Tribune
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Publié le 29 Janvier 2015

«Ce que l’antisémitisme a pour nom, en 2015»

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Par Marc Knobel, Historien, Auteur, Directeur des Etudes du CRIF, publié dans la Revue Civique le 28 janvier 2015.
Ce dernier détaille ici les multiples racines de l’antisémitisme, qui a explosé en France à partir de l’année 2000 et la première « intifada ». Et qui s’est fortement aggravé tout au long de l’année dernière. Marc Knobel évoque notamment l’origine idéologique – soulignée et étudiée par le philosophe et chercheur Pierre-André Taguieff – d’un antisémitisme qui découle d’un antisionisme extrême, lui-même alimenté depuis longtemps par les tenants de l’Islamisme radical.
Extrême gauche et extrême droite française en passant par « Dieudonné and Co » sont aussi, historiquement et actuellement, parmi les premiers diffuseurs de la haine antisémite en France. Description et analyse en huit points.

En 2014, le nombre d’actes antisémites recensés sur le territoire français a doublé. Il est de 851 contre 423 en 2013. Cela représente une augmentation de 101%. En 2014 les actions violentes ont augmenté de 130% comparativement à 2013 : 241 contre 105 en 2013. C’est ainsi que 51% des actes racistes commis en France en 2014 sont dirigés contre des Juifs alors qu’ils représentent un peu moins de 1% de la population française, selon le Service de Protection de la Communauté Juive et le ministère de l’Intérieur (26 janvier 2015). Soit. Cependant, demandons-nous quelles sont les caractéristiques de l’antisémitisme ? Quels sont les mécanismes ? Revue de détail.
-Premièrement (Il était une fois…)
En France, tout commence réellement le 1er octobre 2000 (au lendemain de la mort de Mohamed Al Dura, au tout début de la seconde Intifada). Que se passe-t-il ce jour-là ? Des fidèles sortent de la synagogue d’Aubervilliers. Une petite voiture se met à foncer brusquement sur eux. Les gens s’écartent, il n’y a aucun blessé et la voiture s’éloigne rapidement. La police, prévenue, se rend sur place, mais repart très vite. Quelques heures plus tard, les fidèles présents dans la synagogue sont aspergés de liquide, projeté depuis l’aire de jeux mitoyenne. Affolés, ils sortent paniqués. En deux semaines, 75 agressions secouent la communauté juive, faisant des lieux de culte et d’écoles, des fidèles, de certains responsables ou membres de la communauté juive autant de cibles terriblement vulnérables. Tout se poursuit depuis, avec son lot d’actes antisémites (violences et menaces) : plus de 8.000 actes ont été commis en France depuis le 1er octobre 2000, un record !
-Deuxièmement (l’antisionisme et la vision du complot) :
Amalgame et fantasme, mais aussi réactivation de la vision du complot : la résurgence des violences à l’égard des Juifs en France tient aussi à la manière dont cette haine se nourrit.
Or, elle se nourrit abondamment des théories du complot. Le lien n’est d’ailleurs pas nouveau: il apparaît dès la fin du XIXe siècle. Dans ces théories conspirationnistes, les « sionistes » cachés sont censés dicter aux Américains leur « guerre impérialiste », comme le suggéraient ceux qui exhibaient un drapeau américain avec, à la place des étoiles, une croix gammée aux couleurs d’Israël (dans certaines manifestations, à Paris). Ces inquiétantes manifestations, à dominante antiaméricaine ou pro-palestinienne, sont devenues de plus en plus clairement l’expression de toutes les variantes de l’«antisionisme» ambiant, celui qui se diffuse dans l’opinion française depuis une trentaine d’années, selon un mouvement de radicalisation croissante.
Et à chaque fois que le Moyen-Orient s’embrase, on croit revivre dans les grandes capitales européennes le même scénario. Quelle est donc en France cette furie anti-israélienne qui anime certains militants extrémistes de la cause pro-palestinienne? Quelle est donc cette passion folle, cette rage destructrice et quelquefois quasi-religieuse qui anime tous ces gens? A croire que l’apocalypse viendra, à croire que le ciel se déchainera, à croire que le monde tremblera et ne survivra pas… tant qu’Israël continuera d’exister. Cette haine viscérale d’Israël crée un malaise.
