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Publié le 22 Avril 2025

L'entretien du Crif – Sylvain Maillard (EPR) : il faut rappeler la « ligne conductrice, qui est la sécurité de l'État et du peuple israélien »

Le député de Paris Sylvain Maillard est une voix (EPR, Ensemble pour la République) influente à l’Assemblée nationale. L’ancien Président du groupe d’amitié France-Israël répond aux questions de Jean-Philippe Moinet sur la défense de l’État de droit dans les démocraties, la crise qui oppose la France et l’Algérie et la divergence entre le Président français et le Gouvernement israélien concernant l’avenir de Gaza et la reconnaissance d’un État palestinien.

Le Crif : À propos de la proposition de loi « PLM » (Paris, Lyon, Marseille) que vous portez et qui réforme le mode de scrutin dans ces trois grandes villes, on a vu surgir quelques controverses, compte tenu de la proximité des élections municipales de 2026. Que répondez-vous et quel est le sens de votre proposition de loi ?

Sylvain Maillard : Cela fait un peu plus de deux ans que je travaille, avec mes collègues, sur ce texte de loi. Le principe est simple car dans ces trois villes il y a un problème de gouvernance et d’incohérence démocratique. Cette loi PLM a été inventée par Gaston Defferre en 1982 pour qu’il gagne Marseille alors qu'il était minoritaire en voix dans cette grande ville. Dans ces trois villes, il y a un problème : quelle que soit la couleur politique de la majorité municipale, ces villes sont divisées en deux. Parce que le maire en place (élu non pas directement mais par les élus d’arrondissements ou de secteurs) privilégie toujours les mairies d'arrondissement ou les mairies de secteur qui l'ont élu, au dépend du reste de la ville. Quelle que soit la couleur politique et l'époque, le problème est apparu, le mode de scrutin actuel pousse à cette division en deux. Avec mes collègues députés, nous estimons donc qu'il est très important de revenir au droit commun dans ces trois villes, pour plus de démocratie ; c’est le principe simple de « un citoyen égale une voix », un Parisien, un Lyonnais, un Marseillais égale une voix. C'est la règle de base, comme dans toutes les autres villes de France.

On a observé aussi que, dans ces trois grandes villes, on a voté beaucoup moins que dans les autres villes de France. Parce qu'en fait, beaucoup d’électeurs n'y voient aucun intérêt. Quand vous êtes Parisien, un électeur d’Anne Hidalgo dans le 16e arrondissement observe qu’il n'a aucun intérêt à aller voter, il pense à l’avance que c'est perdu. Dans le 20e, un électeur de Rachida Dati ou d'Agnès Buzyn (en 2020) pouvait aussi penser qu’il n'avait aucun intérêt à aller voter. Du coup, on a enregistré beaucoup moins de participation civique et beaucoup moins d'implications démocratiques avec une gouvernance qui est entachée.

C’est pourquoi il faut changer ce mode de scrutin. Notre proposition consiste à revenir au droit commun pour l’élection du ou de la maire de ces trois villes, tout en maintenant les mairies d'arrondissement qui sont ancrées dans une relation de proximité qui est importante pour les citoyens. Je relève que l’électorat de ces trois villes représente 10 % du corps électoral français, ce n’est pas rien.

Comme dans n'importe quelle autre ville de France, on propose donc d’utiliser le même mode de scrutin dans les arrondissements : on choisit une liste, avec une tête de liste pour chaque mairie d'arrondissement. On procède de la même manière, avec vote dans une autre urne, pour permettre aux citoyens de ces trois villes de voter directement pour celui ou celle qu’ils préfèrent pour la mairie centrale, et qui sera le ou la maire des villes de Paris, de Lyon et de Marseille. L’élection directe sera double : une urne pour la mairie d'arrondissement, une urne pour la mairie centrale, avec dans les deux cas une liste et une tête de liste, comme cela se déroule dans n'importe quelle autre ville de France.

 

« Au-delà des étiquettes, une convergence sur la proposition s’est traduite dans les votes à l’Assemblée nationale »

 

Le Crif : Parmi les maires actuels concernés, il y a deux socialistes, l'un à Marseille, Benoît Payan, semble favorable à la réforme que vous proposez, et l'autre à Paris, Anne Hidalgo, est défavorable, c’est cela ?

Sylvain Maillard : Oui. Au-delà des étiquettes partisanes, une convergence sur le constat et la proposition s'est traduite aussi dans les votes à l'Assemblée nationale. Ont voté pour, des députés de gauche, par exemple un tiers du groupe socialiste, comme de droite, des élus du « bloc central », Renaissance et Modem (les députés Horizons se sont abstenus), aussi les députés Les Républicains (LR) présents au moment du vote, des Rassemblement national (RN) ou Union des droites pour la République (UDR). Ont voté contre, une partie des socialistes, les communistes et les écologistes.

