Tribune
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Publié le 5 Septembre 2014

Les fautes du camarade Mélenchon

Par Marc Knobel, Chercheur et Directeur des Etudes du CRIF, publié dans le Times of Israel le 5 septembre 2014

Incontestablement, c’est un tribun. Son timbre de voix porte au loin. Jean-Luc Mélenchon, l’ex-patron du Front de gauche, parle fort, très fort. Il aime le parler « dru et cru » et il le fait savoir. Qui en douterait ? Il aime aussi les joutes oratoires. Il a le verbe haut en couleur. Il plaît à la troupe, ceux et celles qui rêvent (encore) d’Internationale et de lutte des classes.

Et lorsqu’il s’agit d’engueuler, de tancer ou de secouer, il en connaît un rayon. Il sait aussi se lâcher devant des journalistes médusés et quelquefois… apeurés. Le ton est alors sec, cassant et/ou méprisant.

C’est ainsi qu’il fonctionne… l’ancien trotskiste (et lambertiste en plus !) qu’il fut dans sa jeunesse. Il y a des choses (des modes de fonctionnement et des attitudes) qui ne s’oublient pas, même lorsque l’on a 63 ans. Son répertoire est grand, donc.

Mais, à vouloir trop en faire, on ne se fait pas que des amis. Peu lui importe, en vérité. Il veut se démarquer, tel est le but et se faire remarquer par tous les tons et par tous les temps de notre belle langue, fut-ce en mal, ou que l’on (en) dise forcément du mal.

Il en restera toujours quelque chose, doit-il se dire. Tel est le calcul (médiatique et politique) de Jean-Luc Mélenchon, car il est loin d’être idiot. C’est un homme cultivé, un érudit et un fin intellectuel (ancien professeur de Français).

Il sait donc utiliser et à bon escient les mots ou les formules « magiques » et agressives. Il sait que certaines expressions peuvent blesser et susciter une vive polémique. Mais, il lui faut faire mouche.

C’est ainsi probablement qu’il fonctionne et prépare de (grandes) sorties médiatiques. Pointer du doigt des adversaires, avant tout la finance internationale et faire mal, faire mouche, faire front. Car tel est l’ennemi – de l’ami d’Hugo Chavez et de Fidel Castro ou de la Chine communiste - : la finance internationale, les États-Unis ou Israël.

Ami de Castro ?

Le 23 juin 2010, dans Le Grand Soir, journal militant d’information alternative, Jean-Luc Mélenchon déclare : « Je ne suis pas un fin connaisseur de Cuba, mais en revanche j’en suis un observateur attentif. Je peux dire que Cuba, en Amérique latine, bénéficie d’une autorité et d’une audience qui est totalement incomprise en Europe. Ici, quand on parle de Cuba, c’est pour la cataloguer comme une dictature et pour dire qu’il n’y a pas suffisamment de liberté. L’obsession des médias, tous attentifs aux États-Unis, est de trouver un dissident ou un prétendu prisonnier politique pour en faire un héros et ainsi justifier leurs dénigrements. Ils ne mentionnent jamais les presque 600 attentats que la CIA a préparés contre Fidel Castro, ni le terrible embargo imposé par les États-Unis. En Europe, Cuba fait les frais d’une vision totalement déséquilibrée et absurde. » Étonnante tirade de Mélenchon, qui défend ainsi un régime totalitaire. Il est bien le seul, d’ailleurs.

En janvier 2011, il déclare sur France Inter : « Dans le contexte de l’Amérique du Sud, je ne suis pas d’accord pour qualifier Cuba de dictature et je salue la contribution de Cuba socialiste à la lutte des peuples ». Voilà qui est clair, mais qui en dit long sur le camarade Mélenchon.

Par contre, lorsqu’il s’agit d’Israël et des États-Unis, Mélenchon tire et s’égosille, avec violence et hargne.

Ami de Chavez ?

C’est son eldorado. Un pays où Jean-Luc Mélenchon est reçu avec les honneurs et cité en modèle. Le nouvel observateur (6 mars 2013) raconte que pour Mélenchon c’est une terre où l’ex-candidat à la Présidentielle retrouve ses sensations : meetings monstres, drapeaux rouges et slogans révolutionnaires.

En 2013, donc, parti assister au forum de la gauche latino-américaine au Venezuela, le co-Président du Parti de Gauche s’est retrouvé, perché sur un bus, « le visage en larmes », sidéré par la ferveur d’une foule en liesse au passage d’Hugo Chávez en campagne pour sa réélection.

