Tribune
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Publié le 17 Février 2015

Roland Dumas ou la leçon des signaux faibles

Les signaux faibles, si on y a en leur temps prêté attention,permettent de prévenir, puis d'agir.
 

Par Haïm Korsia, Grand Rabbin de France, publié dans le Huffington Post le 16 février 2015
Doit-on commenter la sortie affligeante de Roland Dumas relative à la supposée « influence juive » sur le Premier ministre ? Oui, et sans aucune hésitation, car il faut, collectivement, dire notre indignation.
Lorsque Jean-Jacques Bourdin demande à Roland Dumas « Valls est-il sous influence juive? », Dumas répond imperturbable : «Probablement, je peux le penser. Pourquoi pas. Pourquoi ne pas le dire!».
Manuel Valls a toujours manifesté une détermination et des convictions fortes qui tiennent à son parcours, à ses valeurs, à ce qu'il est profondément.
Qu'un ancien membre du Barreau, ancien Résistant, ancien Député, ancien Ministre, et surtout, ancien Président du Conseil Constitutionnel, déchire aussi sournoisement la trame même du pacte républicain, est insoutenable. Nous sommes revenus 80 ans en arrière, aux pires heures de l'Action française, de Gringoire, de la vaisselle d'or de Léon Blum, de la désinformation et du soupçon. On entend Xavier Vallat à la tribune de l'Assemblée dénier à Blum le fait d'être légitime en ses fonctions, car il n'est qu'un « talmudiste subtil ». On connaît la suite : Salengro, Zay, le procès de Riom...
Le renvoyer à des études talmudiques, c'est ce qui a été dit à un industriel révoqué il y a quelques années par un très haut fonctionnaire sans que personne ne réagisse.
Dans la France figurée ce matin par Roland Dumas, un homme, surtout s'il est le Premier ministre de la République, ne pourrait épouser une juive sans prêter le flanc au soupçon?
Quoi de pire que d'insinuer qu'un homme politique serait "sous influence", c'est-à-dire qu'il n'aurait pas sa propre vérité?
Il y a cependant une grande leçon à tirer : les signaux faibles sont plus intéressants et utiles que les signaux forts.
Quand on entend les signaux forts, il est souvent trop tard. On ne peut que réagir, en se trompant, hélas, trop souvent de cibles, ou en les confondant toutes.
Les signaux faibles, si on y a en leur temps prêté attention, sont plus parlants, car lourds de signification. Ils permettent de prévenir, puis d'agir. Et surtout, de déceler les vrais émetteurs, ceux dont les messages et le venin distillé à bas bruit, mais efficacement et durablement, sont ensuite amplifiés et déformés par d'autres, pour être finalement orchestrés, "repackagés" et délivrés avec le "marketing" qui convient en bout de chaîne aux émetteurs directs de signaux "forts" et autres braillards désinformés et manipulés. Voire aux radicaux qui puisent dans ce magma pour justifier leur haine et leur pulsion de mort.
Cette pseudo "élite" autoproclamée et arrogante dont fait partie Roland Dumas, qui a par ailleurs exprimé son mépris pour les autres socialistes, ceux "d'après 1942", a émis et émet encore les signaux faibles, mais continus, qui ont permis depuis des décennies la floraison du climat pervers dont on mesure aujourd'hui les effets délétères. Goutte à goutte, leurs mots ont été repris par des simples d'esprit armés du plus pauvre des vocabulaires et désormais d'armes de guerre.
Et c'est pourquoi, pour exemplaires que se soient montrés ces dernières semaines les pouvoirs publics, cela ne suffira pas. Le Premier ministre en fait lui-même aujourd'hui tristement la preuve et les frais... Lire l’intégralité.