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Par Jacques Tarnero, publié dans le Huffington Post le 8 février 2015
Dans la noirceur du moment présent, on trouve tout de même des raisons d'espérer : la défaite du FN dans le Doubs est une bonne nouvelle pour la République tout comme l'effet involontaire de l'agression au couteau contre des soldats de garde devant les institutions juives de Nice.
Ce monsieur Coulibaly de Nice a eu une formule encore plus meilleure que celle de Brice ! Il a dit qu'il détestait « la France, l'armée, la police et les Juifs ! » et c'est cette détestation qui avait inspiré son geste. Certains vont hurler, surtout au FN, « pas d'amalgames ! » Assimiler les Juifs, à l'armée, à la police et à la France, va faire se retourner Maurras dans sa tombe et le défunt Du Paty de Clam en avaler ses particules.
Certes le temps a passé depuis la dégradation du capitaine Dreyfus dans la cour de l'Ecole militaire et certes aussi la police française a changé depuis la rafle du Vel d'Hiv, mais tout de même voilà une fusion républicaine énoncée par Coulibaly qui donne de l'avoine à moudre au cheval de Jean Marie Le Pen. Bon, son cheval est de retour, mais tout de même... Ce Coulibaly de Nice rend donc grâce à la République qui sait depuis Marc Bloch qu' « Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l'histoire de France, ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération». La France que Coulibaly déteste est bien celle de cet amalgame dont les Juifs sont une autre composante. Vichy avait voulu en séparer les éléments et voilà que par une ironie de l'histoire c'est cet indigène autoproclamé de la République qui les rassemble. Lui qui estime être une victime du colonialisme autant que du sionisme maléfique unit dans une même démonisation le creuset français à l'intérieur duquel il aurait pu trouver sa place.
« Je ne revendique jamais mon origine que dans un cas : en face d'un antisémite », ajoute Marc Bloch dans L'étrange défaite. Il y a désormais en France deux catégories de racistes, deux catégories d'antijuifs : ceux qui criaient dans les rues de Paris, en janvier 2014 « Juif, casse-toi la France n'est pas à toi ! » dans une manifestation d'extrême droite et ceux qui, au nom de Mahomet ou de la Palestine attaquent les Synagogues rue de la Roquette. Cette confluence devrait ouvrir les yeux et les oreilles de ceux qui avaient fait ou font toujours de la Propalestine sinon leur religion, du moins le vecteur émancipateur d'un peuple opprimé en ne se posant qu'une seule question : qui opprime les peuples arabes aujourd'hui ? Qui tue qui dans l'espace de l'Islam ? Est-ce que ce sont les sionistes ou les soldats impérialistes-colonialistes ? Le malheur arabe est réel, le malheur palestinien est réel. A qui la faute? Sinon aux systèmes de pensée que les peuples arabes ont façonnés pour eux-mêmes depuis la fin de la colonisation.
La source de cette humiliation arabe tant invoquée est à aller chercher dans cette pensée magique qui va toujours chercher ailleurs que chez elle, la raison de son désastre. Cette culture du ressentiment est le moteur de ces attitudes à l'œuvre chez nous, dans les cours des collèges, chez les « jeunes des quartiers » comme on dit pour ne pas nommer les choses. L'obscurantisme actuel en est la résultante encouragée en cela, ici, par tous ceux qui victimisent ces populations pour effacer leur propre culpabilité post-coloniale. Loin de les émanciper, loin de les rendre maîtres de leur destin, cette attitude déresponsabilise, exonère ceux qui ont choisi de ne pas être Charlie, mais plutôt Merah ou Coulibaly.
Il s'agit bien de revisiter toutes les constructions idéologiques dont les horreurs présentes sont aussi l'aboutissement. Si des jeunes Français, issus de l'immigration maghrébine, deviennent jihadistes et passent à l'acte, c'est aussi parce qu'un air du temps leur a soufflé que la figure du Juif n'était pas bonne et qu'elle avait quelque chose à voir dans le malheur des Arabes à commencer par celui des Palestiniens. Faut-il rappeler les textes de Deleuze sur le « Juif riche » ou « les Indiens de Palestine » ou la « grandeur d'Arafat » (1) ? Faut-il rappeler les séductions de Jean Genet pour Septembre noir?... Lire l’intégralité.
Note :
(1) on relira avec attention les textes rassemblés de Deleuze dans Deux régimes de fous (Editions de minuit. 2003).