Tribune
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Publié le 22 Mars 2012

Antisémitisme en France : marginalisation ou mutation ?

Par Jean-Yves Camus

 

Michel Wieviorka l’a souligné à juste titre : le sentiment antijuif baisse en France de manière continue, du moins son expression ouverte dans les termes de l’antisémitisme traditionnel d’inspiration chrétienne, ultra- nationaliste et xénophobe. Parallèlement le nombre d’actes antisémites est retombé en 2011 sous la barre des 400, une baisse de 16,5% par rapport à 2010. Peut-on en déduire que l’antisémitisme est marginalisé ? Nullement. Tout d’abord un palier quantitatif a été franchi en 2000 avec la seconde intifada : le nombre des actes antisémites n’est jamais retombé au niveau d’avant cette période. Ensuite la progression de ces actes, en nombre et en degré de gravité avec la multiplication des violences aux personnes, s’est produite alors même que les gouvernements successifs ont agi avec détermination pour la combattre. Résultat : depuis une dizaine d’années les juifs engagés dans la vie communautaire vivent, dans les édifices cultuels et les écoles confessionnelles, sous une protection policière constante qui, pour être efficace et bienvenue, n’en est pas moins le signe d’une situation anormale, unique dans l’histoire d’après 1945.

 

Ce « bruit de fond » que constitue la violence antisémite est souvent présenté de manière commode comme la transposition du conflit israélo-palestinien et des soubressauts moyen-orientaux. Il est vrai que les « pics » de violence se nourrissent de ce conflit. Mais en dehors de ces moments les attaques antijuives perdurent sans lien avec eux et l’affirmation du contraire permet trop facilement d’incriminer la responsabilité d’Israël dans l’antisémitisme. Le contenu même des préjugés antisémites mute. L’impact de la réislamisation des Musulmans français par des courants conservateurs voire fondamentalistes est moins important que le déchaînement d’un antisionisme radical qui a perdu toute mesure et qui n’émane pas de nos seuls compatriotes musulmans, loin s’en faut. Quant un militant communautaire connu, qui a fait carrière en tant que fonctionnaire de l’Etat français, est qualifié par une association qui dit défendre la cause palestinienne de « fanatique intégriste, colon négationniste et affabulateur », quand les  enfants Fogel assassinés, 11 ans, 4 ans et 3 mois respectivement, sont appelés « colons » alors qu’ils ne sont pour rien dans le choix idéologique de leurs parents, quand la nazification d’Israël s’accompagne de la confusion constante entre Israélien, Sioniste et Juif, nous sommes face à tout autre chose que l’antisémitisme classique. Une des conséquences de ces excès est de réduire le champ du débat souhaitable sur le conflit israélo-palestinien. Le risque est aussi de ramener la critique d’Israël comme sa défense à des échanges d’anathèmes et à des postures  indignes d’un échange intellectuel sérieux.

 

La négation de la Shoah, c’est vrai, n’est portée que par une petite secte dont Valérie Igounet, dans sa magistrale biographie de Robert Faurisson, dresse un portrait accablant. Mais l’antisémitisme trouve aussi de nouvelles formulations négationnistes. On conteste l’historicité de la présence juive sur le territoire internationalement reconnu d’Israël, le caractère juif du Mur occidental à Jérusalem et même la réalité de l’existence du peuple juif. Il n’est pas question ici de recherche scientifique mais de constructions idéologiques dont le résultat est plus pernicieux que la ficelle, décidément trop grosse, consistant à masquer l’antisémitisme derrière la négation de l’existence du génocide. Il s’agit de dire que tous les Juifs sont des Israéliens réels ou potentiels, que la manipulation est leur méthode, la spoliation leur moyen et la domination leur but.

 

En France, pour minoritaire qu’il soit, ce travestissement du progressisme a une audience et une influence non négligeables. L’antisémitisme recule, mais ce qu’il en reste produit un résultat monstrueux.