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Il a été païen à l’époque – Empire romain – où on faisait grief aux Juifs d’une sainte Loi qui désenchantait le monde. Il a été chrétien – croisades, Inquisition, pogroms du Moyen-
Âge et au-delà – durant la longue période où on leur imputait à crime d’avoir martyrisé et tué le Christ.
Il a été antichrétien quand on s’est mis à leur reprocher – d’Holbach, Voltaire, âge des Lumières et de leur « écrasons l’infâme » – d’avoir, non plus tué, mais inventé le Dieu Un et, donc, d’une certaine façon, le Christ.
Il a été socialiste, anticapitaliste, ouvrier, au temps de l’affaire Dreyfus et du guesdisme – leur tort devenant de conspirer, du haut de leur « finance juive », à l’oppression de ceux que Drumont appelait les humbles et les petits.
Il a été raciste quand est apparue, dans le cercle des savoirs, la biologie moderne et, avec elle, le goût de classer les humains selon leurs caractéristiques physiologiques : « nous nous moquons, disait ce nouvel antisémitisme, de savoir si le peuple juif a tué ou enfanté le Christ ; nous nous fichons des éventuels méfaits de sa ploutocratie antiouvrière ; qu’il constitue une race, que cette race soit inférieure et qu’elle instille son mauvais venin dans le corps des races supérieures ou pures, voilà qui, en revanche, nous préoccupe et nous paraît inexpiable. »
Bref, tout se passe comme si la plus longue des haines se cherchait, chaque fois, le bon véhicule.
Tout se passe comme si elle savait ne pouvoir fonctionner et tourner à bon régime qu’en se coulant dans la langue dominante du moment.
Et la vérité est que, dans le monde d’aujourd’hui, plus aucune de ces langues n’est véritablement tenable ; la vérité est que, comme l’a dit Bernanos dans un mot atroce, mais assez juste, elles ont toutes été déconsidérées par le sommet d’horreur auquel elles ont conduit le XXe siècle ; et la réalité est que l’antisémitisme ne peut se remettre à fonctionner, il ne peut recommencer de fédérer et embraser les foules, il ne peut être pratiqué, non seulement sans remords, mais dans une relative bonne conscience qu’en s’adossant à un système de justification nouveau – qui s’articule, lui-même, autour de trois énoncés principaux.
1. Les Juifs sont détestables parce qu’ils sont solidaires d’un État lui-même détestable : c’est l’énoncé antisioniste.
2. Les Juifs sont d’autant plus détestables que cet État a pour ciment la religion d’une souffrance dont il n’est pas exclu qu’elle soit imaginaire ou, en tout cas, exagérée : c’est l’énoncé négationniste.
3. Les Juifs, en procédant ainsi et en faisant, pour ainsi dire, main basse sur le capital mondial de compassion disponible, ajoutent à cette double infamie celle de rendre l’humanité sourde aux autres souffrances des autres peuples – à commencer, naturellement, par le peuple palestinien : et c’est le thème de la compétition des victimes.
Peu importe le caractère, non seulement ignoble, mais délirant de chacun de ces énoncés.
Peu importe leur parfaite idiotie, chaque fois parfaitement démontrable et, au demeurant, maintes fois démontrée.
Et peu importe, pour ce qui concerne, par exemple, la troisième formulation, l’évidence régulièrement attestée que c’est précisément quand on a la Shoah au cœur et dans la tête qu’on voit venir, qu’on reconnaît et qu’on a des armes pour combattre les massacres en Bosnie, au Darfour, au Rwanda, ou ailleurs.
Ces énoncés n’ont qu’une fonction, qui est de rendre l’antisémitisme à nouveau audible et donc dicible… Lire la suite.