Tribune
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Publié le 27 Septembre 2012

Crise de binaire

Par Louis-Marie Horeau pour le Canard enchaîné du 27 septembre 2012

 

Charlie Akbar ! Les caricatures de Mahomet ont au moins cette vertu : elles obligent les personnalités les plus inattendues à rejoindre les rangs - parfois clairsemés - des défenseurs intransigeants de la liberté d'expression. L'affaire est entendue et le monde simplifié. D'un côté les braves défenseurs de l'hebdo satirique, de l'autre les infâmes suppôts de la censure. Un monde binaire. 

Oui, non. Pour, contre. Un deux, un deux. Faut-il s'excuser de revendiquer, mezza-voce, le droit à un peu de complexité? Un journal peut, cela va toujours mieux en le disant, caricaturer qui il veut : Mahomet, Allah, Jésus, Moïse, Bouddha, la Sainte Vierge, et même François Hollande ! En retour, cela ne va pas toujours sans dire, n'importe qui a le droit de critiquer la critique et de caricaturer les caricatures. Chacun a le droit de désapprouver, de s'indigner, de vociférer, pourquoi pas, au nom de cette même liberté absolue revendiquée par les caricaturistes. A condition de laisser les kalachnikovs au râtelier, les cocktails Molotov au frigo et la dynamite au rancart, engueulons-nous tout notre saoul ! Entre amoureux de la liberté. Et pour commencer, en toute liberté, un mot sur ces chefs d'oeuvre courageusement blasphématoires. Le Prophète à quatre pattes dans une position obscène, qu'est-ce qu'on rigole !Et ce n'est pas du Michel-Ange !Enfin, c'est juste une question de goût. Tous les dessins et articles publiés dans «Le Canard» ne sont pas non plus des oeuvres immortelles. Plus sérieusement, le propos de L’artiste ne saute pas aux yeux. Le droit de blasphémer, d'accord. Mais qui est visé? L'islam en général? Les barbus furieux et violents? L'ensemble des croyants, qui sont environ 1,5 milliard dans le monde? Tous dans le même sac. Un peu sommaire, non? Les dessins publiés par «Charlie» atteignent indistinctement tous les musulmans, les modérés comme les intégristes, les pacifiques comme les furieux. Certes, il n'est pas interdit de brocarder tous les bigots. Mais il n'est pas interdit non plus, comme disait Mitterrand, d'être habile. Et d'ouvrir sa fenêtre pour regarder un peu le monde. Les islamistes font leur miel de toute provocation. Ils se radicalisent et tentent d'attirer à eux les simples croyants qui se sentent attaqués et se croient obligés de défendre leur religion. Faut-il continuer de nourrir la chaudière? Il y a pire. Certains écrits, certains dessins peuvent servir de prétextes à des actes criminels. Bien sûr, cela ne fait pas des journalistes ou caricaturistes des coupables. Mais cela les rend peut-être un peu responsables? Ce n'est pas une limite que pourrait fixer la loi à la liberté d'expression. C'est la limite que chacun se fixe, librement. Il est arrivé au «Canard », comme à d'autres journaux, de ne pas publier des informations en raison des conséquences possibles pour la vie d'otages. Réfléchir avant d'imprimer n'est pas une atteinte à la liberté d'expression. Pas davantage à la liberté, sacrée elle aussi, de ne pas s'exprimer.