Tribune
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Publié le 3 Mars 2015

L'école face au défi des «théories du complot»

Pour Pierre-André Taguieff, le danger du conspirationnisme actuel vient de cette «hypercritique» à laquelle la jeunesse est si sensible.
 

Par Caroline Beyer, publié dans le Figaro le 3 mars 2015
Avait-il l'intention de dénoncer les théories complotistes ou de faire leur apologie? Fin février, un professeur du lycée Fulbert à Chartres a été muté pour avoir montré à ses élèves de première une vidéo Internet soutenant des thèses complotistes, liées aux attentats du 11 septembre 2001. Et ce, au lendemain même de la tuerie du 7 janvier dernier à Charlie Hebdo. Sans accompagner la vidéo d'explications. «Il a reconnu les faits», explique le Directeur académique d'Eure-et-Loir, qui pointe «au minimum, un grave défaut pédagogique». Le professeur de sciences économiques, un contractuel dont la mission arrivera à terme en avril, a été soutenu par un mouvement de grève de ses collègues. «En le déplaçant, nous lui laissons le bénéfice du doute. Dans le contexte actuel, ce type de fait est très préjudiciable», poursuit le Directeur académique, estimant que les enseignants doivent être «outillés».
Au lendemain des attentats contre le journal satirique et l'Hyper Cacher, la «théorie du complot» s'est infiltrée dans les établissements scolaires, surfant sur des réseaux sociaux eux-mêmes abreuvés d'infos en continu. À en croire certains comptes Twitter et Facebook, la mort du policier froidement abattu par l'un des frères Kouachi serait ainsi une «mise en scène», les terroristes d'ailleurs seraient liés aux services secrets français. Pour les complotistes de tout bord, ces attentats ont été préparés et menés par une entité autre que celle désignée par la classe politique et les médias. Chacun ayant son bouc émissaire et une cause à défendre.
Ces discours rappellent les thèses conspirationnistes véhiculées à propos des attentats du 11 septembre 2001 et de bien d'autres événements encore, de la Révolution française à l'épidémie de sida, en passant par les catastrophes naturelles. «Il s'agit de moments de crise qui, vécus dans l'impuissance, ébranlent les fondements de la vie sociale, où le Bien se confond avec le Mal, le vrai avec le faux», explique le politologue Pierre-André Taguieff, auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet, dont l'un sur les protocoles des Sages de Sion, ce faux rédigé en 1901, qui se présente comme un plan de conquête du monde par les Juifs et les francs-maçons.
Au terme de «théorie du complot», il préfère celui de «récits» complotistes. Lesquels reposent pour lui sur cinq grands principes, ainsi formulés par le complotiste: «Rien n'arrive par accident», «tout ce qui arrive est le résultat d'intentions ou de volontés cachées», «rien n'est tel qu'il paraît être», «tout est lié ou connecté, mais de façon occulte», «tout ce qui est officiellement tenu pour vrai doit faire l'objet d'un impitoyable examen critique». Pour le chercheur, le danger majeur du conspirationnisme actuel vient d'un scepticisme exacerbé, de cette «hypercritique», à laquelle la jeunesse est sensible, séduite par un discours de défiance de principe vis-à-vis de la culture «officielle», celle des parents, des médias, de l'institution scolaire, des autorités politiques… Lire l’intégralité.