•Il faut dire alors qu’il y a antisémitisme, lorsque l’on est prêt à lutter pour l’indépendance de n’importe quel peuple d’Europe, d’Asie ou d’Afrique (y compris pour la reconnaissance légitime d’un Etat palestinien), mais que l’on nie en même temps à un seul peuple au monde, le peuple juif, d’avoir son mouvement de libération national, le sionisme, et son Etat, Israël.
•Il y a antisémitisme lorsqu’on nie ou que l’on cherche à occulter les liens historiques, culturels, nationaux du peuple juif avec Israël.
Il y a antisémitisme lorsqu’on feint d’ignorer que l’objectif des mouvements islamistes palestiniens ou libanais, Hamas et Hezbollah, est de tuer le maximum de Juifs, où qu’ils se trouvent, et qu’on s’abstient de dénoncer ces organisations comme ce qu’elles sont: des organisations fondamentalistes antisémites.
•Il y a antisémitisme quand le seul pays au monde que l’on dénonce en des termes orduriers est Israël, un Israël qui se retrouve accusé partout, dans toutes les manifestations de rue, quels qu’en soient le sujet et le but.
-Troisièmement (Djihadisme et antisémitisme) :
Les prédicateurs du salafisme s’inscrivent dans un contexte arabe dominé par la problématique du conflit israélo-palestinien. Ils surfent sur cette vague pour mobiliser. Ils se solidarisent, par devoir, avec le combat des populations palestiniennes, selon Dominique Thomas, chercheur à l’Ehess (Ecole des hautes études en sciences sociales). Certes, mais cette explication n’est pas suffisante: un antisémitisme profond et primaire caractérise l’Islam radical, mais il traverse toutes les communautés musulmanes, explique Samir Amghar. Outre les liens avec le conflit israélo-palestinien qui demeure « un abcès de fixation », c’est aussi le produit d’un «antisémitisme des pays d’origine auquel se mêle l’héritage antisémite traditionnel français des années 1930».
Dans la version longue (non coupée) d’un entretien de Pierre-André Taguieff par Violaine de Montclos : « Taguieff : ces islamistes malades de la haine des Juifs », parue dans Le Point, du jeudi 11 octobre 2012, pp. 36-37., le philosophe revient magistralement sur ce sujet. Ses connaissances sont telles, qu’il livre une analyse juste de ce phénomène. Que dit-il ?
À la question de savoir s’il n’y a pas d’Islamisme radical sans antisémitisme, Pierre-André Taguieff répond : « Dans l’histoire des formes de judéophobie au XXe siècle et au début du XXIe, le phénomène majeur, après l’épisode nazi, aura été l’Islamisation du discours antijuif. Cette Islamisation ne se réduit pas à l’invocation de versets du Coran ou de certains hadiths. Elle consiste à ériger, explicitement ou non, le jihad contre les Juifs en sixième obligation religieuse que doit respecter tout musulman.
Tel est l’aboutissement de la réinterprétation doctrinale de l’Islam commencée dans les années 1930 par les idéologues des Frères musulmans, à commencer par Hassan al-Banna (1906-1949), ainsi que par le Grand Mufti de Jérusalem Haj Amin al-Husseini (1895-1974), leader arabo-musulman ayant déclaré la guerre aux Juifs dès les années 1920, avant de s’installer à Berlin durant la Seconde Guerre mondiale, pour collaborer notamment à la propagande antijuive à destination du monde musulman, après sa rencontre avec Hitler, le 28 novembre 1941.
L’Islamisation croissante de la ‘‘cause palestinienne’’, cause victimaire universalisée par le jeu de propagandes croisées, a conféré à cette dernière le statut symbolique d’un front privilégié du djihad mondial, poursuit Taguieff. C’est pourquoi la dernière grande vague judéophobe se caractérise par une forte mobilisation du monde musulman contre Israël et le ‘‘sionisme mondial’’, s’accompagnant, chez les prédicateurs islamistes, d’une vision apocalyptique du combat final contre les Juifs.
