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Publié le 26 août dans FranceInfo
Le dossier iranien a fait une entrée fracassante au programme du sommet du G7. Dimanche 25 août, le ministre des Affaires étrangères iranien, Mohammad Javad Zarif, a fait une apparition surprise à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques), où il a rencontré Emmanuel Macron ainsi que son homologue français, Jean-Yves Le Drian.
Sa présence en marge du sommet, qui réunissait autour du chef d'Etat français l'Américain Donald Trump, le Britannique Boris Johnson, l'Allemande Angela Merkel, le Canadien Justin Trudeau, le Japonais Shinzo Abe et l'Italien Giuseppe Conte (entre autres invités), a confirmé les ambitions d'Emmanuel Macron, qui se voit en médiateur entre Washington et Téhéran. Les relations entre les deux pays sont au plus mal depuis le retrait américain, en mai 2018, de l'accord de 2015 sur le nucléaire iranien.
Voici ce qu'il faut savoir pour y voir plus clair dans les rebondissements diplomatiques du week-end.
En mai 2018, Donald Trump est sorti avec fracas de l'accord de Vienne, dont la signature – par les Etats-Unis, la Chine, la Russie, la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne – en 2015 visait à empêcher l'Iran de se doter de l'arme nucléaire. Convaincu que les Iraniens ne respectaient pas leurs engagements, le président américain veut négocier un nouveau texte, plus complet et plus contraignant pour Téhéran. En se retirant de l'accord signé par son prédécesseur, Donald Trump a réintroduit de lourdes sanctions à l'égard de l'lran, afin d'asphyxier son économie. Cette politique, qualifiée de "pression maximale", concerne à la fois les secteurs économique, financier et militaire.
Faute de pouvoir exporter son pétrole, l'Iran a plongé dans la récession. Aussitôt, le pays a répliqué en s'affranchissant progressivement de l'accord, au grand dam des Européens. Cet enchaînement a provoqué une escalade des tensions dans le Golfe, où plusieurs pétroliers ont été arraisonnés et un drone américain abattu par l'Iran.
Cette escalade des tensions, dans une zone aussi cruciale que le très stratégique détroit d'Ormuz, pourrait enflammer la situation entre les Etats-Unis, l'Europe, l'Iran et son allié, la Russie. Or Téhéran a promis de réduire une troisième fois, en septembre, ses engagements pris dans le cadre de l'accord de 2015, ce qui pourrait encore aggraver la situation.
Depuis plusieurs mois, le président français a mis la résolution de cette crise en haut de son agenda international. Le conseiller diplomatique d'Emmanuel Macron, Emmanuel Bonne, s'est rendu plusieurs fois à Téhéran en l'espace de quelques mois, avant de s'entretenir avec le conseiller de Donald Trump, John Bolton, partisan d'une ligne dure à l'égard de Téhéran. Fin juillet, Emmanuel Macron et son homologue iranien, Hassan Rohani, ont quant à eux discuté pendant plus d'une heure et demie au téléphone. Lundi, le président français a encore évoqué la question iranienne avec le président russe, Vladimir Poutine, qu'il a reçu à Brégançon.
En se rapprochant à la fois des interlocuteurs russes, iraniens et américains, la diplomatie française a pris la main sur la question iranienne, poussant pour "le processus diplomatique", selon Ellie Geranmayeh, expert de l'Iran au Conseil européen des relations internationales, cité par Al-Monitor (en anglais). "L'idée de ce G7 était, pour Macron, d'obtenir le feu vert de Trump pour poursuivre les discussions à l'Assemblée générale de l'ONU", explique-t-il. Utiliser le G7 pour convaincre ses partenaires de soutenir sa démarche s'inscrit "dans le prolongement des efforts du président depuis plusieurs mois", explique une source à l'Elysée, citée par Le Figaro. Ainsi, dès samedi, des sources diplomatiques indiquaient à l'AFP que les dirigeants du G7 avaient convenu de "charger le président français Emmanuel Macron de discuter avec l'Iran, sur la base de leurs échanges, et de lui adresser un message" pour éviter l'escalade dans la région.
