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L’Arche : Vous êtes l’auteur d’une recherche sur les dilemmes éthiques de l’armée israélienne dans ses opérations en zones urbaines. C’est une recherche que vous avez faite avant l’opération « Bordure protectrice ».
Richard Darmon : Ce sujet ne me paraissait pas un sujet important avant le conflit avec Gaza. Dans un cadre universitaire, en tant que journaliste israélien installé ici depuis trente ans et couvrant les différents conflits, j’ai essayé d’établir une synergie entre la jurisprudence internationale et les deux opérations précédentes de 2008 et 2012. La guerre actuelle est une guerre juste pour Israël. C’est un concept défini par le droit international, par sa jurisprudence. Toute situation de guerre est une situation infernale. Il y effectivement beaucoup de difficultés pour la population, mais il faut garder sa raison et essayer de voir si la guerre a été amenée par Israël à Gaza ou non. Or, Israël a attendu très longtemps avant de riposter, recevant une centaine de missiles du Hamas qui l’agressait. S’il est important de s’interroger sur les causes justes d’une guerre, il faut aussi voir si la manière de la conduire est juste. Si la guerre c’est l’enfer, il existe des limites infranchissables pour toute guerre juste. La difficulté de séparer les combattants de la population civile relève de ces questions. C’est d’autant plus difficile lorsqu’il s’agit du Hamas qui se sert de la population civile comme bouclier humain.
Qu’en est-il du droit des pays à protéger les citoyens ?
Là-dessus aussi, le droit international et sa jurisprudence sont très clairs. Les États bénéficient du droit de protéger leur population civile lorsque celle-ci est mise en danger. Ce qui est bien le cas dans le conflit entre Israël et le Hamas. Israël se situe dans un cas de légitime défense, avec la complexité qui fait qu’il ne s’agit pas d’une guerre entre deux États, mais d’un conflit entre un État reconnu par la communauté internationale et une entité dirigée par un mouvement terroriste qui a pris en otage sa population. D’où la difficulté sur le terrain à intervenir en faisant le minimum de dégâts dans la population. Or, le Hamas souhaite ces morts civiles et fait tout pour en avoir. Car il s’agit avant tout pour lui d’un moyen de défense de ses miliciens et de critiquer Israël dans son essence.
Vous relevez aussi qu’il y a un code éthique de l’armée israélienne. Lequel est en vigueur depuis 1994. Que dit ce code ?
Il faut d’abord comprendre que ce code, qui a été publié depuis à peine vingt ans, est lui-même issu des limitations morales et éthiques héritées de la tradition biblique hébraïque d’une part, et aussi de l’histoire juive combattante datant de plusieurs époques. Lorsqu’il était Premier ministre, Ehoud Barak a demandé à un certain nombre de juristes, parmi lesquels Assa Kasher, de rédiger un code éthique pour Tsahal. En réalité, ces valeurs existaient déjà. Il y en a une quinzaine. Une des plus importantes traite de « taarath haneshek », ce qui signifie « la pureté des armes » en hébreu. On ne se sert de ses armes que pour défendre l’État d’Israël et ses valeurs juives et démocratiques. Ce qui requiert un certain discernement dans l’utilisation de ces armes. L’autre valeur traite de « kedoushat hahayim », la « valeur suprême de la vie » qui fait que l’Armée de défense d’Israël, même lorsqu’elle est confrontée à des situations très difficiles, doit faire le maximum, sans entamer ses taux de réussite militaires, pour pouvoir défendre la vie des civils, y compris du camp ennemi. Ces valeurs ont été codifiées et énumérées dans le code éthique. Les guerres récentes d’Israël s’étant déroulées face à des entités terroristes, le gouvernement a demandé en 2005 à cette équipe de juristes de présenter une annexe au code. Il ne s’agit pas de grands principes théoriques, mais de cas de figure. Assa Kasher, en tant que juriste de renom international, s’est appuyé sur la jurisprudence de l’ONU, lequel explique qu’un État qui part en guerre a quatre obligations vis-à-vis des populations civiles. De protéger sa population, les non-citoyens qui habitent sur son territoire, ses citoyens se trouvant dans les pays étrangers et enfin la population civile dans les pays où il intervient. D’où le dilemme lorsque se trouve dans une maison civile de Gaza, des combattants du Hamas ou des caches d’armes. Nous possédons de nombreux témoignages sur la manière dont le Hamas force les civils à rester chez eux et servir de boucliers humains. Israël prévient la population pour lui demander de partir : par tracts, SMS, appels téléphoniques, haut-parleurs et enfin par coups de semonce donnés à l’aide d’un obus de fumée. Une fois ce processus achevé, l’immeuble est attaqué. Le problème se pose aussi de savoir si on va utiliser des bombes au risque d’avoir un grand nombre de victimes civiles ou si on va donner l’assaut au risque de mettre en péril la vie des soldats. Ce dilemme est arbitré par le droit international et non par le gouvernement israélien. Il explique que dans un cas pareil, il incombe à l’État qui est en situation de légitime défense de risquer jusqu’à un certain degré la vie de ses soldats, mais de ne pas les mettre en péril lorsque les civils et miliciens sont mélangés. Il est exclu d’abandonner l’attaque d’un bâtiment qui mettra en péril la population israélienne si les combattants du Hamas y demeurent. Le Chef d’État-major Benny Ganz s’est d’ailleurs déclaré fier de diriger une armée morale et éthique, qui surpasse dans ce domaine toutes les autres armées. Ceci étant, il a ajouté que Tsahal est aussi une armée. Ainsi, tous ces cas de figure doivent être analysés rapidement afin que les décisions soient prises sans tarder… Lire la suite.