Comme le répète l’article 28 de la Charte du Hamas, qui résume en une phrase l’idéologie antijuive du mouvement islamiste palestinien : ‘‘Israël, parce qu’il est juif et a une population juive, défie l’Islam et les musulmans.’’ Le programme ‘‘antisioniste’’, considéré dans ses formulations radicales, a un objectif explicite qui revient à vouloir ‘‘purifier’’ ou ‘‘nettoyer’’ la Palestine de la ‘‘présence sioniste’’ ou ‘‘juive’’, considérée comme une ‘‘invasion’’ qui souille une terre palestinienne ou arabe (pour les nationalistes) ou une terre d’Islam (pour les islamistes). Dans une interview réalisée pour la chaîne AlJazira en septembre 1998, Oussama Ben Laden résumait ainsi sa vision manichéenne et djihadiste du monde : ‘‘Je dis qu’il existe deux parties dans cette lutte : la croisade mondiale alliée au Judaïsme sioniste conduite par l’Amérique, la Grande-Bretagne et Israël, et l’autre partie : le monde musulman.» Puis, il s’écriait : ‘‘Seigneur ! Donne-nous la victoire sur les Américains, sur Israël et sur ceux qui s’y sont alliés !’’ Ces thèmes se rencontrent, avec des accents plus ou moins paranoïaques, dans nombre de prêches de facture djihadiste dont les vidéos sont diffusées sur Internet » rappelle Pierre-André Taguieff.
À la question de savoir sur quelles bases théoriques, sur quels écrits cet antisémitisme se fonde-t-il, le philosophe répond : « Le grand théoricien du djihad antijuif a été l’idéologue fondamentaliste égyptien Sayyid Qutb (1906-1966), auteur au début des années 1950 d’un opuscule intitulé ‘‘Notre combat contre les Juifs’’, texte de référence pour la plupart des mouvements islamistes sunnites. Il y désigne les Juifs comme les plus anciens et les plus redoutables des ennemis de l’Islam : ‘‘Les Juifs devinrent les ennemis de l’Islam dès qu’un État musulman fut établi à Médine. Ils complotèrent contre la communauté musulmane dès que celle-ci fut créée […] Cette âpre guerre que les Juifs nous ont déclarée […] dure sans interruption depuis quatorze siècles, et enflamme, encore maintenant, la terre jusqu’en ses confins.’’
Dans le premier volume de ses commentaires du Coran, Qutb justifie l’appel au djihad contre les Juifs comme une réaction de légitime défense : ‘‘La guerre que, dès les premiers jours, les Juifs ont menée contre l’Islam et les musulmans n’a cessé de faire rage jusqu’aujourd’hui. Sa forme et son apparence ont pu changer, mais sa nature et ses moyens sont restés les mêmes’’ indique Taguieff, qui rappelle aussitôt que du fondateur des Frères musulmans Hassan al-Banna à Sayyid Qutb, ‘‘la politisation de l’Islam s’est opérée selon deux voies corrélatives : d’une part, la djihadisation du système des devoirs religieux, impliquant de conférer à la ‘‘mort en martyr’’ le statut d’un idéal existentiel suprême, et, d’autre part, la désignation des Juifs comme incarnation de l’ennemi absolu, dont le ‘‘sionisme’’ et Israël sont devenus les visages diabolisés. Les héritiers des ‘‘pères fondateurs’’ de cette Islamisation de la cause antijuive, longtemps restée au stade du projet idéologique, sont passés à l’action au cours des trois dernières décennies du XXe siècle, puis au début du XXIe. Ces héritiers sont les groupes Islamistes radicaux pratiquant le terrorisme, donc le meurtre de civils, pour lutter contre leurs ennemis, au premier rang desquels ils placent les Juifs. » « Ce qui caractérise, dans ses aspects idéologiques, la vague judéophobe qui s’est mondialisée au cours des années 1990 et 2000, c’est principalement l’application de la doctrine du jihad au combat contre les Juifs (ou les ‘‘sionistes’’) et Israël, à travers la propagande du Hamas, créé fin 1987 comme branche palestinienne des Frères musulmans, et celle d’Al-Qaida, surtout à partir des années 1996-1998.
