Tribune
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Publié le 14 Janvier 2015

Les poursuites contre Dieudonné pour apologie d'actes de terrorisme ne menacent pas la liberté d'expression

Par Ilana Soskin, Avocat à la Cour en droit des médias et de la communication, publié dans le Huffington Post le 13 janvier 2015

Le parquet a annoncé le 12 janvier 2015 l'ouverture d'une enquête pour apologie du terrorisme à l'encontre de Dieudonné pour avoir publié sur Facebook un profil par lequel il affirme "je me sens Charlie Coulibaly", du nom de l'auteur de la prise d'otages au cours de laquelle quatre Juifs ont été tués dans un supermarché casher cours de Vincennes à Paris.

Immédiatement condamnés par la classe politique et notamment par le Ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve qui a jugé "abjects" les propos de Dieudonné, ce dernier a tenté d'expliquer ses propos dans un courrier en précisant "dès que je m'exprime, on ne cherche pas à me comprendre, on ne veut pas m'écouter. On cherche un prétexte pour m'interdire. On me considère comme un Amédy Coulibaly alors que je ne suis pas différent de "Charlie"."

Dieudonné, qui n'en est pourtant pas à son premier coup d'essai en la matière, devra également répondre de faits d'apologie d'actes de terrorisme pour la diffusion sur internet en août 2014 d'une vidéo intitulée "feu Foley", qui revient sur l'assassinat par les jihadistes de l'Daesh du journaliste américain James Foley.

Alors que ses défenseurs en appellent à la liberté d'expression, que risque Dieudonné face à un délit dont le régime s'est lourdement aggravé depuis fin 2012? Les poursuites contre Dieudonné menacent-elles réellement la liberté d'expression?

Un arsenal répressif plusieurs fois aggravé depuis décembre 2012 pour lutter contre le terrorisme

A l'origine réprimé par l'article 24 alinéa 6 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse, le délit d'apologie d'actes de terrorisme répondait à une procédure extrêmement rigoureuse et spécifique encadrée par la loi sur la presse. La prescription était relativement courte et la loi interdisait le placement en détention provisoire des personnes mises en examen domiciliées en France.

Première étape de la lutte contre la propagande terroriste, l'adoption de la loi du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme a permis la détention provisoire des auteurs présumés de l'infraction.

Cet apport législatif avait d'ailleurs conduit à placer en détention provisoire Romain Letellier, alias Abou Siyad Al-Normandy, Musulman converti de 27 ans, finalement condamné en mars 2014 à trois ans de prison (dont deux avec sursis) pour avoir fait l'apologie de thèses terroristes en traduisant des textes de propagande d'Al Qaïda.

Pour faire face à la menace terroriste, il est ensuite apparu nécessaire de réprimer la propagation et l'apologie d'idéologies extrémistes que constituent la provocation aux actes de terrorisme et l'apologie de ces actes par un délit figurant, non plus dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse, mais dans le Code pénal, afin que les règles de procédure et de poursuites de droit commun puissent s'appliquer.

Le délit a ainsi été déplacé dans le Code pénal et est sorti du régime spécifique de la loi sur la presse en novembre 2014 allongeant notamment le délai de prescription et permettant le jugement en comparution immédiate.

Adopté pour maintenir la sécurité sur le territoire et renforcer la surveillance antiterroriste à l'heure où une partie de la radicalisation se forme sur Internet et sur les réseaux sociaux, le délit de l'article 421-2-5 du Code pénal punit désormais de cinq ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende "le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l'apologie de ces actes". Dieudonné quant à lui s'expose à une plus lourde sanction encore puisque les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et à 100.000 euros d'amende lorsque les faits ont été commis sur internet.

Un délit d'opinion ?

Le déplacement de ce délit dans le Code pénal a été critiqué par certains dénonçant l'adoption d'un délit d'opinion.

Aujourd'hui, les défenseurs de Dieudonné en appellent à la liberté d'expression.

S'il est évident qu'un équilibre doit être recherché entre la liberté d'expression et la répression des abus, il doit néanmoins être rappelé que les propos racistes ou antisémites tout comme les actes d'apologie de terrorisme ne constituent pas des opinions, mais bel et bien des délits réprimés pénalement.

La liberté du Commerce et de l'Industrie est garantie constitutionnellement par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme de 1789. Pour autant, la vente de produits stupéfiants est interdite sans que personne ne dénonce une quelconque atteinte au libre commerce.

L'apologie du terrorisme, tout comme la parole raciste ou antisémite, n'appartient pas à la liberté d'expression. Elle appartient au délictuel, elle n'est pas Charlie… Lire la suite.