Lu dans la presse
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Publié le 16 Avril 2019

France/Justice - Procès Toulouse : l’hypothèse inédite de Maître Francis Szpiner

L’avocat de la famille d’Imad Ibn Ziaten estime que le frère du terroriste de Toulouse était près de son frère lorsque celui-ci a tué le militaire, à Toulouse, en 2012. Une idée jusqu’ici écartée.

Publié le 16 avril dans Le Monde

Ce que quatre ans d’instruction n’ont pas permis de démontrer, ce que vingt avocats n’avaient pas songé à soutenir avant ce procès en appel, ce que le président de la cour d’assises avait écarté en première instance dans son verdict, Me Francis Szpiner l’a plaidé de toutes ses forces, vendredi 12 avril, au palais de justice de Paris.

L’avocat de la famille d’Imad Ibn Ziaten, première des sept victimes de Mohammed Merah en mars 2012, n’était pas du premier procès d’Abdelkader Merah, condamné à vingt ans de prison pour « association de malfaiteurs terroriste » mais acquitté du chef de « complicité d’assassinats » à l’automne 2017. « Privilège », dit-il à l’entame de son monologue, qui lui permet d’avoir « un œil neuf sur le dossier » et de voir ce que personne n’avait vu : l’accusé était, selon lui, bel et bien avec son frère lors de l’assassinat d’Imad Ibn Ziaten, le 11 mars 2012 à Toulouse.

Me Szpiner a balayé d’entrée « les états d’âme » du juge d’instruction ou de l’enquêteur de la sous-direction antiterroriste venus dire le contraire à l’audience – « Les investigations ont permis d’écarter de manière définitive l’implication d’Abdelkader Merah dans le guet-apens », avait par exemple affirmé le second. « Peu importe », dit l’avocat , qui reconstitue ensuite l’enchaînement des faits au fil d’une plaidoirie ardente, dans une salle Voltaire comble et captivée, pour arriver jusqu’au 11 mars 2012.

Versions incompatibles

Abdelkader Merah disputait ce jour-là un match de football avec l’équipe de son quartier – remplaçant, il est entré pour les vingt dernières minutes – qui s’achevait vers 15 heures. L’assassinat a eu lieu à 16 heures. L’accusé affirme qu’à cette heure-là, il jouait un second match avec son oncle, qu’il avait rejoint dans la foulée du premier.

Problème : l’oncle en question, interrogé onze jours après l’assassinat, avait été incapable de se rappeler cet épisode. A nouveau interrogé un an plus tard, « par un effet de retour de mémoire que les neuroscientifiques devraient étudier », raille Me Szpiner, il s’était souvenu que son neveu était bien venu chez lui cet après-midi-là, et qu’ils avaient joué jusqu’à 17 h 30.

Second problème : interrogée elle aussi un an après les faits, la tante s’est souvenue qu’Abdelkader Merah était venu « vers midi et demi » ce 11 mars 2012 : « Je lui ai fait à manger. Il est resté chez moi jusqu’à 15 h 30, 16 heures. » Deux versions incompatibles. « Elle et son mari n’ont pas coordonné leurs faux témoignages, et on ne sait donc pas où est Abdelkader Merah de 15 heures à 18 heures », jubile Me Szpiner, qui se tourne alors vers le public. « Eh bien moi je vais vous dire où il est : avec son frère ! »

Il en veut pour preuve les images de la caméra GoPro que Mohammed Merah s’est fixée sur le ventre pour filmer son crime, et le dialogue avec sa victime dans les secondes qui précèdent. Les deux hommes sont à l’arrêt, côte à côte, sur leur deux-roues – ils sont censés se retrouver pour que l’un vende sa moto à l’autre. Imad Ibn Ziaten pose cette question : « C’est un pote à toi ? » Mohammed Merah répond : « Oui, c’est mon frère. »

« Il faut bien qu’il ait vu quelque chose pour poser cette question, sinon elle n’a aucun sens », suppose Me Szpiner, qui n’explique ce dialogue – source de controverse – « que d’une seule manière » : Abdelkader Merah se tient en retrait, en couverture, et sa voiture a intrigué Imad Ibn Ziaten. « Je ne dis pas qu’il a assisté à l’assassinat. Mais c’est évidemment de la complicité de s’être mis à 50 ou 60 mètres au cas où les choses tourneraient mal. »

« Voilà quelqu’un qui est désigné par la victime, qui est désigné par l’assassin, qui n’a pas d’alibi au moment des faits criminels et qui essaie de s’en forger un, résume-t-il à l’adresse de la présidente et des six juges professionnels qui l’entourent. Ce n’est pas de nature à vous faire douter et à entraîner votre intime conviction ? »Formule étrange : le doute, normalement, n’est pas censé renforcer l’accusation. Charge à la cour de décider si tout le monde était aveugle, ou s’il n’y avait rien à voir. Verdict le 18 avril.