La reformulation du mythe politique antiJuif, qui s’est mondialisée depuis la fin du XXe siècle, est véhiculée par l’Islamisme radical (version Al-Qaida ou version iranienne), qui désigne les Juifs comme les principaux ennemis visés par le jihad mondial. L’ayatollah Khomeiny, en 1980, a conféré une légitimité à la thèse conspirationniste selon laquelle les États-Unis étaient dominés par les ‘‘Juifs maléfiques’’ et que Juifs et Américains étaient, en conséquence, les ennemis absolus de l’Islam : ‘‘Les Juifs et leurs suppôts étrangers veulent miner les fondations de l’Islam et instaurer un gouvernement juif international ; comme ce sont des gens infatigables et rusés, j’ai bien peur, Allah nous en préserve, qu’un jour ils y parviennent’’. » (Sur ce sujet le lecteur verra aussi : Marc Knobel, « Haine et violences antisémites, une rétrospective 2000-2013 », Berg International Editeurs, janvier 2013.)
Qu’en est-il enfin de l’antisémitisme sous Daesh ?
Pour l'entité terroriste, il existe deux mondes. « Le camp de l’Islam et de la foi et le camp de l’incrédulité et de l’hypocrisie ». La propagande d’Abou Bakr Al-Baghdadi (qui prend également le titre de Commandeur des croyants, Amir al-Mu’minin) est parfaitement huilée: « Ô Communauté islamique, le monde est divisé en deux parties, en deux tranchées, il n’y en a pas de troisième, le camp de l’Islam et de la Foi, et le camp de la Mécréance et de l’Hypocrisie; le camp des Musulmans et des Moudjahidin là où ils sont, et le camp des Juifs, des croisés, de leurs alliés et, avec eux, toutes les nations de la mécréance et de ses religions dirigée par l’Amérique et la Russie et gouvernée par les Juifs ». Et, pour Baghdadi, une nouvelle ère est arrivée : « Un jour viendra où le musulman sera le maître, noble, respecté en tout lieu, il lèvera la tête et son honneur sera préservé et personne n’osera s’attaquer à lui sans être châtié et toute main qui s’approchera de lui sera coupé. Que le Monde sache qu’aujourd’hui est le début d’une nouvelle ère. » Et d’ajouter aussitôt: « Alors écoute, Ô Communauté islamique, écoute et comprend, lève-toi et réveille-toi, le temps est venu de se libérer des chaînes de la faiblesse et de se soulever devant la tyrannie, devant les gouverneurs traîtres, les agents des croisés, des athées et les protecteurs des Juifs. »
-Quatrièmement (les « quartiers sensibles » et les stéréotypes) :
Lorsque l’on parle d’antisémitisme, on ne peut culpabiliser l’ensemble de la banlieue et les habitants de nos banlieues doivent être respectés. Toute considération globalisante serait non seulement injuste et fausse, mais sans effet. À ce sujet, Vincent Delahaye, alors maire de Massy et vice-Président du Conseil général de l’Essonne, et Robert Rochefort, directeur général du Centre de recherches pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc), publient en 2006 « Promesse de banlieue ». Ils donnent une autre image de la banlieue, beaucoup plus pragmatique et optimiste, parlent de la banlieue qui gagne, de son potentiel, de sa perspective d’avenir pour les jeunes. Car la banlieue est aussi un vivier où l’esprit d’entreprise se développe, où le vivre ensemble et l’intégration peuvent aussi acquérir un véritable sens. Ils appellent dont à la prudence et à la vigilance, pour ne pas donner l’impression que, dans toutes les banlieues, dans tous les quartiers, dans toutes les rues, dans tous les immeubles HLM, des « hordes de jeunes » veulent ou voudraient en découdre et frapper les Juifs ou des policiers. Même si certains « ghettos modernes » posent de véritables problèmes.
La formation du ghetto
Avec beaucoup de justesse et une grande intelligence, le sociologue Didier Lapeyronnie (Didier Lapeyronnie, « La demande d’antisémitisme. Antisémitisme, racisme, exclusion sociale », les Etudes du CRIF, septembre 2005, Paris, 44 pages), montre que l’antisémitisme et son expression dans les quartiers populaires en France sont un phénomène « récent » : malgré une réalité sociale en bien des points tout à fait comparable, du point de vue de l’exclusion subie, ils n’existaient pas jusqu’à la fin des années 1980. Depuis cette période, trois changements se sont produits :
– Les possibilités de promotion sociale et d’intégration économique se sont fortement réduites pour les habitants des « quartiers sensibles », alors qu’à l’inverse, la discrimination et la ségrégation se sont renforcées (Jean-Paul Fitoussi, Eloi Laurent et Joël Maurice, « Ségrégation urbaine et intégration sociale », Rapport pour le Conseil d’analyse économique, Premier ministre, 2004. Christophe Guilly et Christophe Noyé, Atlas des nouvelles fractures sociales en France. Les classes moyennes oubliées et précarisées, Paris, Autrement, 2004.)