 

Le Crif : Dans les reproches, certains de vos opposants ont invoqués le fait que le calendrier de cette réforme serait trop tardif par rapport aux municipales du printemps 2026…

Sylvain Maillard : Écoutez, cela fait deux ans que je travaille et consulte sur le sujet, j'ai reçu tous les maires, tous les élus locaux des trois villes qui le souhaitaient. Ce texte devait être porté en juillet 2024 s'il n'y avait pas eu la dissolution de l’Assemblée nationale, qui a évidemment retardé le calendrier parlementaire. Je rappelle aussi, à ceux qui invoquent artificiellement l’argument du calendrier, que la loi PLM actuelle avait été promulguée en décembre 1982, pour être appliquée aux élections de mars 1983. Tout le monde au Parlement connaît les tenants et les aboutissants de cette réforme et je suis confiant, l’objectif étant qu'elle soit définitivement adoptée d’ici fin juin prochain.

 

Le Crif : Concernant le grand sujet de la protection de l'État de Droit, en France comme dans les autres démocraties, le débat s’est tendu ces derniers temps. On a vu, dans toute l'Europe comme aux États-Unis, les principes fondamentaux de l’État de droit, en particulier le principe de l’indépendance de la Justice, être contestés. Dans l’actualité récente en France, on a vu par exemple des partisans du RN remettre en cause frontalement les décisions de la Justice et son indépendance, comme le pouvoir algérien l’a aussi fait, une décision de Justice ayant concerné des ressortissants algériens accusés de s’en prendre avec violence, sur notre territoire, à des opposants au régime algérien. Que pensez-vous de cet enjeu de défense de l’État de droit ?

Sylvain Maillard : C'est une question essentielle pour la démocratie, pour la République française, il s’agit là du socle de nos institutions et de notre Constitution. Les parlementaires font la loi et la Justice l’applique. En toute indépendance et en vertu de la sacro-sainte séparation des pouvoirs, la Justice instruit les plaintes dans un cadre contradictoire très élaboré, quand elle certifie l’effectivité des infractions, délits ou crimes, elle applique la loi.

Il faut en démocratie absolument respecter cette indépendance de la justice, qui ne fait qu'appliquer les textes, prenant en compte une série de critères reposant sur le principe de l’individualisation des peines prononcés. Nous sommes très attachés à ces principes fondamentaux. Si on commence à considérer la justice comme « politique », à la défier en permanence, nous nous dirigeons vers un autre système politique, nous risquons de sortir de la démocratie qui est fondée sur la liberté du vote – avec garantie de liberté pour les oppositions et pour le pluralisme partisan – et sur le respect de l’État de droit, du pouvoir et des contre-pouvoirs.

Tout le monde est bien sûr libre d’apprécier ou non une décision de Justice mais la mise en cause globale et les amalgames sur les magistrats (comme pour toutes fonctions, comme celles de policiers ou autres corps de l’État) ne sont pas acceptables, ils sont mortifères. Dans le cas de Marine Le Pen ou du pouvoir algérien que vous évoquez, dans ces deux cas il faut souligner que la Justice en France est et restera indépendante et qu’elle ne fait qu'appliquer la loi, votée au Parlement français. Tout simplement. La Justice fait partie du cadre républicain et démocratique, qui garantit à la fois la protection des libertés et de l’ordre public, sans lequel il n’y a pas de liberté viable.

 

 

Crédit photo : ©Assemblée nationale

 

Avec l’Algérie, « des traités ont été signés. S’ils ne sont pas appliqués, il faut les dénoncer et les changer »

 

Le Crif : Concernant l'Algérie, on a vu la crise monter d’un cran avec la décision algérienne d’expulser douze de nos agents diplomatiques en poste en Algérie. Comment appréhendez-vous l'évolution de cette crise inédite ? Pour la résoudre, faut-il encore côté français plus de fermeté ou tenter à nouveau le dialogue comme l’avait tenté le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, en se rendant en Algérie, sans empêcher cette crise ?

Sylvain Maillard : La situation est devenue compliquée mais les deux approches peuvent co-exister. Il faut évidemment du dialogue parce qu'on constate qu'il peut y avoir des visions différentes, on a l'impression que chacun a la vérité de son côté. En réalité, entre les deux pays, il y a des traités et ces traités doivent être appliqués, point à la ligne. Ces traités ont été signés : s’ils ne sont pas appliqués, alors ils doivent être dénoncés et il faut les changer. Dans le cadre des traités actuels, l’application s’impose concernant notamment les ressortissants algériens qui sont l’objet d’une « OQTF » (obligation de quitter le territoire français), qui doivent être acceptés par l'Algérie sur leur territoire. C’est une obligation qui résulte d’un traité signé par l’Algérie. Ce traité contient des facilités pour les ressortissants algériens résidant en France. Si l'Algérie ne l'applique pas, à ce moment-là le traité devient caduc. Mais, encore une fois, ce qui a été décidé, voté et signé relève de la même logique : quand les règles sont établies, leur application ne doit pas varier en fonction du moment et du bon vouloir politique des uns et des autres.

