Tribune
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Publié le 28 Novembre 2014

La face noire du Web

Par Roger Pol-Droit, Philosophe, publié dans les Echos le 30 mai 2012

Mille fois par jour, Internet est tour à tour encensé, glosé, scruté, expertisé sous toutes les coutures. Mais il est rare de voir souligner ses zones d'ombre, sa face noire : diffusion massive des haines, du mépris, des incitations à la violence. Pourtant, depuis dix ans, dans le registre de la haine ordinaire, tout a changé.

La prolifération des sites racistes s'est envolée. La propagande négationniste et néonazie, les imprécations antisémites, les appels au meurtre sont devenus monnaie courante. Islamistes et islamophobes s'en donnent à coeur joie. Les apologies de la domination, de l'homophobie, de la xénophobie, de la misogynie se donnent libre cours dans une concurrence et une émulation consternantes et ignobles. L'historien Marc Knobel, depuis des années, s'est attelé à pister ces dérives et rassemble aujourd'hui ses rapports pour la Commission nationale consultative des droits de l'homme (1). De quoi s'inquiéter vraiment.

Parce que l'abjection est désormais disponible en direct, sans effort, chez tout le monde. En France, il y a une vingtaine d'années, les torchons porteurs de haine étaient relativement rares. Et surtout localisés. Brochures artisanales, distribuées par des réseaux semi-clandestins, planquées dans des arrière-salles, vendues sous le manteau, les discours meurtriers étaient circonscrits. Pour les trouver, il fallait se décarcasser. On choisissait de s'y vautrer ou non, en connaissance de cause. A présent, d'un seul clic, ils sont partout, accessibles à tous, à la maison, capables de surgir à longueur d'écrans, de pages et de blogs - sans lieu, sans adresse, sans responsable, sans éditeur, sans visage.

Si vous, par hasard, vous en doutiez, faites cette simple expérience : googlez « les Juifs sont », « les Arabes sont », « les noirs sont », « les jaunes sont »... et voyez les milliers de résultats affligeants obtenus en moins d'une seconde. Et ce n'est encore que l'écume du pire. Car toute la boue du monde est à portée de connexion, grâce à la souplesse des réseaux sociaux, l'efficacité de la viralisation, l'impunité de l'anonymat. Cette marée noire monte dans une sorte d'indifférence générale, quand ce n'est pas de complaisante approbation, alors même qu'elle pollue les esprits, plus réellement et plus insidieusement que jamais… Lire la suite.

Note :

(1) « L'Internet de la haine. Racistes, antisémites, néonazis, intégristes, islamistes, terroristes et homophobes à l'assaut du Web », de Marc Knobel, Berg International, 184 pages, 14 euros.