– Les relations entre les habitants des quartiers et les institutions publiques se sont dégradées, tant avec la police qu’avec l’école, voire avec les services sociaux ; cette dégradation est perceptible dans le ressentiment et le rejet suscités par ces institutions et dans la montée de la violence exercée à leur égard (Christian Bachmann parlait du développement d’une « culture anti-institutionnelle ». Voir, sur ce thème, Manuel Boucher, Turbulences, contrôle et régulation sociale. Les logiques des acteurs sociaux dans les quartiers populaires, Paris, L’Harmattan, 2003…)
– Enfin, la vie sociale interne des quartiers est marquée par un fort repli, la recherche d’un « entre soi » protecteur qui se traduit par la mise en place d’un « ordre social » spécifique aux quartiers de banlieues, ordre social marqué par une forte segmentation entre les groupes, l’absence de communication entre les sexes, l’ethnicisation des identités et le poids croissant de la religion.
Au fond, remarque Didier Lapeyronnie, en France aujourd’hui, l’antisémitisme semble bien accompagner la formation du « ghetto » et constituer l’une de ses expressions, l’une des manifestations du repli d’une partie de la population des quartiers populaires sur elle-même.
Cependant, l’antisémitisme « d’en bas » repose sur un paradoxe : le sentiment antisémite ne se généralise par dans la population des quartiers populaires. Le chercheur rappelle en effet que les sondages montrent un rejet important de l’antisémitisme chez les jeunes. Il n’empêche. Ces jeunes sont aussi, pour une partie d’entre eux, le vecteur essentiel d’actions antisémites, comme l’ont montré différentes études.
Ils sont à l’origine des incidents et des violences et alimentent la prolifération d’un vocabulaire explicitement antisémite. Pourtant, ils sont les premiers touchés par la ségrégation et la discrimination, massivement dirigées contre les populations arabes ou d’origine immigrée. Le « racisme » qu’ils subissent est largement institutionnalisé dans des pratiques sociales. À l’inverse, l’antisémitisme « d’en bas » qu’ils produisent ne se traduit pas par des « pratiques » institutionnalisées, probablement parce qu’il émane d’une partie d’une population qui n’en a pas les moyens sociaux et qui est elle-même la principale cible du racisme. L’analyse de Didier Lapeyronnie est très juste. La formation du « ghetto », le repli (sur soi) d’une partie de la population aura des conséquences graves et porte en lui les germes de tensions multiples présentes et à venir (sociales, sociétales, ethniques, religieuses…). Les jeunes qui vivent dans ces quartiers sont des laissés-pour-compte, certes, mais, cela ne justifie en rien qu’ils rejettent et stigmatisent leurs semblables, violentent les filles, les femmes, les enseignants, les policiers ou les Juifs.
C’est ainsi donc, pour résumer que dans les « quartiers sensibles », une sorte de jalousie sociale est alimentée par divers stéréotypes, dont celui du « Juif riche », celui du « Juif puissant » dans la finance, la politique, les médias, selon le philosophe Pierre-André Taguieff. D’où le raisonnement type qu’on rencontre dans certains entretiens semi-directifs avec des « jeunes » issus de l’immigration et marginalisés : Les Juifs sont accusés de prendre toutes les places et d’occuper tous les postes désirables, résume le sociologue Didier Lapeyronnie. S’ajoute l’accusation de la « solidarité juive » : « Ils se tiennent entre eux », pensent-ils. Ils voient les Juifs comme une espèce de franc-maçonnerie ethnique, pratiquant le népotisme à tous les niveaux, dans tous les domaines. « Ils sont partout », « Ils ont le pouvoir », « Ils nous manipulent ».
De fait, dans des zones de non-droit, des bandes de voyous -racistes et antisémites- sèment la terreur. Dans certaines de ces zones et quelquefois au cœur des villes, les citoyens juifs ont peur de circuler et les parents juifs s’inquiètent pour leurs enfants. Bref, les Juifs sont devenus pour toute une génération de jeunes défavorisés victimes du racisme des ennemis de classe et les archétypes d’une prétendue réussite socialeLire la suite.