 

Le Crif : Au sujet du Proche-Orient, les choses se sont compliquées depuis quelques semaines en ce qui concerne Gaza, où la guerre a repris et s’est durement prolongée. Nous avons pu constater des divergences fortes entre la position française et la position israélienne à propos de l’hypothèse, avancée par le Président français (qui l’associait à certaines conditions de sécurité pour Israël), d’une « solution à deux États » et de la reconnaissance d'un État palestinien. Cette divergence est-elle insurmontable ?

Sylvain Maillard : On a assisté en effet à une confrontation des positions, le Président français estimant que le sujet est à mettre dans les discussions qui sont engagées avec les pays arabes de la région, qui souhaiteraient conditionnellement reconnaître l'État d'Israël. Inversement, le Premier ministre israélien considère que cette reconnaissance d’un État palestinien serait en quelque sorte une récompense, c'est le terme qui a été employé, du terrorisme meurtrier porté par le Hamas le 7-Octobre.

 

Le Crif : Dans cette situation, comment voyez-vous un début de résolution de la crise autour de Gaza ?

Sylvain Maillard : Je pense qu'il ne faut pas oublier nos objectifs, l'objectif de la France a toujours été la sécurité d'Israël, dans cette perspective il faut faire en sorte, diplomatiquement, de réunir toutes les conditions de garantie de la sécurité d'Israël. Si la garantie de la sécurité d'Israël passe par la création d'un État palestinien, qui serait gouverné de façon « normale », sans violence, c'est-à-dire sans le Hamas, sans les forces extrémistes armées, alors il peut devenir souhaitable de réfléchir à cette option. Mais, avant tout, tout le monde peut le comprendre, la sécurité d'Israël doit être effectivement garantie par les partenaires arabes de la région. Il n'y a pas de « préalable » à cela, c'est en tout cas ma position. Je pense aussi que les relations sont, en permanence, mouvante, toute l’histoire de la région l’a montré. Il ne faut pas être enfermé dans des dogmes mais rappeler la ligne conductrice, qui est la sécurité de l’État et du peuple israélien.

 

« Il faut absolument sortir de cette situation de conflit à Gaza, qui ne peut être que temporaire. C’est l’intérêt d’Israël d’en sortir »

 

Le Crif : Sur ce point de la sécurité, certaines voix se lèvent, y compris au sein de la démocratie israélienne, estimant que la sécurité de l’État d'Israël passe par une relation pacifiée avec son environnement immédiat et qu’il faut donc développer des discussions visant à aboutir à la reconnaissance mutuelle entre Israël et les pays arabes de la région. Qu’en pensez-vous ?

Sylvain Maillard : Les Accords d'Abraham ont constitué une avancée incroyable, historique. D'ailleurs, c'est ce qu'a recherché le Hamas, c’était aussi de détruire ces accords, ces rapprochements qui allaient aboutir entre l'Arabie Saoudite et Israël. L’organisation terroriste islamiste a tout fait pour faire capoter cet accord. Ne soyons pas dupes sur ce point, il y a des forces dans la région, je pense bien sûr à l’Iran et à ses « proxys », qui ont tout intérêt à ce que Israël ne se rapproche pas des États arabes voisins.

 

Le Crif : La démarche du Président de la République, Emmanuel Macron, vous paraît-elle réaliste ?

Sylvain Maillard : Oui je pense, car il faut savoir tracer un chemin, définir un horizon de paix. On ne peut pas rester dans la situation actuelle, il faut absolument sortir de cette situation de conflit à Gaza, qui ne peut être que temporaire. C’est l’intérêt d’Israël d’en sortir. La situation à Gaza doit évoluer, d’abord pour les Gazaouis eux-mêmes. Ce qui nous remonte de plus en plus comme informations, c’est que les habitants de Gaza ne veulent plus du tout du Hamas, ils en sont les prisonniers, il faut donc trouver une issue politique au conflit pour que le Hamas soit définitivement chassé des commandes d’un quelconque pouvoir à Gaza.

Cette voie est possible et peut permettre de construire une paix durable et une sécurité garantie pour Israël, pour que chacun des habitants de cette région trop meurtrie, qu’ils soient Israéliens ou Palestiniens, puisse vivre normalement, sans angoisse, puisse s'occuper de sa famille, avoir des préoccupations normales, ne pas être dans une guerre, des violences et des peurs perpétuelles. Ce chemin est très réaliste, il est indispensable pour le développement de toute la région. Pas à n'importe quel prix, je l’ai dit, le fil conducteur étant d’assurer la sécurité d'Israël, ce qui passe aussi par de bonnes relations avec ses voisins. 

 

Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet

 

 

- Les opinions exprimées dans les entretiens n’engagent que leurs auteurs -

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