que s'ils ferment Ormuz et font ainsi exploser le prix du pétrole, ils donnent une raison aux Américains de réagir militairement», poursuit le spécialiste.

 

Anticipant le pire, l'État hébreu a par ailleurs considérablement renforcé sa défense antimissile. «Les dirigeants israéliens pensent pouvoir limiter les effets de la riposte iranienne», explique Camille Grand. Ils ont aussi préparé leur opinion publique et développé leur défense civile en se préparant à une réaction iranienne qui pourrait faire 500 morts en Israël. Des masques à gaz ont été distribués à la population et des abris ont été aménagés.