La France cherche aussi à mettre fin à une situation qui nuit à sa propre économie : en raison des sanctions prises contre l'Iran, les exportations françaises vers ce pays, qui représentaient plus d'un milliard et demi d'euros en 2017, ont été divisées par trois. Alors que Donald Trump menace de sanctions toutes les entreprises européennes qui continueraient de commercer avec la République islamique, le pétrolier Total ou encore le constructeur automobile PSA ont quitté le pays, après y avoir réalisé de lourds investissements. "Le président de la République a à cœur d'apporter une contribution française qui soit positive pour essayer de faire baisser les tensions qui menacent la sécurité collective, qui menacent également la croissance mondiale", résume sur franceinfo Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'Etat auprès du ministre des Affaires étrangères.
La France essaie de convaincre les Etats-Unis de desserrer l'étau des sanctions contre l'Iran afin de préserver l'accord de 2015. Une position semblable à celle de ses partenaires, qui, à l'exception de Washington, sont tous à la recherche d'une solution diplomatique à la crise.
Pour François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France en Iran (2001-2005) interrogé par franceinfo, un allégement des sanctions serait bénéfique, mais il s'agit aussi d'obtenir plus de l'Iran que le simple respect de l'accord. "Lâcher des sanctions pour simplement obtenir que l'Iran applique l'accord, donc faire ce qu'il s'était déjà engagé à faire, ce n'est pas très intéressant, analyse-t-il. Manifestement, il faut que l'Iran mette quelque chose de plus dans le panier. C'est cela la difficulté. Tout le monde cherche la combinaison du coffre, notamment notre président : il tripote les boutons du coffre pour essayer d'ouvrir la porte."
"La France, comme de nombreux partenaires du G7, veut éviter que l'Iran se dote d'armes nucléaires, résume Jean-Baptiste Lemoyne. Par ailleurs, nous avons un certain nombre de messages vis-à-vis de l'Iran, par rapport aux comportements du pays dans la zone du Moyen-Orient, par rapport à ses capacités balistiques, par rapport à l'après 2025, parce que cet accord de Vienne, qui a été dénoncé par les Etats-Unis, prévoyait d'encadrer les activités jusqu'en 2025 pour l'Iran. Il s'agit aussi de réfléchir à la suite."
"Le chemin est difficile, mais cela vaut la peine d'essayer" : en un tweet, Mohammad Javad Zarif, le ministre des Affaires étrangères iranien, a fait part de son sentiment après sa visite impromptue à Biarritz. Dans la foulée, le président iranien, Hassan Rohani, a défendu lundi l'option du dialogue pour résoudre la crise : "Je pense que nous devons utiliser tous les outils pour [servir] les intérêts nationaux", a-t-il affirmé dans un discours retransmis en direct par la télévision d'Etat. "Nous pouvons travailler avec les deux mains (…), la main de la force et la main de la diplomatie", a-t-il ajouté.
Si Donald Trump n'a pas souhaité rencontrer Mohammad JavadZarif, estimant qu'il était "trop tôt" pour cela, il s'est félicité lundi d'une "grande unité" entre les dirigeants du G7 sur la question de l'Iran, assurant qu'ils étaient "plus ou moins" parvenus à une conclusion. Concernant la visite surprise du chef de la diplomatie iranienne, Donald Trump a assuré avoir donné son feu vert : "J'ai été au courant de tout ce [que] faisait[Emmanuel Macron] et j'ai approuvé", a-t-il dit, validant ainsi implicitement l'initiative de la diplomatie française. Paris a pour sa part simplement déclaré que les discussions qui s'étaient tenues en marge du G7 sur le nucléaire iranien avaient "été positives" et allaient "se poursuivre".
La chancelière allemande, Angela Merkel, a quant à elle qualifié lundi de"grand pas en avant" les discussions engagées avec Téhéran. "Il y a maintenant une atmosphère qui permet des discussions", tout cela "en coordination avec les Etats-Unis, et c'est déjà beaucoup".