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Par Robert Badinter, Ancien Garde des Sceaux, ancien Président du Conseil constitutionnel, publié dans le Monde le 13 février 2015
Je suis souvent venu à Lyon pour commémorer la rafle de la rue Sainte-Catherine le 9 février 1943, en des lieux pour moi si chargés de souvenirs douloureux. J’y suis venu seul ou avec des membres de ma famille. J’ai assisté aux cérémonies. Mais je n’ai jamais voulu y prendre la parole. Les enfants des déportés disparus dans la nuit des camps d’extermination sont comme amputés des êtres chéris. La vie cicatrise la blessure. Mais par moments, la douleur revient, indicible, là où il n’y a plus que le vide. Je craignais l’émotion et préférais faire œuvre parmi vous de piété filiale et de fidélité à la mémoire. Mais aujourd’hui, le moment est venu de rompre le silence.
Pourquoi sont-ils morts ceux qui, ici même, sont tombés dans la souricière tendue par Klaus Barbie ? Ils ont été arrêtés au 2e étage, dans les locaux de l’Union générale des israélites de France, l’UGIF, où l’on s’employait à fournir aux enfants juifs des refuges clandestins. Ils ont descendu les marches de l’escalier dans le fracas des bottes des SS. Ils ont été jetés dans des camions qui les attendaient au bout de la rue et menés à la prison de Montluc. C’était la première station du chemin de douleur qui les conduirait de Lyon à Drancy, puis aux camps d’extermination en Pologne, Auschwitz.
Ainsi sont-ils morts en martyrs parce que la haine des Juifs, l’antisémitisme forcené des nazis les avaient condamnés. Ils sont morts parce qu’ils étaient juifs et pour cette seule raison. Hommes et femmes, enfants et vieillards, tous avaient été voués à mourir par la décision d’Hitler et de ses complices. Le reste, l’extermination de 6 millions de Juifs sur le continent européen n’était plus qu’affaire d’exécution par tous les moyens, y compris les plus atroces. La paix revint, pas les déportés. La vie ordinaire reprit son cours, sans eux. On pouvait croire que l’antisémitisme de violence avait été étouffé dans le torrent de sang versé pendant la Shoah.
Lèpre de l’humanité
C’était un leurre, nous le savons à présent. A l’antisémitisme religieux du temps de l’Inquisition, à l’antisémitisme nationaliste du temps de l’affaire Dreyfus, a succédé l’antisémitisme racial du XXe siècle, le pire de tous. Puis au XXIe siècle, un antisémitisme nouveau s’est développé, dissimulé sous le terme d’antisionisme, nourri par le conflit israélo-palestinien, à 3 000 km de la France. Nous croyons au principe d’une paix juste entre les peuples israélien et palestinien, sur la base de frontières sûres et reconnues. Mais en quoi la difficile réalisation de cette paix durable et la persistance du conflit justifieraient ici, sur la terre de France, la commission de crimes atroces inspirés par la plus fanatique idéologie d’islamistes radicaux ?
Or qu’avons-nous vu en France, au long des derniers mois ? Le vieux cri de haine « mort aux Juifs » a retenti pour la première fois depuis l’Occupation dans les rues de Paris. Des Synagogues ont été attaquées, des Juifs insultés et molestés sur la voie publique. Ilan Halimi a été séquestré et torturé jusqu’à la mort par des brutes pour extorquer à sa famille une rançon puisque, selon le préjugé millénaire, tous les Juifs seraient riches. Un jeune couple a été battu chez lui à Créteil, son domicile vandalisé et, ignominie absolue, la jeune femme violée pour savoir où ils cachaient une fortune imaginaire. Pire encore, à Toulouse, des enfants juifs ont été tués dans un lycée, massacre renouvelé des innocents… Lire l’intégralité.