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En revenir à la question cruciale de l’éducation, c’est aussi une manière de rendre hommage à la tradition juive et à la place centrale qu’elle accorde à l’étude, nous rappelant qu’à travers la transmission du savoir et des valeurs, c’est la pérennité d’une filiation, d’une appartenance commune qui est en jeu.
C’est à cet effet que nous avons demandé à plusieurs intellectuels et acteurs du monde de l’éducation de bien vouloir contribuer à notre revue annuelle. Si les textes publiés ici n’engagent pas la responsabilité du Crif, ils permettent cependant d’ouvrir un espace de débat et de réflexion. Ils sont traversés par le souci d’interroger et de comprendre la situation des nouvelles générations, les problématiques liées à la transmission de la mémoire et de l’histoire juive, ainsi que les défis et enjeux qui agitent aujourd’hui, dans notre France républicaine, le milieu de l’enseignement (laïcité, usages du numérique et des réseaux sociaux, wokisme…).
Le Crif remercie les contributeurs de cette revue d’enrichir ainsi notre réflexion.
Orgueilleuse de sa honte et enivrée par sa repentance, la société occidentale empoigne sa mauvaise conscience comme un nouveau sceptre. Lénine disait du gauchisme qu'il était la maladie infantile du communisme. Les choses n'allant pas en s'arrangeant, le wokisme est devenu à son tour la maladie infantile du gauchisme. Nébuleuse idéologique apparue du côté de 2010 sur les campus des universités de l'Ivy League, il s'inscrit dans le prolongement des thèses à succès des philosophes postmodernistes de la French Theory, comme Deleuze, Derrida, de Beauvoir ou Foucault, et de l'apparition des études culturelles, de genre et post-coloniales.
La logique de la domination, le statut de victime, l'essentialisme et les enjeux identitaires de races et de genres y tiennent le haut de l'affiche. La Grèce antique pratiquait le culte du héros, notre Occident mortifié celui de la victime : Achille a été remplacé par Greta Thunberg.
Dans un pacte tacite entre « descendants de victimes » (de l’esclavage, de la colonisation, du patriarcat) et « descendants de bourreaux », cette nébuleuse, qui coud son drapeau dans la pureté morale, persécute tous les dissidents de sa vision du monde. Ainsi assiste-t-on à des grands-messes obscènes, filmées et diffusées sur Internet, où des descendants d’esclavagistes supposés (sans doute du seul fait qu’ils sont blancs de peau) s’attroupent pour se repentir de crimes qu’ils n’ont pas commis devant des descendants d’esclaves qui n’ont jamais souffert l’esclavage. Entre ces indignes et ces indignés, c’est un match parfait comme on dirait sur les applications de rencontre : le vieil occidental qui ne jouit que par l’auto-punition et le jeune minoritaire aux tendances paranoïaques forment une folie à deux. Haine de soi et volonté d’impuissance des « dominants », ressentiment et libido dominandi des « dominés », ce tandem sado-maso, pourtant encore minoritaire dans l’opinion publique, s’est uni pour faire régner la loi du plus faible sur la majorité silencieuse.
D'abord circonscrit dans des thèses ou des articles universitaires, le mouvement woke a essaimé, s'est aguerri et mène désormais une guérilla culturelle pour imposer ses thèmes sur les réseaux sociaux, dans le « monde de la culture », les partis politiques, les institutions et les services publics. Cette érotisation de la culpabilité, cette quête victimaire et cette jouissance identitaire menacent de fractionner nos sociétés occidentales en factions rivales, antagonistes et haineuses.
« Ouvrir une école, c’est fermer une prison. » On aimerait pouvoir souscrire à la belle formule de Victor Hugo, à la croyance de la philosophie des Lumières selon laquelle l’éducation pourrait avoir raison de tout. Malheureusement, l’instruction guérit rarement la bêtise et donne fréquemment des armes à la méchanceté. Quelques heures supplémentaires d’éducation civique et sportive risquent de ne pas suffire à endiguer la vague wokiste qui ne cesse de grossir dans les jeunes générations. Le wokisme n’a pas pris souche chez des jeunes gens sans éducation, mais au contraire auprès des rejetons de la haute bourgeoisie qui étudiaient sur les prestigieux et luxueux campus américains - le gauchisme étant, comme l'histoire nous l'a appris, le rite de passage de l'adolescence à la bourgeoisie.
Plus une seule journée ne s’écoule sans que ne soit trouvée une polémique à faire monter sur le ring médiatique. La mécanique est bien huilée : un activiste s’empare du moindre fait divers ou historique qui lui passe sous la main pour claironner que l’universalisme n’est jamais qu’une superstructure raciste qui s’ignore. Les forces républicaines ne peuvent se contenter de continuer à agiter la République comme un hochet dérisoire ou un slogan d’estrade.
Les activistes wokes ont compris que désormais le pouvoir n'est plus au Congrès ou à l'Assemblée nationale. L’industrie culturelle (cinéma, musique pop, plateformes de streaming), l’industrie de l’information, les réseaux sociaux et la communication des marques constituent désormais les chevaux de Troie les plus ravageurs de l’idéologie wokiste. C'est ce dont les tenants du modèle républicain ne semblent pas avoir encore pris la mesure.
Le combat politique, plus encore aujourd’hui qu’hier, se remporte dans le champ culturel. Peut-être serait-il temps, si les républicains et les universalistes veulent véritablement livrer bataille, de recourir à l’agit-prop situationniste. Le soft power, tel que le politologue Joseph Nye l’a décrit dans les années 1990 dans le domaine des relations internationales, doit désormais servir au combat idéologique à l’intérieur des sociétés elles-mêmes.
Le camp républicain doit pouvoir inventer un contenu idéologique où s’entrelacent tradition et avant-garde et retrouver, tant par le travail de mémoire que par la création intellectuelle et artistique, cette puissance d’influence, de séduction, d’attraction et de persuasion face aux identitaires, qu’ils soient wokistes, islamistes ou nationalistes.