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Pour apprécier le poids et l'évolution de l'antisémitisme dans l'Hexagone, il faut d'abord rappeler les données concernant les " actes " puis celles concernant les " opinions ". Entre la décennie 1994-2004 et la quasi-décennie 2004-2013, le nombre des actes antisémites a triplé. La moitié des actes dits " racistes " frappent des membres de la communauté juive, qui représente moins de 1 % de la population nationale. Entre 2006 et 2012, en France, cinq personnes, dont trois enfants, ont été assassinées en raison de leur appartenance à la communauté juive.
En 2014, à Bruxelles, des Juifs ont été assassinés par un Français. On se souvient des scènes qui ont accompagné cet été certaines des manifestations dénonçant l'intervention israélienne à Gaza. A Paris, jusqu'à la place de la République, des manifestants ont hurlé " A mort les Juifs ! " ; à Sarcelles, des magasins ont été incendiés au motif qu'ils appartenaient à des Juifs ; des synagogues ont été attaquées. Quiconque pratique les réseaux sociaux est à même de constater la prolifération des messages antisémites explicites tenus par des milliers de personnes, dont Dieudonné est devenu la figure de proue. Il est impossible de ne pas voir qu'il se passe quelque chose. Le drame de Créteil ne fait que le confirmer.
Etat de l'opinion
L'étude des actes doit conduire à l'étude de l'opinion. On voit mal comment ces actes, ces agressions et ces propos pourraient n'avoir aucun rapport avec un certain état de l'opinion. Nonna Mayer (le Monde du 6 décembre), qui ne conteste pas la réalité des actes, défend une thèse qu'elle vient de réaffirmer : " Les sondages, en particulier l'enquête annuelle sur le racisme réalisée pour la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), montrent au contraire un recul graduel des préjugés envers les Juifs, et parmi les préjugés qui résistent le “nouvel antisémitisme” reste marginal " (Libération, 23 octobre).
De notre côté, nous avons mené simultanément deux enquêtes avec l'IFOP. La première dresse un état de l'antisémitisme dans l'opinion publique générale, à partir d'un échantillon de 1 005 personnes âgées de 16 ans et plus et un questionnaire autoadministré en ligne. Nonna Mayer ne remet pas en cause cette méthode, à laquelle elle recourt d'ailleurs elle-même dans les sondages qu'elle réalise pour la CNCDH.
Pourtant, un tel échantillon ne permet d'obtenir qu'entre 40 et 50 personnes se déclarant de confession musulmane, ce qui ne suffit pas si l'on veut tester l'hypothèse d'un " nouvel antisémitisme ". Nous avons donc décidé de mener une seconde enquête, en administrant parallèlement le même questionnaire auprès de 575 personnes, comprenant des individus déclarant être " nés dans une famille d'origine musulmane ". C'est ce second échantillon qui concentre les critiques. Il est pourtant surprenant de se voir reprocher de manquer de rigueur quand nous avons travaillé sur un groupe plus de dix fois supérieur à celui contenu dans les échantillons qu'utilise la CNCDH.
La critique de Nonna Mayer porte aussi sur la méthode ayant présidé à la constitution de ce groupe. Un rappel : l'Etat ne fournit aucune statistique permettant de construire un échantillon de la population française musulmane sur quotas. Cette cécité volontaire est regrettable pour la recherche, pour la qualité du débat et pour l'efficacité de la décision publique. On a beau jeu ensuite de venir contester, dans ces colonnes, la qualité méthodologique de notre outil de mesure.
Nous aurions préféré disposer de données de référence. Mais fallait-il s'abstenir de mesurer ? Pour contourner l'obstacle, nous avons combiné les statistiques de l'Insee sur l'immigration avec les données sur la population issue de familles musulmanes collectées par l'IFOP lors de ses différentes enquêtes. Un cumul d'enquêtes représentant tout de même 80 000 interviews a permis de construire des quotas indicatifs sur le sexe, l'âge, la profession, la région et la catégorie d'agglomération. Ces données ont présidé à la répartition sociodémographique de nos 575 interviews individuelles. Les entretiens ont été réalisés dans 77 points géographiques différents, dans toutes les régions (communes ou arrondissements pour Paris, Lyon et Marseille).
L'enquête a été administrée " en face à face ", les enquêteurs interrogeant les personnes dans la rue et dans divers lieux publics. Nonna Mayer affirme que l'interview dans la rue ou les lieux publics ne permet pas de répondre sereinement. Or, nos deux échantillons concernant des populations de 16 ans et plus ont délibérément été choisis pour méthode : pour un tel thème, nous pensons qu'il est plus difficile de recueillir l'opinion de celles et ceux qui, ailleurs et notamment à domicile, pourraient être soumis à une pression sociale, voire familiale… Lire la suite.
Dominique Reyniéest professeur à Sciences Po et Directeur général de la Fondation pour l'innovation politique. Il est l'auteur de travaux sur la raison d'Etat, l'opinion publique, les comportements électoraux et le populisme. Son livre " Populismes : la pente fatale ", publié chez Plon en 2011, a reçu le Prix 2012 du livre politique et le Prix 2012 des Députés. Une nouvelle édition revue et augmentée est parue en 2013 sous le titre " Les Nouveaux Populismes ", chez Fayard.
Retrouvez la double enquête de Fondapol sur : www.fondapol.org