« Le tribun du Front de Gauche ne jure plus que par l’Amérique latine. Il a rencontré Chávez, plus proche de lui qu’il ne le pensait et dont la culture politique l’a impressionné. Il a lu les biographies du Che et de Simón Bolivar. Et prépare déjà son prochain voyage, peut-être en décembre, chez son ami le Président équatorien Rafael Correa, pour organiser un forum mondial des « révolutions citoyennes », rappelle le Nouvel Observateur.

Un concept devenu, le temps d’une campagne présidentielle, un objectif politique et que Mélenchon a puisé entre l’Amazonie et les Andes. Tout comme il s’était inspiré d’un slogan cher aux Argentins pour le titre de son livre coup-de-poing : « Qu’ils s’en aillent tous ! »

Nationalisations, redistribution massive des richesses aux plus pauvres, assemblées constituantes, résistance à l’impérialisme américain : pour Mélenchon, ces expériences sont « une source d’inspiration ».

Mais pas « un modèle ». Il approuve la pratique du pouvoir par Chávez, mais il condamne son encombrant soutien à l’Iran d’Ahmadinejad ou à Bachar al-Assad, explique-t-il.

Mars 2013 : vêtu d’un long manteau noir en cuir, il arrive à pied au siège de son parti, l’Usine, au cœur d’un quartier populaire des Lilas.

Sur le fronton du bâtiment, ses équipes ont entouré le drapeau vénézuélien d’un brassard noir. « C’est un jour de deuil pour nous et pour un certain nombre de peuples et de militants», débute Jean-Luc Mélenchon avant de tempêter contre « les discours haineux et vulgaires» d’une partie des commentateurs. Mélenchon pleure son héros et fait de son deuil un geste politique.

Par contre, lorsqu’il s’agit d’Israël et des États-Unis, Mélenchon tire et s’égosille, avec violence et hargne. Lorsqu’il s’agit du Venezuela, le voilà si gentil, si doux, si attentif. Il est bien le seul.

Ami de la Chine ?

En avril 2008, sur son blog, il se prononce contre « le boycott des Jeux olympiques de Pékin et la propagande antichinoise », jugeant dans cette attitude une « morgue ressemblant à du racisme » et « l’écho du mépris des colons qui ont imposé en leur temps les armes à la main l’obligation pour les Chinois de faire le commerce de l’opium ». Et pour lui, les « évènements du Tibet sont un prétexte. Un prétexte entièrement construit à l’usage d’un public conditionné par la répétition d’images qui visent à créer de l’évidence davantage que de la réflexion. »

Il se lance alors dans une violente diatribe contre le Tibet :

« A l’heure actuelle je n’éprouve aucune sympathie pour « le gouvernement en exil du Tibet » dont Sa Sainteté est le décideur ultime sur pratiquement toutes les questions, où siège un nombre de membres de sa famille qu’il est tout à fait inhabituel de trouver dans un gouvernement, même en exil, sans parler de leur présence aux postes clefs de la finance et des affaires de cet exil. Je respecte le droit de Sa Sainteté de croire ce qu’elle veut et à ses partisans de même. Mais je m’accorde le droit d’être en désaccord total avec l’idée de leur régime théocratique. Je suis également hostile à l’embrigadement d’enfants dans les monastères. Je suis opposé à l’existence du servage. Je suis laïque partout et pour tous et donc totalement opposé à l’autorité politique des religieux, même de ceux que l’album « Tintin au Tibet » a rendus attendrissants et qui ne l’ont pourtant jamais été. Je désapprouve aussi les prises de position du « roi des moines » contre l’avortement et les homosexuels. Même non violentes et entourées de sourires assez séducteurs, ses déclarations sur ces deux sujets sont à mes yeux aussi archaïques que son projet politique théocratique.  Je n’ai jamais soutenu l’Ayatollah Khomeiny, même quand j’étais contre le Shah d’Iran. Je ne soutiens pas davantage ni n’encourage le Dalaï-Lama, ni dans sa religion qui ne me concerne pas, ni dans ses prétentions politiques que je désapprouve ni dans ses tentatives sécessionnistes que je condamne. Je demande: pourquoi pour exercer sa religion et la diriger le Dalaï-Lama aurait-il besoin d’un État ? Un État qui pour être constitué demanderait d’amputer la Chine du quart de sa surface! Son magistère moral et religieux actuel souffre-t-il de n’être assis sur aucune royauté ? »

Un Jean-Luc Mélenchon toujours si prompt à exiger la création (immédiate) d’un État palestinien, mais qui s’effraie que le Tibet puisse accéder à l’indépendance.

Un Mélenchon si prompt à diaboliser Israël et à absoudre la Chine communiste. Comme Stéphane Hessel, Mélenchon, dans toute sa splendeur, à l’indignation bien sélective, que sélective… Lire la suite.