Tribune
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Publié le 13 Avril 2015

L’intolérable indifférence au sort des Chrétiens d’Orient

Leurs massacres suscitent une indifférence internationale qui pose question. 

Par Dominique Moïsi, Chroniqueur, Conseiller spécial à l'Ifri (Institut français des relations internationales) 
Comment expliquer le silence de la communauté internationale face aux massacres de Chrétiens qui se déroulent sous nos yeux, du Moyen-Orient au continent africain, de l’Irak au Kenya ? Le Pape François, du balcon de Saint-Pierre, a eu raison d’interpeller la conscience du monde le jour de Pâques. « Le Vatican, combien de divisions ? » plaisantait Staline, inconscient qu’un Pape polonais, Jean-Paul II, allait par sa simple autorité morale contribuer de manière décisive à l’effondrement de l’URSS. Cette autorité morale, elle n’existe bien sûr que si elle s’exprime. Le silence retentissant de Pie XII pendant la Seconde Guerre mondiale sur le sort des Juifs pouvait-il être reproduit par le « vicaire » du Christ alors même que les victimes cette fois-ci étaient chrétiennes ?
Mais quelles réponses donner à la dénonciation de l’indifférence lancée par le Pape François ? Toute réflexion sur cette question doit, me semble-t-il, partir de la nature sélective des émotions. La philosophe américaine Martha Nussbaum, de l’université de Chicago, cite à ce propos des expériences scientifiques faites sur les souris. Celles-ci, rapporte-t-elle, ne s’émeuvent que face à la souffrance de congénères avec lesquels elles ont été directement en contact. Dans le cas inverse, elles font preuve d’une indifférence totale. Sommes-nous comme les souris ? En France, les assassinats de caricaturistes de « Charlie Hebdo » ont pu faire descendre près de 4 millions de personnes dans la rue, pas seulement au nom d’un principe, celui de la liberté de la presse, mais parce que leur signature sinon leur personne étaient familières à des millions de Français. Ils ne seraient pas descendus en tel nombre pour des policiers ou des Juifs. Les victimes chrétiennes sont lointaines, anonymes pour la plupart, sinon désincarnées. Elles ont la malchance de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment, là où règne un contexte de violence généralisée. Les principales victimes, au Moyen-Orient au moins, ne sont-elles d’ailleurs pas, dans leur grande majorité, musulmanes ?
Face au massacre de Chrétiens, le problème de la chrétienté n’est-il pas qu’elle est tout à la fois universelle dans son principe et divisée dans sa réalité ? Il y a incontestablement une émotion chrétienne grandissante pour le sort des Chrétiens d’Orient, tout comme il existe une compassion particulière à l’égard des jeunes Kenyans massacrés il y a une dizaine de jours en fonction de leur appartenance religieuse : les Chrétiens étaient assassinés, les Musulmans étaient épargnés... Lire l’intégralité.