Tribune
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Publié le 14 Février 2013

L’axe Le Caire-Téhéran : réalité ou chimère ?

 

Par Zvi Mazel

 

Quand l’Iran et l’Égypte sont à la recherche d’un terrain d’entente.

 

C’est ostensiblement dans le cadre du sommet de la Coopération islamique qu’Ahmadinejad s’est rendu au Caire. En fait, il voulait explorer comment développer les relations avec l’Égypte. C’était sa troisième rencontre avec Morsi depuis l’élection de ce dernier à la présidence en juin 2012. Comme les deux précédentes, elle se tenait dans le cadre d’une réunion internationale ou islamique, mais les observateurs n’ont pas manqué d’observer la chaleur des accolades et les longues discussions. Il est clair que les deux hommes cherchent à tourner la page de l’ère Moubarak.

 

Khomeini avait rompu les relations diplomatiques avec l’Égypte pour protester contre l’accord de paix avec Israël ; plus tard, l’Iran n’a pas ménagé ses efforts pour renverser le régime Moubarak, par les actions subversives de l’organisation terroriste Gama’a al Islamiya qui s’est livrée à une série d’attentats dans la dernière décennie du vingtième siècle et a failli assassiner le président à Addis Abeba en 1995. Moubarak était « coupable », non seulement de respecter le traité de paix, mais encore d’être le fidèle allié de l’Amérique ; il avait pris la tête du front des états arabes pragmatiques – Arabie Saoudite, pays du Golfe, Jordanie et Maroc – contre l’Iran des Ayatollahs.

 

Lorsque Téhéran a proclamé que Bahreïn était en fait la quatorzième région de l’Iran menaçant ainsi l’indépendance du petit État, Moubarak s’est rendu immédiatement dans la capitale, Manama, pour avertir Téhéran de ne pas mettre ses menaces à exécution. Le président égyptien – et son allié américain – constituait le rempart des pays du Golfe contre leur voisin iranien.

 

Aujourd’hui, nouvelle donne. Le premier ministre des Affaires étrangères après la chute de Moubarak – Nabil elArabi – s’est empressé de déclarer « La nouvelle Égypte n’a pas d’ennemis », et a laissé entendre que ses propos s’adressaient à l’Iran. Des propos bientôt suivis par des actes.

 

Des personnalités iraniennes de haut rang sont venues plus ou moins secrètement au Caire, alors gouverné par le Conseil suprême des forces armées. Des bâtiments de guerre iraniens ont reçu l’autorisation de transiter par le canal de Suez, en route pour la Méditerranée où ils s’apprêtaient à faire une démonstration de force.

 

Le comité des quatre ?

 

Téhéran répète en toute occasion souhaiter améliorer les relations avec Le Caire et rétablir les liens diplomatiques.

 

Un message que le ministre iranien des Affaires étrangères est venu transmettre en personne, il y a quelques jours.

 

Parallèlement, selon le quotidien koweïtien Alkabas, le chef de la force Alkuds – l’élément moteur de la Garde révolutionnaire iranienne –, a effectué une visite secrète au Caire. Il aurait été invité à venir expliquer comment mettre sur pied un corps d’élite distinct de l’armée et qui ne devrait allégeance qu’au président Morsi.

 

Selon certaines informations, les Frères musulmans seraient en train de former une milice spéciale chargée de protéger le régime ; cette milice serait presque opérationnelle.

 

On parle beaucoup depuis la révolution de la nécessité pour l’Égypte de développer des relations économiques et commerciales, ainsi que le tourisme et les liaisons aériennes avec l’Iran. Les deux pays, qui comptent ensemble plus de 160 millions d’habitants, ont tout à y gagner. Les Iraniens promettent d’importants investissements dans l’industrie égyptienne, qui en a un besoin urgent. Ce n’est pas tout.

 

Les Frères musulmans et leur chef, le président Morsi, sont trop préoccupés par la crise politique interne pour formuler une véritable politique étrangère. On sait pourtant qu’ils voudraient mettre sur pied un forum arabo-islamique pour traiter des problèmes de la région.

 

C’est pourquoi Morsi avait suggéré la formation d’un comité de quatre – Égypte, Arabie Saoudite, Turquie et Iran – pour résoudre la crise syrienne. Cette initiative a rapidement échoué, la Turquie et l’Arabie Saoudite ayant quitté le comité, compte tenu de leur opposition à la politique de Téhéran.

 

Morsi a voulu faire un nouvel essai la semaine dernière à l’occasion du sommet, mais l’Arabie Saoudite a refusé de participer. Le roi Abdallah et les dirigeants des pays du Golfe se méfient de l’Iran qu’ils accusent de se livrer à des opérations subversives ; ils sont aussi très inquiets de son programme nucléaire et de son soutien à la Syrie.

 

Ils accusent le régime des Ayatollahs d’encourager les minorités chiites de la région – notamment à Bahreïn, Koweït et en Arabie Saoudite – à se rebeller contre les régimes sunnites de ces pays.

