Tribune
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Publié le 21 Janvier 2015

Face à l’antisémitisme, le choix du départ des Juifs pour Israël doit rester un personnel

Par Maurice Lévy,  Président du directoire du groupe Publicis, publié dans le Monde le 21 janvier 2015

Je n’ai pas aimé voir le premier Ministre britannique, David Cameron, dérouler le tapis rouge aux entrepreneurs français. Je n’ai pas davantage aimé voir le premier Ministre israélien, Benjamin Netanyahu, appeler les Juifs français à émigrer vers Israël. Pourtant, je comprends les Juifs de France qui, subissant un antisémitisme de plus en plus violent, brutal et aveugle, s’interrogent, s’inquiètent et envisagent de partir.

Par Maurice Lévy,  Président du directoire du groupe Publicis, publié dans le Monde le 21 janvier 2015

Je n’ai pas aimé voir le premier Ministre britannique, David Cameron, dérouler le tapis rouge aux entrepreneurs français. Je n’ai pas davantage aimé voir le premier Ministre israélien, Benjamin Netanyahu, appeler les Juifs français à émigrer vers Israël. Pourtant, je comprends les Juifs de France qui, subissant un antisémitisme de plus en plus violent, brutal et aveugle, s’interrogent, s’inquiètent et envisagent de partir.

Les tragédies des mercredi 7, jeudi 8 et vendredi 9 janvier furent un électrochoc national qui nous a menés le long d’un arc-en-ciel d’émotions : la révolte, la rage, la compassion, la solidarité, et la fierté. Mais si ces deux événements sont l’effroyable expression d’un même Islamisme radical, ils sont de nature différente.

Charlie est une exécution, celle d’un ennemi nommément ciblé, honni des fanatiques car jugé blasphématoire. A travers lui, c’est une liberté fondamentale de 1789 qu’on cherche à éliminer : celle de penser et dire ce que l’on veut dans les limites de la loi. C’est sans doute autant la barbarie de l’attentat que l’atteinte à nos libertés qui ont provoqué une telle émotion et cet élan de solidarité à travers le monde.

Dans l’attaque contre l’Hyper Cacher, vendredi, il n’y a pas d’ennemi mais un stéréotype, cristallisant des haines aussi absurdes que diverses et recuites, prétexte aux pires atrocités du XXe siècle : le Juif. On comprend alors que l’attentat, porte de Vincennes, à Paris, s’inscrit dans une sinistre et aveugle lignée.

C’est Ilan Halimi, mort torturé en 2006, parce que Juif. Ce sont quatre exécutions dont celles de trois enfants à Toulouse dans l’équipée assassine de Mohamed Merah en 2012, parce que Juifs. Ce sont quatre personnes abattues par Mehdi Nemmouche à Bruxelles en 2014, parce que dans un musée Juif.

Intégration ratée

L’antisémitisme violent n’est pas nouveau en France, et n’a cessé d’être protéiforme. Religieux (des édits d’expulsion du Moyen Age à l’extrême droite des années 1930), économique (des caisses royales à renflouer par confiscation à l’anticapitalisme révolutionnaire), revanchard et militariste (défaite de 1870 et affaire Dreyfus) et racial (l’anthropométrie à Vichy). Mais la seconde guerre mondiale et la Shoah débouchèrent sur un consensus social et un tabou. Ce dernier a perduré jusqu’aux années 1980, avant de se fracasser sur la diffusion des thèses négationnistes. Un nouvel antisémitisme libéré s’est alors engouffré dans la brèche ; celui d’une minorité de jeunes issus de l’immigration, fragiles, au cadre familial distendu, soumis à l’influence extérieure et instrumentalisés, et réagissant aux images des conflits du Proche-Orient. Cet antisémitisme devient une sorte de bravade, tandis qu’un sentiment d’impunité domine : s’attaquer aux Juifs ne provoque pas de réaction considérable ; Ilan Halimi et Toulouse en sont la preuve.

Reconnaissons tous ensemble que l’intégration a ici été un ratage complet, sur le plan de l’éducation, de l’urbanisme, de l’insertion dans l’emploi ; et qu’il sera urgent d’y remédier pour le bien de notre démocratie. Par ailleurs, Israël et les conflits moyen-orientaux s’invitent dans cette violence alors que la question d’Israël n’est pas simple en France : elle télescope une politique arabe ancienne ; elle relève vite de la politique intérieure du fait de l’importance relative de la communauté juive française dans les enjeux d’émigration, du fait aussi de l’importance de la communauté Musulmane française ; et, surtout, elle pâtit d’une confusion entre antisémitisme, antisionisme et antiracisme, l’un servant d’alibi à l’autre pour masquer le propos véritable. Et c’est là le coeur du problème. La justesse des mots, leur poids, leur pouvoir… Lire la suite.