 

Ils sont préoccupés par l’influence grandissante de l’Iran sur l’Irak où le pouvoir est passé des sunnites aux chiites à la suite de l’intervention alliée puis du retrait de leurs troupes.

 

La Turquie est en crise ouverte avec l’Iran sur la question syrienne.

 

Le baiser du roi

 

Ces considérations n’empêchent pas les Frères Musulmans de rechercher une meilleure entente avec Téhéran. Ils ne veulent surtout pas d’un conflit ; ce qui les intéresse, après leur succès en Égypte et en Tunisie, c’est de voir leur influence s’étendre sur l’ensemble du Moyen-Orient, à travers les mouvements qui leur sont affiliés, notamment en Libye et en Syrie.

 

Ils ont le sentiment d’avoir le vent en poupe et ne veulent pas rater l’occasion exceptionnelle qui leur a été accordée et qui ne se reproduira sans doute pas. Morsi est convaincu que la chute d’Assad est inévitable et ne veut pas entendre parler d’une intervention armée des États-Unis ou d’autres pays occidentaux qui déstabiliserait davantage encore la région.

 

En attendant, il parle aussi peu que possible de la Syrie, et en termes modérés, tout en soulignant que l’Iran aura son rôle à jouer ce qui ne peut que plaire aux Ayatollahs.

 

Morsi pense également qu’il est possible d’arriver à un modus vivendi entre l’Arabie et l’Iran.

 

Le roi Abdallah cherche lui aussi à apaiser les tensions dans la région et a montré sa bonne volonté en laissant les bâtiments de guerre iraniens en route pour le canal jeter l’ancre à Djeddah, « s’agissant d’un simple exercice et dans le cadre des bonnes relations régionales » selon le communiqué saoudien.

 

Le roi a même embrassé Ahmadinejad avec la plus grande amabilité lors de sa venue à La Mecque pour le sommet économique islamique l’an dernier. Il faut dire que depuis la chute de Moubarak, les relations entre le royaume et les pays du Golfe avec l’Égypte se sont nettement dégradées du fait des activités subversives des Frères musulmans dans la région. Il y a peu de temps, les Émirats Arabes Unis ont arrêté un groupe de Frères qu’ils accusent d’avoir voulu faire tomber le régime.

 

Les jeux sont faits

 

On se demande cependant si, compte tenu de l’antagonisme profond entre l’islam chiite et l’islam sunnite, il peut y avoir un accord entre les Ayatollahs qui veulent instaurer l’hégémonie chiite sur tout le Moyen-Orient à l’aide de ses alliés – Irak, Syrie et Hezbollah – et les Frères musulmans qui ne ménagent pas leurs efforts pour imposer le sunnisme le plus extrême sur cette même région.

 

Le cheikh d’Al Azhar qui a rencontré Ahmadinejad au Caire la semaine dernière l’a averti de ne pas provoquer les chiites contre les sunnites. On ne pouvait s’attendre à moins de ce chef religieux. Seulement nécessité n’a pas de loi et la Confrérie est prête à tout pour se maintenir au pouvoir ; elle poursuit donc ses efforts pour trouver un terrain d’entente avec l’Iran en se concentrant sur les intérêts communs et en laissant de côté les points d’opposition.

 

L’Iran, pour sa part, regarde avec inquiétude l’évolution de la situation au Moyen-Orient et appréhende la chute de son fidèle allié syrien qui rendrait plus difficile ses liens avec le Hezbollah. Il ne veut surtout pas se trouver isolé et se montre donc disposé à trouver ce terrain d’entente – au moins jusqu’à ce qu’il ait pu réévaluer ses intérêts dans la région.

 

L’Amérique et le traité de paix avec Israël ne sont pas absents des calculs égyptiens. Le président Obama a montré sa sympathie vis-à-vis du régime des Frères ; dès sa réélection il a par ailleurs déclaré qu’il pèserait de tout son poids pour trouver une solution diplomatique au nucléaire iranien – sans pour autant renoncer aux autres options. Il n’aurait sûrement aucune objection à un rapprochement Iran-Egypte qui faciliterait les efforts de la diplomatie américaine.

 

Certes l’hostilité des Frères vis-à-vis d’Israël n’a rien à envier à celle de Téhéran, mais Ahmadinejad a tendu la perche à Morsi en déclarant au quotidien Al Ahram, le 6 février, « que l’Iran ne menaçait pas d’attaquer l’ennemi sioniste et ne développait son potentiel militaire qu’à des fins défensives. » Il ne faudrait pas qu’Israël prenne pour argent comptant des propos destinés à faciliter l’entente avec l’Égypte sans mettre en danger les liens de ce pays avec les États-Unis.

 

Pour le moment, les relations diplomatiques n’ont pas été reprises – malgré les trois rencontres entre les chefs d’État et les nombreuses visites de personnalités iraniennes au Caire.

La presse égyptienne ne semble pas s’opposer à une reprise.

 

Bref, les jeux sont faits, même si personne ne veut le dire tout haut.